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… vu par Arlette

Slimani Leïla ♦ Le parfum des fleurs la nuit

Seule pour une nuit au cœur de la Douane de Mer, ancien bâtiment transformé en musée d’Art, ce musée vénitien dont la pointe ouvre le Grand Canal, Leïla Slimani se confie au gré de l’inspiration que lui procurent les œuvres exposées, ou des réminiscences que la veille suscite dans un lieu aussi particulier.

Souvenirs d’enfance, Rabat, le départ qui fait que l’appartenance sera toujours mouvante, réflexion sur l’Art, sur le processus d’écriture, la féminité. L’image du père, lointaine, celle d’un patriarche qui a laissé son empreinte sur le bras usé d’un fauteuil, rejoint l’évocation du passé fondateur.

Comme un écrivain qui pense que « toute audace véritable vient de l’intérieur », Leïla Slimani n’aime pas sortir de chez elle, et préfère la solitude à la distraction. Pourquoi alors accepter cette proposition d’une nuit blanche à la pointe de la Douane, à Venise, dans les collections d’art de la Fondation Pinault, qui ne lui parlent guère ?

Autour de cette « impossibilité » d’un livre, avec un art subtil de digresser dans la nuit vénitienne, Leila Slimani nous parle d’elle, de l’enfermement, du mouvement, du voyage, de l’intimité, de l’identité, de l’entre-deux, entre Orient et Occident, où elle navigue et chaloupe, comme Venise à la pointe de la Douane, comme la cité sur pilotis vouée à la destruction et à la beauté, s’enrichissant et empruntant, silencieuse et raconteuse à la fois.

C’est une confession discrète, où l’auteure parle de son père jadis emprisonné, mais c’est une confession pudique, qui n’appuie jamais, légère, grave, toujours à sa juste place : « Ecrire, c’est jouer avec le silence, c’est dire, de manière détournée, des secrets indicibles dans la vie réelle ». C’est aussi un livre, intense, éclairé de l’intérieur, sur la disparition du beau, et donc sur l’urgence d’en jouir, la splendeur de l’éphémère.

Leila Slimani cite Duras : « Ecrire, c’est ça aussi, sans doute, c’est effacer. Remplacer ». Au petit matin, l’auteure, réveillée et consciente, sort de l’édifice comme d’un rêve, et il ne reste plus rien de cette nuit que le parfum des fleurs. Et un livre.

 

La collection « Ma nuit au musée » des éditions Stock continue de rassembler les grandes plumes de littérature française autour d’un challenge littéraire et culturel à relever : passer une nuit, seul dans le musée de son choix et en produire un récit. Ici c’est au tour de Leïla Slimani de choisir le musée d’Art Moderne de la fondation Pinault, le « palazograssi » de Venise.

Un texte dense et inattendu pour cette collection originale.

L’auteur :

Leïla Slimani, née le 3 octobre 1981 à Rabat au Maroc, d’une mère médecin franco-algérienne et d’un père banquier marocain, est une journaliste et écrivaine franco-marocaine. Elle a la nationalité française et se sent aussi pleinement européenne qu’africaine, loin des débats incertains sur l’identité qui agitent l’Hexagone.

Élève du lycée français Descartes de Rabat, Leïla Slimani grandit dans une famille d’expression française. On parlait français à la maison, si bien qu’elle parle mal l’arabe.

Sa mère, Béatrice-Najat Dhobb Slimani, de mère alsacienne et de père algérien, est médecin ORL, et a été une des premières femmes à intégrer une spécialité médicale au Maroc. Ses parents se sont rencontrés en 1944 pendant la Seconde Guerre mondiale, quand Lakhdar, un spahi algérien, participe à la Libération du village d’Anne, issue de la bourgeoisie alsacienne. Après la guerre, elle s’est installée avec lui au Maroc.

