Après l’immense succès des Chaussures italiennes, auquel il fait suite, Les Bottes suédoises, brosse le portrait en clair-obscur d’un homme qui revisite son destin, tenaillé par le doute, le regret, la peur face à l’ombre grandissante de la mort, mais animé aussi par le désir et la soif d’amour.
Tel est l’ultime roman de Henning Mankell, traduit du suédois par Anna Gibson : une œuvre d’une sobriété élégiaque et poignante, traversée et portée par la beauté crépusculaire des paysages. La maladie hante son dernier roman. Très nostalgique, c’est aussi une réflexion sur la vieillesse et la mort.
Fredrik Welin, chirurgien à la retraite, vit reclus sur son île de la Baltique. Une nuit, une lumière aveuglante le tire du sommeil. Au matin, la maison héritée de ses grands- parents n’est plus qu’une ruine fumante. Réfugié dans la vieille caravane de sa fille Louise de son jardin, il s’interroge : à soixante-dix ans, seul, bougon, morose et quelque peu désabusé, dépossédé de tout, a-t-il encore une raison de vivre ? Il ne lui reste plus que sa voiture, garée au bourg voisin, son bateau, une tente de camping et un duvet légèrement moisi, une paire de bottes dépareillées et une remise peuplée de quelques pauvres souvenirs. Reste aussi, la solidarité des habitants de l’archipel: le vieux facteur Jansson, Alexandersson le policier, Rut Oslovski femme sauvage venue de l’Est, mécanicienne hors pair et Nordin, le gérant du magasin d’accastillage, à qui Frédéric s’empresse de commander de nouvelles bottes de caoutchouc. Tout ce petit monde, ne considère pas sans méfiance Fredrik Welin, qui reste, bien qu’il vive là depuis de nombreuses années, un genre de nouveau venu. On lui sait, néanmoins, plus gré qu’on ne veut bien le dire, d’être un ancien médecin qu’on peut consulter à l’occasion.
Mais c’est compter sans les révélations de sa fille Louise et sans l’apparition de Lisa Modin, journaliste de la presse locale qui veut rencontrer, sans tarder, le sinistré.
Celui-ci, dénué de tout, va alors se remettre à rêver. Et si, une nouvelle histoire d’amour, sur le tard, était possible? Mais à 70 ans, sans plus rien devant soi, que reste-t-il?
Tandis que l’hiver prend possession de l’archipel, tout va basculer de façon insensible jusqu’à l’inimaginable dénouement. La mort se met à frapper de tous côtés. La maison disparaît, certains personnages sont frappés brutalement, d’autres maisons brûlent. Le tragique s’installe.
On n’ouvre pas Les Bottes suédoises d’Henning Mankell sans un petit pincement. Car l’auteur des aventures du commissaire Wallander et des Chaussures italiennes est décédé le 4 octobre 2015 à Göteborg, à l’âge de 67 ans. Svenska gummistövlar était paru en langue originale en juin 2015, quelques mois sa disparition et pouvait avoir, aux yeux des lecteurs suédois, valeur de chant du cygne.
L’auteur :
Henning Mankell est un auteur suédois né le 3 février 1948 à Härjedalen, province située au centre de la Suède. Il n’a qu’un an lorsque ses parents divorcent. Très vite abandonné par sa mère, il est élevé par son père, juge d’instance.
Ses premiers rêves : devenir artiste et voyageur. Le premier le mènera à Paris à l’âge de seize ans où il écrit et répare des clarinettes, et le second, quelques années plus tard, en Afrique : D’abord en Guinée Bissau où il tombe amoureux du continent tout entier, puis en Zambie dans les années 70, et enfin à partir de 1985 à Maputo au Mozambique où il dirige la seule troupe de théâtre professionnelle du pays.
Henning Mankell a débuté sa carrière professionnelle comme assistant-metteur en scène à l’âge de dix-sept ans. Passionné de théâtre, il a ensuite dirigé une scène de la province de Scanie.
Auteur d’une quinzaine de livres pour enfants et pour adultes, il est considéré comme l’un des maîtres incontestés du polar suédois. Il est connu internationalement grâce à la série des Wallander qui met en scène un inspecteur du même nom.
Henning Mankell a quitté la Suède il y a longtemps, partageant sa vie entre son pays natal et le Mozambique.
