Élevé dans une famille ouvrière de Picardie, Eddy ne ressemble pas aux autres enfants. Sa manière de se tenir, son élocution, sa délicatesse lui valent de nombreuses humiliations et injures, tant par ses camarades de classe que par son père alcoolique et sa mère revêche.
Lui-même finit par s’interroger sur cette homosexualité dont on le taxe avant même qu’il éprouve le moindre désir.
Mais la véritable persécution ne vient-elle pas du conditionnement social ? Il parviendra à s’arracher à cette chape écrasante, qui donne au récit une allure zolienne, et à imposer sa personnalité en poursuivant des études de théâtre à Amiens, loin de l’enfer familial et villageois qu’il a connu. Ce texte, psychologiquement frappant, dresse un tableau saisissant d’un monde populaire brutal et sensiblement archaïque. Mais la finesse de l’auteur, par ailleurs sociologue, resitue dans un contexte social le drame familial qui aurait pu devenir une vraie tragédie individuelle. Comment échapper à la détermination ? Comment chaque être peut-il inventer sa liberté ?
Présenté comme autobiographique, ce roman décrit l’enfance douloureuse d’un garçon qui se sent étranger à sa famille inculte et vulgaire, son village picard homophobe et raciste, son milieu violent. L’amour, s’il y en a un peu, se fait discret et maladroit. L’auteur raconte les années de souffre-douleur au collège, où deux garçons de son âge lui crachent à la figure et le malmènent. Puis une adolescence à boire des bières à l’arrêt d’un bus qui ne passe jamais, ou pour les emmener vers un chômage certain. Et enfin, la lettre qu’il reçoit, main tendue de l’école qui va le propulser dans un milieu radicalement opposé. Du moins en apparence.
Les risques de l’auto-fiction
Edouard Louis savait en écrivant son roman, et en ne dissimulant pas qu’il s’agissait d’un récit autobiographique, qu’au mieux, il ne serait pas compris. « Moi, il m’a envoyé un SMS. Il m’a écrit que ce livre était une déclaration d’amour pour maman, mais que personne ne comprendrait », confie sa sœur Candice au Courrier picard.
« En finir avec Eddy Bellegueule » est une œuvre littéraire. Les membres de la famille d’Edouard Louis ne sont pas les premiers à réfuter un récit dont ils font l’objet dans un roman, la riposte prenant même souvent la forme d’une attaque en justice, pour diffamation.
Faut-il pour autant confronter le réel au récit romanesque? Le romancier peut-il tout dire dans ses romans? Autant de questions d’autant plus délicates quand le roman est clairement assumé comme autobiographique.
L’auteur:
Édouard Louis, né Eddy Bellegueule le 30 octobre 1992, est un écrivain français qui grandit à Hallencourt (Somme) avant d’entrer en classe de théâtre au lycée Madeleine Michelis d’Amiens. De 2008 à 2010 il est délégué de l’académie d’Amiens au Conseil national de la vie lycéenne, puis étudie l’histoire à l’université de Picardie.
Il poursuit à partir de 2011 des études de sociologie à l’ENS de la rue d’Ulm.
En 2013, il obtient de changer de nom et devient Édouard Louis. La même année, il dirige l’ouvrage collectif Pierre Bourdieu. L’insoumission en héritage aux PUF, ouvrage dans lequel l’influence de Bourdieu sur la pensée critique et sur les politiques de l’émancipation est analysée.
En mars 2014, il annonce qu’il dirigera une collection, « Des mots », consacrée à des retranscriptions de conférences, des entretiens et des courts textes, pour cet éditeur.
En février 2014, à 21 ans, il publie « En finir avec Eddy Bellegueule », un roman à forte influence autobiographique. Très commenté dans les médias, et largement salué pour ses qualités, le livre donne lieu aussi à plusieurs polémiques, notamment sur la manière dont il dépeint sa famille et son milieu social d’origine.
Après la parution du livre, les thématiques qu’il aborde valent à Édouard Louis de recevoir en mars 2014 le prix Pierre Guénin contre l’homophobie et pour l’égalité des droits : le communiqué de l’association SOS homophobie constate qu’« Édouard Louis permet de prendre conscience de l’imprégnation de l’homophobie dans le quotidien des personnes LGBT ».
Après avoir dirigé l’ouvrage collectif L’insoumission en héritage en 2013, dédié à Pierre Bourdieu, Édouard Louis connaît le succès en 2014 grâce à son roman En finir avec Eddy Bellegueule. Son style d’écriture emprunte aux premiers écrivains qu’il a lu : Didier Eribon, à qui son roman est dédié, et Annie Ernaux, dans une même démarche autofictionnelle et sociologique. Il est également marqué par William Faulkner, superposant dans une même phrase divers niveaux de langage, et mettant le parlé populaire au cœur de son écriture. Pour l’auteur, la fuite, qui est le titre de la deuxième partie de son roman, « est un acte révolutionnaire. Fuir, c’est s’inventer autrement ». Didier Eribon relève, en critiquant le premier roman d’Édouard Louis, qu’il « a lu Bourdieu, il n’hésite pas à nommer les choses par leur nom : » classe sociale, classe ouvrière… Se considérant comme écrivain politique, Édouard Louis annonce : « Je ne cesse de m’étonner de la violence du monde, et de ce qu’on la voie si peu. Mon travail d’écriture, j’aimerais qu’il serve à cela, à dire la violence invisible, dissimulée »
En finir avec Eddy Bellegueule est son premier roman.