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Frain Irêne ♦ La forêt des 29

La forêt des 29Inde du Nord, 1485. A la lisière du désert, les rajahs, les rathores seigneurs des lieux, rivalisent de palais mirifiques. Pour les ériger, ils doivent alimenter les fours à chaux et abattent les arbres par milliers.

Or, comme les Vieux l’avaient prédit, une sécheresse effroyable se met à ravager la région. Au cœur de la catastrophe, un humble paysan se dresse : Djambo, dit aussi Jambhoji.

 « Vénérable Djambo » ou Jambheshwar 1451-1535, jeune homme rejeté par les siens, a rejoint le peuple des pauvres. Dans sa longue errance, il a tout vécu, la faim, les deuils, la route, les mirages destructeurs de l’orgueil et de la richesse, la douleur de l’amour trahi. Mais il a surtout appris à connaître la Nature. Le premier, il comprend que la sécheresse n’est pas une vengeance des dieux, mais celle de la nature maltraitée. Avec quelques hommes et femmes de bon sens, il fonde une communauté qui permet la survie de tous grâce à l’application de 29 principes simples. La vénération des arbres est le pilier de cette communauté, dont les adeptes ont pris le nom de « 29 » en hindi : les Bishnoïs puisque bishnoï et noï signifient respectivement « 20 » et « 9 » en hindi.

La démarche de Djambo frappe les esprits et son efficacité fait école. Dès 1500, l’Inde du Nord compte des centaines de villages de  » 29 « . Gestion rationnelle de l’eau, respect des femmes, protection des animaux sauvages, compassion envers tous les vivants, égalité des castes : les principes des Bishnoïs séduisent les hommes les plus divers. Les politiques les respectent et ils vivent en paix. Mais en 1730, le maharadjah de Jodhpur est pris à son tour de folie bâtisseuse. Venant à manquer de bois, il expédie son armée dans une forêt qui appartient à une femme Bishnoï, Amrita.  » Plutôt mourir !  » déclare-t-elle aux soldats en s’enlaçant à un arbre. Elle est décapitée. Ses filles l’imitent et sont massacrées. D’autres Bishnoïs prennent la suite, eux-mêmes trucidés. Ce massacre semble ne jamais devoir finir. Mais à la 363e victime, le chef de l’armée, écœuré, renonce. Et le maharadjah, troublé, décide de protéger à jamais les  » 29 « , leurs animaux et leurs forêts.

Sur fond de steppes arides et de palais princiers, c’est cette épopée historique méconnue que ressuscite Irène Frain, après une enquête au Rajasthan sur les pas du légendaire Djambo, puis chez les Bishnoïs eux-mêmes, qui font actuellement figure de pionniers de l’écologie moderne, et donnent à ce roman flamboyant des allures de conte initiatique.

Tout ce que l’on sait de Djambo a été véhiculé par la tradition populaire transmise par les bardes itinérants, les Charans, nombreux au Rajasthan. Mais lors de son enquête, Irène Frain a eu accès à de très rares traductions en anglais des enseignements de Jambhoji, les Shabadwani, formulés dans les années 1490-1535 dans un dialecte du Rajasthan, souvent sous la forme de chansonnettes ou comptines très simples et faciles à mémoriser. Elle a été la première à les étudier de près – aucun anthropologue ne s’est encore intéressé au parcours de Jambhoji ni aux Bishnoïs.