À la fin des années 80, alors que ses séjours africains durent généralement de six à sept mois, il s’absente pendant deux années. Durant cette période, le mur de Berlin est tombé, et lorsqu’il rentre au pays, ça n’est pas seulement un régime qui s’est écroulé en Europe, c’est aussi la société suédoise et son modèle socio-économique si réputé, si envié, qui s’effondre en face de lui.
Dès 1990, il se lance dans l’écriture de livres pour enfants et entreprend l’année suivante la série Wallander, qui le rendra célèbre. Ainsi nait donc Kurt Wallander, né du hasard d’un annuaire téléphonique d’Ystad (ville moyenne de Scanie, tout au sud de la Suède) – Son nom a été trouvé au bout d’un doigt posé dans un annuaire téléphonique, et des réflexions d’un écrivain dramaturge, metteur en scène, sur le devenir de ce modèle en passe de disparaitre.
En 1991, il publie « Meurtriers sans Visage » où apparait pour la première fois Kurt Wallander, inspecteur de police dans une ville moyenne du sud de la Suède, dont sa date de naissance est le 30 janvier 1948 (il fête son 43ème anniversaire dans Meurtriers sans visage), soit 5 jours avant celle de Henning Mankell, et qui deviendra le personnage récurent de ses romans policiers.
Les épisodes de la série se déroulent tous l’année de leur écriture. Ce qui fait que Wallander a le même âge et le même rythme de vieillissement que son auteur.
Ce commissaire désabusé est entouré par une équipe de policiers où chacun possède une personnalité soigneusement décrite. Les meurtres sanglants auxquels Wallander est confronté le plongent au fil des romans dans un état de plus en plus dépressif. L’aspect psychologique est aussi important pour Henning Mankell que l’intrigue elle-même.
Wallander vit hydroponiquement dans l’espace clos de l’enquête qu’il mène. Il n’a aucune vie sociale, aucune vie intellectuelle (l’auteur abandonne progressivement la seule passion qu’on connaissait à Wallander, à savoir l’opéra). Les relations qu’il entretient avec ses proches (père, fille, femme à éventuellement aimer) sont des pâles et immobiles redites du premier roman. Déçu par son choix de carrière, son père, un artiste peintre anticonformiste, lui refuse la reconnaissance qu’il attend de lui. Lasse de sa dépendance au travail et de son humeur mélancolique, sa femme l’a quitté pour un autre. Ses soirées, il les passe au commissariat, à creuser les affaires qui l’obsèdent, ou chez lui à ruminer son divorce devant la télé, en compagnie d’une bouteille de vin. Seule sa fille Linda parvient à briser sa solitude et à lui rendre foi en l’existence. Psychologiquement, c’est un homme qui fait du surplace, avec une forte tendance à s’apitoyer sur son sort et qui, surtout, peu sûr de lui, semble totalement incapable d’affronter directement la réalité de l’existence.
Dans le roman inaugural, Mankell autorisait son héros à picoler plus que de raison pour lui permettre au moins cette confrontation au réel. Par la suite, plus rien… Ni alcool (à l’exception d’une formidable mufflée dans La lionne blanche), ni réel… Wallander, quoi qu’il en dise, ne s’épanouit vraiment que dans le vertige de la traque.
Les meurtres sanglants auxquels il est confronté le plongent au fil des romans dans un état de plus en plus dépressif ; l’aspect psychologique est aussi important pour Mankell que l’intrigue elle-même.
Toutes ces aventures se déroulent dans la petite ville d’Ystad, en Scanie, dans le sud de la Suède, même si Wallander se déplace une fois en Lettonie (les Chiens de Riga) et enquête sur un meurtre dont les origines remontent en Afrique du Sud (la Lionne blanche). Le sol du proche Danemark est souvent foulé.
La volonté de Mankell est de toucher ses concitoyens, de leur faire partager ses doutes, ses désillusions, et il choisit pour ce faire le genre policier, miroir de notre société.
Peut-être est-il un nostalgique des années « tendres » lorsqu’il fait dire à Wallander : « Dans mon enfance, la Suède était un pays où les gens reprisaient les chaussettes (…) Puis, soudain, un jour, c’était fini. On a commencé à jeter les chaussettes trouées. Personne ne prenait plus la peine de les raccommoder. Toute la société s’est transformée. »
En but à l’individualisme forcené des années 90 et aux dérives sociétales qui en découlent, Henning Mankell invente un inspecteur profondément humain, diabétique, empêtré dans les contingences matérielles, divorcé mais aimant toujours sa femme, père d’une fille qu’il ne comprend pas et qu’il sent parfois étrangère, fils d’un vieux peintre hurluberlu.
