Lorsque Myriam, avocate, habituée à défendre des assassins et donc censée bien les connaître, mère de deux jeunes enfants, décide malgré les réticences de son mari, de travailler à nouveau et de reprendre son activité au sein d’un cabinet d’avocats, après avoir consacré quelques années à l’éducation de Mila et Adam, ses enfants le couple se met à la recherche d’une nounou.
Après un casting sévère, ils engagent Louise, femme d’une cinquantaine d’années à l’allure stricte qui conquiert très vite l’affection des enfants et occupe progressivement une place centrale dans le foyer. Jeune femme effacée, veuve, en difficulté financière, Louise révèle rapidement des talents de fée du logis dignes d’une nounou irréelle, telle une Mary Poppins jaillie d’un livre pour enfants. Ménage, cuisine, bouquets, rangement, entretien du linge, jeux et sorties avec Mila et Adam, histoires et berceuses, rien n’échappe à sa perfection. Chaque jour elle devient davantage nécessaire au bien-être familial, tandis que Myriam et Paul veillent scrupuleusement, en “bons” patrons qu’ils veulent être, à garder la bonne distance avec elle, à ne pas l’humilier.
Peu à peu le piège de la dépendance mutuelle va se refermer, jusqu’au drame.
Le style sec et tranchant de Leïla Slimani, où percent des éclats de poésie ténébreuse, instaure dès les premières pages un suspense envoûtant.
À travers la description précise du jeune couple et celle du personnage fascinant et mystérieux de la nounou, c’est notre époque qui se révèle. C’est une subtile analyse des modes de vie actuels, avec sa conception de l’amour et de l’éducation, des rapports de domination et d’argent, des préjugés de classe ou de culture. Mine de rien, c’est aussi un état des lieux de la parentalité, des contraintes inhérentes aux doubles vies que vivent les jeunes parents tiraillés entre la réussite professionnelle et les exigences d’une vie familiale.
Tout au long du roman, Leïla Slimani, évoque avec pudeur et tendresse à travers les difficultés de leur vie journalière, le sort de ces petites gens, souvent immigrées, souvent sans papiers, toujours démunies, ces fantômes urbains qui vivent dans un monde parallèle et vendent leurs compétences domestiques et maternelles, et offrent quelques mots d’amour et d’affection, en baoulé, dioula, arabe, hindi, filipino, russe, aux marmots que leur confient des couples économiquement dominants, pris dans le tourbillon de carrières qui les prive de temps.
Dans ce livre à sensations fortes, l’écrivaine de 34 ans dissèque les ambiguïtés de la relation complexe qui unit les parents avec ceux qui gardent leurs enfants et explore les affres des mères.
Elle a un jour découvert dans la presse américaine l’histoire, d’une nounou portoricaine qui avait assassiné les enfants qu’elle gardait, et qui n’avait jamais su expliquer son geste. Dans «Chanson douce», elle transpose l’affaire à Paris.
L’auteur décortique le cheminement psychologique de la nounou, jusqu’au dénouement tragique. La relation triangulaire – entre les deux parents, Myriam et Paul, et la nounou – s’établit peu à peu dans un contexte d’abord confiant puis pesant. Les enfants, Mila et Adam, ne sont, au fond, qu’un prétexte à la rivalité qui va se créer.
Ce que décrit à la perfection l’auteur, ce sont les rapports faussement chaleureux entre les deux parties. Il ne s’agit en réalité que de relations d’employeurs à employée, de dominants à dominée. La nounou est parfaite, aimante avec les enfants, disponible avec les parents, ne compte plus ses heures. Mais elle prend une place prépondérante et inquiétante dans la vie de la famille. Elle devient si indispensable que le couple l’emmène en vacances avec eux. Elle décharge Paul et Myriam au point de devenir elle-même une charge. La famille abrite en son sein un corps étranger qui va instiller aussi lentement qu’un goutte-à-goutte un poison mortel.
Pour son deuxième roman publié, Leïla Slimani, 35 ans, a réussi un coup de maître. Citée à la rentrée pour cinq des prix littéraires français les plus célèbres (Goncourt, Renaudot, Flore, Femina, Interallié), sa Chanson douce (Gallimard, août 2016) a remporté le 3 novembre, peu avant 13 heures, les palmes de l’académie Goncourt par 6 voix sur 10.
