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Shimazaki Aki ♦ Le poids des secrets -1:Tsubaki

Le poids des secrets - Tsubaki-1Tsubaki veut dire camélia en japonais.

Avant de mourir Yukiko révèle à sa fille Namiko la vérité sur sa vie par le biais de deux lettres : une pour elle et une autre pour son frère Yukio dont Namiko apprend du coup l’existence.

 Car dans son adolescence Yukiko a appris un terrible secret de famille qui l’a poussé à commettre l’irréparable. C’est aussi l’époque où Yukiko connaît l’existence de l’amour, mais d’un amour impossible.

Yukiko adore les camélias et elle demande à être enterrée au milieu du parterre de camélias qu’elle avait planté avec son mari. Yukiko a perdu son père avec la bombe atomique de Nagasaki qui fut la deuxième bombe lâchée par les américains, trois jours après Hiroshima et qui fit 80 000 morts. Elle apprendra à ce moment là que son père avait une double vie. Elle fera sa vie à l’étranger avec un mari qui la fera sortir du Japon, elle aura du mal à oublier son passé.

 

Dans une lettre laissée à sa fille Namiko après sa mort, Yukiko, une survivante de la bombe atomique, évoque les épisodes de son enfance et de son adolescence auprès de ses parents, d’abord à Tokyo puis à Nagasaki. Elle reconstitue le puzzle d’une vie familiale marquée par les mensonges d’un père qui l’ont poussée à commettre un meurtre.

Obéissant à une mécanique implacable qui mêle vie et Histoire, ce court premier roman marie le lourd parfum des camélias (tsubaki) à celui du cyanure. Sans céder au cynisme et avec un soupçon de bouddhisme, il rappelle douloureusement que nul n’échappe à son destin.

C’est une histoire où l’amour et la mort sont intimement liés, un texte bref qui parle de l’égoïsme d’un homme, d’un adultère fatal et d’une complicité entre deux adolescents, de leur amour naissant mais impossible. Mais au-delà des secrets bien gardés, des dissimulations et des mensonges, c’est aussi une peinture de la famille japonaise dans la première moitié du XXè siècle. le poids des convenances ne permet pas les mariages d’amour, on ne choisit pas son conjoint, on souscrit à l’opinion des parents et il faut beaucoup de courage et souvent une rupture avec la famille pour être maître de son propre destin amoureux. Certains l’ont, d’autres préfèrent se conformer à la volonté parentale. Et puis, il y a aussi l’ombre de Nagasaki qui plane sur cette histoire. Mais là encore, la pudeur et la dignité s’imposent. La terrible catastrophe est tue, la terreur et la douleur sont passées sous silence. Nulle haine, nul désir de vengeance mais l’acceptation de ce qui ne peut être changé.
Sobre et pudique, un roman tout en nuances qui conte les petites histoires d’une famille qui vit ses propres drames en parallèle des grands drames de la grande histoire.

Mr Horibe est amoureux de Mariko, une jeune orpheline d’origine coréenne, qui ne sera jamais acceptée par ses parents. Cédant aux pressions de sa famille, il en épousera une autre avec laquelle il a une fille Yukiko. Mais Mariko était également enceinte et va élever seule son petit garçon, Yukio. Mr Horibe vient souvent les voir le soir et les 2 enfants jouent même souvent ensemble en fin d’après-midi. Ils deviennent les meilleurs amis du monde, sans savoir qui ils sont l’un pour l’autre et font le pacte, à l’âge de 4 ans, de se marier un jour ensemble. Mais Mariko va rencontrer Mr Takahashi qui lui propose de l’épouser et d’adopter Yukio. Il a déjà été marié mais a répudié sa première femme, sous la pression lui aussi de sa famille, car ils n’ont pu avoir d’enfants ensemble. Cette famille là encore essaie d’empêcher cette union mais Mr Takahashi ne cède pas et part avec Mariko et Yukio à Nagasaki.

Plusieurs années plus tard il sera envoyé pour le travail en Mandchourie alors que la famille de Mr Horibe s’installe dans la maison voisine à côté de Nagasaki. Adolescents, Yukio et Yukiko tombent amoureux sans pourtant se reconnaître. Mais Yukiko découvre la relation de son père et de Mariko, que Yukio est son demi-frère et donc que leur amour est impossible et également que c’est son père qui a fait partir Mr Takahashi pour reprendre son histoire avec Mariko. Elle décide de tuer son père. Elle choisira de l’empoisonner au cyanure et le hasard fait qu’elle choisit le jour où la bombe atomique tombe sur leur village proche de Nagasaki pour exécuter ce projet. Elle-même, sa mère, Mariko et Yukio ne sont pas présents au village ce jour là et survivent alors que son père sera retrouvé dans les décombres de la maison et que pour tout le monde il aura été tué par la bombe.