Sa bouée de sauvetage, ce qui l’empêche de sombrer dans la déprime, c’est son métier, ses collègues, ses enquêtes. Mais les violences et les dérives du monde d’aujourd’hui n’épargnent pas Ystad, et Wallander se trouvera au fil des romans confrontés à tous les maux de notre société, avec comme toile de fond les changements intervenus après la chute du mur de Berlin.
Mais Wallander, c’est aussi l’éloge de la lenteur. On est loin de ces romans américains frénétiques où il faut toujours qu’il se passe quelque chose à chaque page. Ses romans sont aux antipodes du polar américain.
Là, le temps s’écoule lentement, et Mankell sait également décrire sa Suède natale, son climat changeant, la violence de ses saisons, et cette tendre mélancolie qui transparait autant dans l’atmosphère que dans le caractère de son héros.
Wallander est avant tout un « humain », désemparé, qui a perdu ses repères, mais aussi rempli de compassion pour les victimes qu’il croise. Il se dégage de lui comme une infinie tristesse, mais c’est aussi peut-être ce qui fait qu’on l’adore.
Cette même année 1991, il a reçu le Prix Nils Holgersson.
En 2007, il préside le jury du Prix du Livre européen qui sera remis cette année-là à Guy Verhofstadt pour son livre Les États-Unis d’Europe.
En 2008 sort « Profondeurs », ouvrage dans lequel l’auteur médite sur le mensonge en entremêlant divers genres et passant ainsi du théâtre au roman policier.
Suit deux ans plus tard, « L’homme inquiet », dans lequel les lecteurs retrouvent Wallander, retraité mais toujours prêt à s’investir dans une nouvelle affaire.
La même année, l’écrivain scandinave participe à l’expédition organisée par des groupes activistes islamistes turcs en faveur de Gaza, qui donna lieu à un abordage israélien qui causa une dizaine de victimes. Une expérience de laquelle il accouche un récit, publié le 5 juin 2010 dans la presse internationale dont Libération, The Guardian (Angleterre), El País (Espagne), Dagbladet (Suède), La Repubblica (Italie) ou The Toronto Star (Canada).
Au même titre que son compatriote Stieg Larsson, l’auteur de la saga Millénium, Henning Mankell, dont les livres ont été traduits en 35 langues et écoulés à 40 millions d’exemplaires, a contribué à l’engouement pour le polar nordique, caractérisé par une vive critique politique et une dénonciation des inégalités, contrastant avec le modèle scandinave tant vanté. En 2009, le père du commissaire Wallander se classait à la neuvième place des écrivains de fiction les plus vendus en Europe.
Gendre d’Ingmar Bergman dont il a épousé en secondes noces la fille Eva, il partage sa vie entre l’Afrique (le Mozambique) et la Suède à Särö, à quinze kilomètres au sud de Göteborg au bord de la mer ,en écrivant romans, pièces de théâtre et ouvrages pour la jeunesse et où il dirige une troupe de théâtre depuis 1996 : le Teatro Avenida, seule troupe de théâtre professionnelle du pays, qu’il présente lui-même comme la « passion de sa vie » et où il travaille gratuitement.
Le 29 janvier 2014, il apprend qu’il est touché par un cancer qui a été détecté à la gorge et dans le poumon gauche à un stade avancé. Et il est probable que les métastases aient gagné d’autres parties de son corps Il dit alors : » J’ai tout de suite décidé d’écrire à propos de cette maladie, parce que c’est finalement une douleur et une souffrance qui affectent beaucoup de gens. Mais je vais écrire avec la perspective de la vie, pas de la mort. ».
L’écrivain est suivi à Göteborg, à Sahlgrenska, le plus grand hôpital d’Europe du Nord. Il a été soigné par chimiothérapie durant tout l’été 2014. Malheureusement cette thérapie a touché gravement les reins. Elle fut donc interrompue pour un moment. Les résultats médicaux ont prouvé qu’elle pouvait être reprise à la rentrée.
En parallèle, il a très vite décidé de consacrer désormais ses chroniques à sa bataille contre le cancer.
Il meurt des suites de ce cancer dans la nuit du 4 au 5 octobre 2015 à Göteborg. Henning Mankell avait 67 ans.