Bien que Jambhoji ait prêché pendant près de 50 ans, seuls 120 versets de ces Shabadwani sont aujourd’hui connus, qui sont toujours récités par les Bishnoïs. Jambhoji a laissé de nombreuses traces aux alentours de Bikaner (par exemple, sa maison natale de Pipasar est pieusement conservée), mais les souvenirs de lui sont la plupart du temps idéalisés par la mémoire populaire. Il serait né en 1451, le jour de Janmashtami (anniversaire de la naissance de Krishna, dieu des Vachers), dans un village reculé du nord du Rajasthan, Pipasar. Fils unique et tardif de Lohatji Panwar et de Hansa Devi, il aurait été jusqu’à 7 ans un enfant si renfermé qu’on le croyait muet. On le décrit pareil au dieu Krishna, vivant dans la campagne dans la seule compagnie de ses vaches, ou vagabond. Jambhoji fut à coup sûr marqué par les conflits sanglants qui opposaient souvent hindous et musulmans, et révolté par les souffrances de ces derniers, qui étaient en minorité dans la région – il est d’ailleurs enterré sur l’emplacement d’un cimetière musulman. Il dut être choqué par le fait qu’à la première catastrophe venue, on prenait les intouchables comme boucs émissaires ; souvent, on les brûlait vifs. Jambhoji, lui, les accepta dans ses communautés.

Il aurait commencé ses prêches à l’âge de 34 ans, dit aussi la légende, devant un petit groupe d’errants qui fuyaient la sécheresse, et après une illumination sur la dune de Samrathal, non loin de son village natal. Jambhoji ne proposa pas une nouvelle religion au sens strict, mais plutôt une autre façon de vivre, régie par 29 principes, certains très concrets, à la portée des paysans les plus simples, et fondée sur la reconnaissance du divin dans la nature, le respect et la protection de l’environnement, notamment la faune et la flore, en tant que créations d’un dieu suprême. Ce dieu n’est jamais représenté par une image, contrairement à ce que font les hindous. Jambhoji a aussi intégré dans sa philosophie certains principes de l’islam et du bouddhisme. Il refusa tout particulièrement l’usage hindou de brûler les morts – non pour s’attirer les musulmans, mais pour protéger les arbres. Les Bishnoïs enterrent donc les défunts dans leurs champs et le font de leurs mains – une pratique inacceptable pour les hindous, qui considèrent ce geste comme une souillure ineffaçable et délèguent la besogne aux intouchables, des hommes qu’ils jugent impurs et méprisent au dernier degré.

Depuis 1536, la dépouille de Jambhoji repose toujours dans sa tombe de Muckham, un lieu dont le nom signifie « la fin du voyage ». Les Bishnoïs contemporains l’ont abritée dans un imposant mausolée. Comme leurs ancêtres depuis la mort de Jambhoji, ils s’y réunissent deux fois par an pour une fête où ils réaffirment leurs convictions et leur foi dans les 29 principes.

Visionnaire, Jambhoji a compris quelque 500 années avant nous que le comportement et les actions des hommes pouvaient nuire à l’équilibre de la nature et, ce faisant, développer la violence et nuire à l’harmonie du « vivre ensemble ». Ses idées connurent un succès rapide dès les années 1590, car elles comportaient un volet très concret sur la gestion rationnelle de l’eau et des sols. Ce philosophe était aussi un esprit pragmatique. Il apprit aux paysans où et comment bâtir des barrages sur les éphémères rivières qui se formaient au moment des moussons afin de constituer des réservoirs d’eau, leur recommanda de construire des remparts de terre mêlée de sable et de les fixer grâce à des épineux, afin d’empêcher les redoutables tempêtes de poussière venues du désert d’envahir les villages et les champs cultivés. Enfin, pour reboiser la région et faire revenir la faune sauvage, tout Bishnoï avait l’obligation de planter des arbres et d’aller les arroser chaque jour.

Jambhoji créa ainsi très rapidement de plantureuses oasis de verdure. Elles éblouirent les paysans et les voyageurs, qui constatèrent que les Bishnoïs, même pendant les pires sécheresses, avaient toujours de quoi survivre, contrairement aux autres habitants de la région, car l’une des recommandations majeures était : « Ne consomme pas plus que tu n’en as besoin. » Une idée qui revient en force de nos jours, et qui se trouve au centre de l’écologie moderne ! Certains des principes de Jambhoji constituèrent aussi d’immenses avancées sociales, surtout pour les basses castes et pour les femmes – on notera ainsi que le premier des 29 principes institue le congé maternité… en 1485 !