Son père, Othman Slimani, est banquier et un haut fonctionnaire marocain. Il est né à Fès, puis est venu étudier en France avant de retourner au Maroc pour devenir secrétaire d’état dans les années 1970. Il a ensuite dirigé une banque jusqu’à ce qu’un scandale financier lui vaille de tomber en disgrâce. Amoureux de la langue française ayant lui-même fait ses études en France, son père l’éduque, avec ses deux sœurs, dans la langue de Molière.

Après une ascension professionnelle remarquable, celui-ci s’est retrouvé à 61 ans, empêtré dans un scandale de détournement de fonds. À partir de ce moment-là, son monde s’est écroulé. « Ça a été une longue descente aux enfers. Il n’a jamais voulu fuir le Maroc parce qu’il se savait innocent. Il a été incarcéré durant 4 mois alors que j’avais 21 ans», explique l’écrivaine à nos confrères du Monde. Avec un mari enfermé, la mère de Leïla Slimani a dû s’occuper de tout à la maison. « Je lui voue une admiration extraordinaire »,

Il est mort en 2004. Des années après sa disparition, la justice a reconnu ses torts. « ll a été entièrement innocenté, à titre posthume ». « C’était une erreur judiciaire, il avait servi de bouc émissaire. Une « erreur judiciaire » qui a bouleversé la vie de cette famille.

Après son baccalauréat obtenu en 1999, Leïla Slimani a quitté le Maroc à 17 ans, pour entrer en hypokhâgne au lycée Fénelon à Paris, après avoir un temps envisagé de devenir psychiatre.

Son amour pour l’écrivain Stefan Zweg l’a menée à entreprendre à l’âge de 20 ans, un pèlerinage zweigien en Europe de l’Est, à Vienne, Prague et Budapest.

C’est à l’issue de son cursus à Sciences-Po Paris et devenue diplômée de l’Institut des Études Politiques de Paris qu’elle entreprend de vivre par les mots, intégrant en 2008 – année de son mariage avec un banquier parisien – l’équipe de JA, pour lequel elle couvre le Maroc. Cela lui permet de se lier, entre autres, avec l’écrivain marocain Tahar Ben Jelloun, qui lui prodigue de précieux conseils.

Elle s’essaie au métier de comédienne (Cours Florent), mais prend très vite conscience qu’elle est une « comédienne médiocre ». Elle décide alors de compléter ses études à ESCP Europe (École supérieure de Commerce) pour se former aux médias. À cette occasion, elle rencontre Christophe Barbier, alors parrain de sa promotion, qui lui propose un stage à L’Express. Finalement, elle est engagée au magazine Jeune Afrique en 2008 et y traite des sujets touchant à l’Afrique du Nord.

Devenue mère en 2011, elle démissionne de la rédaction de Jeune Afrique en 2012, pour se consacrer à l’écriture, tout en restant pigiste pour le journal.

En 2013, son premier manuscrit « La baie de Dakhla : Itinérance enchantée entre mer et désert » est refusé par toutes les maisons d’édition auxquelles elle l’avait envoyé. Elle entame alors un stage de deux mois à l’atelier de l’écrivain et éditeur Jean-Marie Laclavetine. Elle déclare par la suite : « Sans Jean-Marie, Dans le jardin de l’ogre n’existerait pas »

En 2014, elle s’attelle à l’écriture d’un livre « Dans le jardin de l’ogre », roman parlant sans tabou de la nymphomanie. C’est le deuxième de sa main, mais le premier à être édité par la maison Gallimard, dans sa prestigieuse collection « Blanche ». L’idée de ce roman lui est venue, alors qu’elle s’occupait de son fils en regardant la télévision, alors entièrement occupée par l’affaire DSK. Elle décide de donner vie à un personnage féminin à l’appétit sexuel dément. Ce livre reçoit un succès critique et commercial très prometteur, sinon annonciateur. Le sujet (l’addiction sexuelle féminine) et l’écriture sont remarqués par la critique et l’ouvrage est sélectionné dans les cinq finalistes pour le prix de Flore 2014.