Leila Slimani est la 12ème femme à décrocher le Graal depuis la création du Goncourt (113 ans).
L’auteur :
Leïla Slimani, née le 3 octobre 1981 à Rabat au Maroc, d’une mère médecin franco-algérienne et d’un père banquier marocain, est une journaliste et écrivaine franco-marocaine.
Elle a la nationalité française et se sent aussi pleinement européenne qu’africaine, loin des débats incertains sur l’identité qui agitent l’Hexagone.
Élève du lycée français de Rabat, Leïla Slimani grandit dans une famille d’expression française. On parlait français à la maison. Son père, Othman Slimani, est banquier. Il est né à Fès, puis est venu étudier en France avant de retourner au Maroc pour devenir secrétaire d’état dans les années 1970. Il a ensuite dirigé une banque jusqu’à ce qu’un scandale financier lui vaille de tomber en disgrâce. Il est mort en 2004. Sa mère est médecin ORL, mi- alsacienne, mi- algérienne a été une des premières femmes médecins du pays.
Elle a quitté le Maroc à 17 ans, pour entrer en hypokhâgne à Paris, après avoir un temps envisagé de devenir psychiatre.
Son amour pour l’écrivain Stefan Zweg l’a menée à entreprendre à l’âge de 20 ans, un pèlerinage zweigien en Europe de l’Est, à Vienne, Prague et Budapest.
C’est à l’issue de son cursus à Sciences-Po Paris et devenue diplômée de l’Institut des Études Politiques de Paris qu’elle entreprend de vivre par les mots, intégrant en 2008 – année de son mariage avec un banquier parisien – l’équipe de JA, pour lequel elle couvre le Maroc. Cela lui permet de se lier, entre autres, avec l’écrivain marocain Tahar Ben Jelloun, qui lui prodigue de précieux conseils.
Elle s’essaie au métier de comédienne (Cours Florent), mais prend très vite conscience qu’elle est une « comédienne médiocre ». Elle décide alors de compléter ses études à ESCP Europe (École supérieure de Commerce) pour se former aux médias. À cette occasion, elle rencontre Christophe Barbier, alors parrain de sa promotion, qui lui propose un stage à L’Express. Finalement, elle est engagée au magazine Jeune Afrique en 2008 et y traite des sujets touchant à l’Afrique du Nord.
Devenue mère en 2011, elle démissionne de la rédaction de Jeune Afrique en 2012, pour se consacrer à l’écriture, tout en restant pigiste pour le journal. Elle s’attelle à l’écriture d’un livre « Dans le jardin de l’ogre », le deuxième de sa main mais le premier à être édité en 2014 – par la maison Gallimard, dans sa prestigieuse collection « Blanche », en 2014. L’idée de ce roman lui est venue, alors qu’elle s’occupait de son fils en regardant la télévision, alors entièrement occupée par l’affaire DSK. Elle décide de donner vie à un personnage féminin à l’appétit sexuel dément. Ce livre reçoit un succès critique et commercial très prometteur, sinon annonciateur. Le sujet (l’addiction sexuelle féminine) et l’écriture sont remarqués par la critique et l’ouvrage est sélectionné pour le prix de Flore 2014.
Son deuxième roman, Chanson douce, obtient le prix Goncourt 2016
Mais cette réussite ne détourne pas Leïla Slimani de son goût pour l’enquête journalistique, la Franco-Marocaine se préparant à publier en janvier 2017, Sexe et Mensonges, fruit de deux ans d’enquête – un essai rassemblant des entretiens sur la sexualité au Maroc réalisés avec des femmes rencontrées dans son pays natal.
Son mari est banquier. Ils ont un petit garçon, Émile, né en 2011.
Œuvres :
- La Baie de Dakhla : itinérance enchantée entre mer et désert, Malika Éditions, Casablanca, 2013
- Dans le jardin de l’ogre, éditions Gallimard, coll. « Blanche », 2014
- Chanson douce, éditions Gallimard, coll. « Blanche », 2016 – Prix Goncourt 2016