L’étude de ses principes et de ses enseignements prouve aussi, selon Irène Frain, que Jambhoji était extrêmement attentif à l’hygiène physique. Il avait compris, dit-elle, que les épidémies et les parasitoses, fréquentes en Inde, comme la surmortalité infantile, se développaient faute de toilette quotidienne, de filtrage de l’eau et du lait, et de lavage strict des ustensiles de cuisine, qu’il prescrivait d’ébouillanter. L’asepsie plusieurs siècles avant Pasteur.

 

L’auteur :

Irêne FrainIrène Frain, née Le Pohon, le 22 mai 1950 à Lorient (Morbihan), est une femme de lettres française, romancière, journaliste et historienne. Elle est membre fondateur du Women’s Forum for the Economy and Society qu’elle fonde en 2008.

Elle appartient à une famille de cinq enfants, dont le père, d’abord garçon de ferme devient professeur pour adulte. Sa mère est couturière. En 1967, après avoir étudié au Lycée Dupuy-de-Lôme de Lorient, elle rentre à Khâgne (Nantes).

Elle se marie en 1969.

En 1972, elle obtient l’agrégation de lettres classiques, puis enseigne les lettres classiques dans le secondaire, notamment au Lycée Jacques-Decour à Paris 9ème et au Lycée de Lagny (Seine et Marne). À partir de 1975 le latin à la Sorbonne. Et ce, jusqu’en 1981.

En 1979, parait son premier essai et s’installe dans le Loir et Cher.

Née dans une famille encore très proche du milieu rural et de son dénuement, Irène Frain s’est d’abord signalée par un ouvrage historique publié en 1979 sur l’âge d’or de la Bretagne maritime, « Quand les Bretons peuplaient les mers ».

Elle consacre son premier roman « Le Nabab » (1982) à René Madec, petit mousse breton devenu nabab en Inde. Cette fresque épique de l’Inde du XVIIIe siècle, connaît un succès foudroyant et les romans suivants consacrent le talent d’Irène Frain : sens aigu de l’intrigue, écriture tantôt sèche tantôt flamboyante, don de faire vivre le lecteur en empathie avec ses personnages, humour certain, imagination foisonnante.

En 1984, elle commence une carrière journalistique (Paris-Match, Elle, VSD, L’équipe)

De roman en roman : « Modern Style » (1984), « Désirs » (1986), « Secret de famille » (1989), « Histoire de Lou » (1990), « Devi » (1992), « L’homme fatal » (1995), « Les hommes, etc. » (2003), « Au Royaume des Femmes » (2007), « Les Naufragés de l’île Tromelin » (2009) qui a été récompensé par le Grand Prix de l’Académie de marine, le Grand Prix Palatine du roman historique et le Prix Relay du roman d’évasion, l’intérêt des lecteurs pour ses écrits et l’originalité de sa personne ne s’est jamais démentie.

On note dans l’œuvre d’Irène Frain deux courants profonds : une passion pour les enjeux inhérents à la condition féminine et une prédilection accusée pour l’Orient — les deux se recoupant souvent. Son dernier ouvrage, Beauvoir in love (2012) fondé sur une enquête aux États-Unis et à l’Université de Columbus, Ohio, a éclairé un pan mal connu de la passion du Castor pour l’écrivain américain Nelson Algren. Elle a ainsi pu mettre en scène des épisodes inconnus du parcours de Beauvoir et éclairer des traits de sa psychologie jusqu’ici ignorés, retouchant ainsi le portrait souvent biaisé, voire négatif que Beauvoir fit de son amant américain après leur rupture. Elle y souligne aussi le rôle d’Algren dans la genèse du Deuxième Sexe. Grande voyageuse, la romancière attribue son goût de l’Asie à sa naissance à Lorient, ancien port de la Compagnie des Indes, autrefois orthographié L’Orient.