Son deuxième roman, Chanson douce, dédié à son fils, obtient le prix Goncourt 2016

Mais cette réussite ne détourne pas Leïla Slimani de son goût pour l’enquête journalistique, la Franco-Marocaine se préparant à publier en janvier 2017, Sexe et Mensonges, fruit de deux ans d’enquête – un essai rassemblant des entretiens sur la sexualité au Maroc réalisés avec des femmes rencontrées dans son pays natal.

Au second tour de l’élection présidentielle de 2017, elle apporte son soutien à Emmanuel Macron pour contrer « le déclinisme et la haine » qu’incarne à ses yeux Marine Le Pen, mais aussi « par adhésion », car « la jeunesse, la modernité d’Emmanuel Macron – également fervent défenseur de l’égalité des hommes et des femmes – donneront un nouvel élan à la France, qui est actuellement enlisée dans une forme de grand pessimisme », estime l’écrivaine. Il lui aurait même proposé le portefeuille de ministre de la Culture, ce qu’elle ne confirme pas, mais ne dément pas non plus.

En juin 2017, Leïla Slimani reçoit l’Out d’or du « coup de gueule » de l’Association des journalistes LGBT, pour avoir critiqué la pénalisation de l’homosexualité au Maroc et le contrôle du corps des femmes.

Le 6 novembre 2017, elle devient la représentante personnelle du président Emmanuel Macron pour la francophonie, afin de siéger au Conseil permanent de l’Organisation internationale de la francophonie.

Dans une interview à Telquel, elle se confie sur sa double identité nationale : « Je suis née avec la nationalité française et je me suis toujours sentie 100 % française et 100 % marocaine, donc je n’ai jamais eu de problème par rapport à ça. Le regard de l’autre je m’en fiche complètement. Je ne me laisse pas enfermer dans des identités. Ce serait un peu malvenu de ma part de me plaindre alors que c’est beaucoup plus une souffrance pour des gens qui sont nés en France, qui ont des noms maghrébins, et qui sont constamment ramenés à leur identité maghrébine. Pour moi, c’est différent. J’ai une “vraie” double nationalité, une vraie double appartenance. Donc, que les gens me ramènent à mon identité marocaine, eh bien tant mieux, je suis marocaine. »

La sortie en 2017 de son essai Sexe et Mensonges : La Vie sexuelle au Maroc, encensé par l’écrivain Kamel Daoud et remarqué par la critique, déclenche une polémique avec les Indigènes de la République après que Houria Bouteldja, porte-parole de l’association, a qualifié la romancière de « native informant » – anglicisme signifiant littéralement informateur autochtone  – « notion que les études postcoloniales ont forgée pour désigner les personnes de couleur qui, surcompensant un complexe d’infériorité à l’égard des Blancs, imitent ces derniers pour leur plaire et être reconnues par eux », observe Fatiha Boudjahlat. Sur les réseaux sociaux, elle est régulièrement insultée par des racistes et par des islamistes

Elle est la présidente du prix du Livre Inter en 2018 et est membre du jury du Festival du cinéma américain de Deauville 2018.

En 2020, elle publie son nouveau roman Le pays des autres, premier tome d’une trilogie.

Leïla Slimani est mariée depuis 2008 à Antoine, un banquier avec lequel elle a deux enfants : un garçon Émile, né en 2011 et une fille en 2017.

 

Œuvre :

  • 2013 : La Baie de Dakhla : Itinérance enchantée entre mer et désert,
  • 2014 : Dans le jardin de l’ogre,
  • 2016 : Chanson douce – Prix Goncourt 2016.
  • 2016 : Le diable est dans les détails
  • 2017 : Sexe et Mensonges : La Vie sexuelle au Maroc
  • 2017 : Paroles d’honneur
  • 2017 : Simone Veil, mon héroïne
  • 2018 : Comment j’écris : Conversation avec Éric Fottorino
  • 2020 : Le Pays des autres
  • 2021 : Le parfum des fleurs la nuit

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