 

L’auteur:

Aki ShimazakiAki Shimazaki est une écrivaine québécoise, née en 1954 à Gifu au Japon. Elle a immigré au Canada en 1981 et vit à Montréal depuis 1991. Ses livres ont été traduits en anglais, en japonais, en serbe, en allemand et en hongrois.

Aki a d’abord travaillé au Japon pendant cinq ans comme enseignante d’une école maternelle et a également donné des leçons de grammaire anglaise dans une école du soir. En 1981, elle émigre au Canada où elle passe ses cinq premières années à Vancouver, en travaillant pour une société d’informatique. Après cela, elle part vivre pendant cinq ans à Toronto. À partir de 1991, elle s’installe à Montréal où, en plus de son activité littéraire, elle enseigne le japonais. Ce n’est qu’en 1995, à l’âge de 40 ans, qu’elle commence à apprendre le français par elle-même ainsi que dans ​une école de langue.

L’écrivaine hongroise et suisse Agota Kristof, auteur de la trilogie Le Grand Cahier (1986) a été un modèle particulier d’inspiration et de motivation pour Aki Shimazaki.

 

Le poids des secrets:

– Tsubaki, 1999

– Hamaguri, 2000, prix Ringuet de l’Académie des lettres du Québec

– Tsubame, 2001

– Wasurenagusa, 2002, Prix littéraire Canada-Japon du Conseil des Arts

– Hotaru, 2005, Prix du Gouverneur général 2005

 

Il faut lire les cinq courts volumes d’un seul tenant, dans l’ordre voulu par Azi Shimazaki, pour voir se mettre en place intrigues et caractères tel un puzzle narratif.

L’histoire de cette pentalogie est construite autour de secrets pesant sur plusieurs générations d’une même famille dans le Japon du XXème siècle. Elle nous est contée selon plusieurs points de vue, au rythme des mensonges et des découvertes de chacun.

Le nœud originel, qui ouvre le premier tome « Tsubaki », est la relation amoureuse et incestueuse de Yukiko et Yukio, frère et sœur qui s’ignorent, à l’aube de la catastrophe de Nagasaki. L’on suit la liaison adultère entretenue par M.Horibe, père des deux adolescents, avec la mère de Yukio.

Les romans suivants constituent un retour en arrière, dans les premières années du siècle.

Dans le second tome, la narration adopte le point de vue de Yukio, spectateur impuissant de la tristesse maternelle, enfant illégitime puis amoureux éconduit.

Ensuite c’est l’histoire de sa mère, Mariko Kanazawa née Coréenne et orpheline suite au tremblement de terre de 1923, qui est contée. Jeune fille séduite mais abandonnée à cause des convenances sociales, elle épouse le collègue de son ancien amant.

Manquait une vision pour parachever le tableau, celle de l’époux de Mariko et père adoptif de Yukio. M. Takahashi, homme généreux et aimant, se révèlera lui aussi enferré dans un secret de filiation qu’il ne percera que sur le tard. Il narre l’histoire de sa famille et son amour pour Mariko et son enfant dans le tome 4.

Progressivement, nous revenons à l’époque contemporaine.

 

Le volume 1 mettait en scène Namiko, fille de Yukiko, découvrant les secrets de sa mère à l’âge adulte via une lettre post-mortem. Le dernier volume instaure également un dialogue entre générations, entre une Mariko mourante et sa petite-fille à la veille de sa vie de femme.

La trame historique japonaise est omniprésente et entre en résonance avec les affres personnels vécus par les personnages : tremblement de terre de 1923, Seconde guerre mondiale, de la politique expansionniste du Japon jusqu’aux désastres des bombes atomiques en passant par les liens avec la Russie. Ces évènements sont aussi prétextes à mettre en scène des réalités sociales : place des femmes, surtout célibataires, des enfants naturels, des étrangers, mariages arrangés, classes sociales.

Le roman trouve aussi toute sa profondeur en mettant en scène la spiritualité japonaise. Le shintoïsme, le bouddhisme et le catholicisme sont explicitement évoqués.

Ainsi la nature est un élément prépondérant de l’œuvre. Elle fait sens dans l’économie du récit : les hirondelles, les fleurs, les coquillages et les lucioles qui donnent leurs noms aux différents volumes sont également des ressorts narratifs. Leur rôle allégorique est plus prégnant. En effet ces éléments sont de véritables leitmotive : ils deviennent des prénoms ou des surnoms, révélant ainsi des personnalités, des scènes se répètent (la cueillette des fleurs dans une nature salvatrice, le jeu des coquillages ne pouvant s’unir parfaitement qu’une fois) créant des liens entre générations. D’une manière générale, la nature et ses éléments fondamentaux scandent les étapes du roman et l’évolution psychique des personnages : cours d’eau, feu des bombes, vent, campagne et forêt. L’utilisation récurrente de termes japonais met en valeur ces thèmes.

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