Plusieurs de ses récits de voyage illustrent cette prédilection : « Quai des Indes » (1992) son enquête sur la célèbre femme-bandit indienne Phoolan Devi, « La vallée des hommes perdus » (1995), en collaboration avec le dessinateur de BD André Juillard, « Pour que refleurisse le monde » (2002) avec Jetsun Pema, sœur du Dalaï-lama, et, après son voyage en Chine et au Tibet avec son mari, sur les traces du célèbre explorateur américain Joseph Rock, « Au Royaume des femmes » (2006) et « À la recherche du Royaume » (2007) inspiré par la longue enquête d’Irène sur Joseph Rock, avec des photos de François Frain. Elle soutient depuis l’association Aide à l’Enfance Tibétaine.

En octobre de la même année, elle publie chez Timée un album illustré  » Gandhi » où elle retrace le parcours du Mahatma, avec des images d’archives souvent inédites.

Sa passion de l’enquête peut aussi se manifester dans « La Guirlande de Julie » (1991) sur la naissance du langage des fleurs et de la civilité amoureuse en France, « L’Inimitable » (1998) biographie historique de Cléopâtre, « Gandhi, la liberté en marche » (2007) ou « La Forêt des 29 » (2011), qui relate le parcours de Jamboji, fondateur de la communauté des Bishnoïs.

Admiratrice de Julien Gracq, Irène Frain lui a consacré en 2001 un court essai : « Julien Gracq et la Bretagne ».

On note aussi son intérêt pour l’art de vivre : « Le bonheur de faire l’amour dans sa cuisine et vice-versa » (2004) et, dès le début de son parcours, un goût affirmé pour les contes : « Contes du Cheval bleu les jours de grand vent » (1980), republié et réaménagé sous le titre « Le Navire de l’homme triste et autres contes marins » (2010) « La Fée Chocolat » (1995) « Le Roi des Chats » (1996).

Irène Frain a relaté une partie de son enfance bretonne dans « La côte d’amour » (2001) avec des photos de Christian Renaut et « Dans La maison de la source » (2000).

En 2008, Irène continue son action d’ambassadrice en faveur de l’enfance tibétaine au sein de l’association “Aide à l’enfance tibétaine” (AET)  dont la présidente d’honneur est jetsun Pema, soeur de Sa Sainteté le Dalaï-lama.

Elle poursuit bien sûr son engagement en faveur du bon et vrai chocolat au Club des Croqueurs de chocolat, notamment au sein de son Conseil d’administration. Elle vient de relater la légendaire fondation du Club sur le site du Club: www.croqueurschocolat.com/

En 2010, Irène est faite Officier de la Légion d’honneur.

Elle se retire en Bretagne ou en Loir-et-Cher pour écrire son prochain roman  » La Forêt des 29″, et réadapter un recueil de contes  » Le Navire de l’Homme triste et autres contes marins » qui paraît à la mi-novembre.

Parallèlement, elle poursuit sa galerie de portraits dans Paris-Match. Après Laetitia Casta, celui du couturier Giorgio Armani, qu’elle suit de Milan à Dubai pendant plusieurs semaines, est l’un des plus remarqués.

En février 2011, elle publie son 29ème roman «  La Forêt des 29 » dans lequel elle met en scène sous forme de docu-fiction l’itinéraire de Jamboji, fondateur au XVe siècle de la communauté Bishnoï en Inde. Elle y reconstitue également le massacre-immolation qui eut lieu en 1730 à Khejarli, près de Jodhpur. 363 hommes, femmes et enfants y donnèrent leur vie pour protéger les arbres d’une forêt appartenant à la paysanne Bishnoï Amrita Devi.

Elle est membre du Comité d’honneur de l’ADMD (Association pour le Droit de Mourir dans la Dignité).  Certaines de ses actions sont considérées comme militantes pour le Tibet.

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