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… vu par Arlette

Indridason Arnaldur ♦ La pierre de remords

Il s’agit du 3ème livre volet de la série Konrað, La Pierre du remords (Tregasteinn), écrit par Arnaldur Indriðason et traduit par Eric Boury, paru le 4 février 2021. C’est impitoyable sur les regrets et le désespoir du remords.

Une construction haletante et surprenante sur l’inévitabilité d’un passé qui refuse de se laisser oublier.

Une femme âgée, Valborg, est sauvagement assassinée chez elle, étouffée avec un sac en plastique. Quelqu’un s’est introduit chez elle, l’a tuée, puis a mis son appartement sens dessus dessous. Valborg avait peu d’amis, parlait peu d’elle-même, vivait seule, modestement, comme en sourdine, une existence morne et banale, enlisée, immobile. Elle ne s’était jamais autorisée à vivre, écrasée par son passé.

Sur son bureau, on retrouve le numéro de téléphone de Konrad, ancien policier et veuf. L’enquête révèle rapidement qu’elle l’avait contacté récemment pour lui demander de retrouver l’enfant qu’elle avait mis au monde cinquante ans plus tôt, et qu’elle avait abandonné juste après sa naissance. Elle l’avait eu dans des conditions qui rendaient impossible qu’elle le garde.

Konrad n’avait pas envie de se charger de l’affaire et refuse. Aussi, quand il apprend qu’elle a été sauvagement assassinée, il se sent mal et se demande si sa mort a un lien avec son souhait de retrouver l’enfant. Il estime qu’il doit réparer son erreur et se lance dans l’enquête avec l’accord plus ou moins consenti de son ancienne collègue, Marta.

Konrad, comme Erlendur, le précédent héros, sont deux hommes blessés, hantés par le passé qui cherchent d’abord à rendre justice aux victimes disparues, à leur donner la paix par-delà les tombeaux.

Maintenant à la retraite. Il s’ennuie. Il est aussi bourrelé de remords. Ennui et remords. Alors il enquête et ça marche là où Marta, l’inspectrice en charge de l’enquête et ex collègue de Konrad, et toute la police de Reykjavik, calent. Car l’inspecteur Konrad a beau être à la retraire, il a des ressources. Il a gardé des contacts qui lui permettent d’avoir des informations qui semblent inaccessibles à son ancienne collègue. Et il a de la ressource. Il comprend vite, fait les connexions. Trouve ce qui cloche et regarde là où il faut regarder, pose les questions qu’il faut poser… Il retrouve les membres d’un mouvement religieux contre l’avortement et reconstruit l’histoire d’une jeune fille violée dans le bar où elle travaillait. Il retrouve aussi un clochard équivoque, des trafiquants de drogue et même des fragments de l’histoire de la mort violente de son père.

Au fil de l’enquête, il mesure l’ampleur de la tragédie dans laquelle son intuition et son entêtement l’ont plongé. Konrad se révèle un enquêteur sensible à la souffrance des autres, d’une humanité touchante.

En même temps, il continue les investigations à propos du meurtre de son père, escroc notoire, tué devant les abattoirs de Reykjavik. Il est pour cela en lien avec Eyborg la fille de l’associé de son père, médium convaincu de ses dons et de l’aide qu’il peut apporter aux gens qui souffrent. Nous apprenons dans cette enquête pourquoi Eyborg a rejeté le même don chez elle. Konrad, quant à lui, n’adhère pas du tout à ce genre de croyance. Ce qui donne des échanges un peu tendus parfois entre eux.

Dans une construction particulièrement habile et haletante, La Pierre du remords est un roman captivant et impitoyable sur la honte, le désespoir et l’intensité des remords qui reviennent nous hanter. C’est un Indriðason pur jus. L’auteur y développe ses thèmes fétiches : le développement d’un Reykjavík moderne au détriment des quartiers anciens de son enfance et l’explosion du tourisme de masse

Mais, Arnaldur Indriðason traite surtout des maux de son île. Comme souvent dans ses romans, l’on retrouve les problèmes qui minent une Islande lisse en surface : le pouvoir de l’argent, la violence conjugale, le viol et, corolaire à un malaise grandissant, la consommation de stupéfiants et les trafics qu’elle engendre.

 

Trois histoires se distinguent dans La pierre du remords :

L’auteur rythme son roman en intercalant trois enquêtes et en alternant les enquêtes contemporaines et les flash-backs.

  • Le meurtre sordide d’une vieille dame, Valborg.
  • L’enquête que Konráð mène pour retrouver l’enfant que Valborg avait abandonné à la naissance. Le policier à la retraite avait été sollicité par la vieille femme pour retrouver ce bébé, maintenant adulte. Apprenant sa mort tragique, il s’en veut de lui avoir refusé son aide et se lance donc sur la trace de l’enfant en question. Le meurtre de Valborg a-t-il un rapport avec cet abandon, bien des décennies plus tôt ?
  • Enfin, comme dans les deux précédents romans, Konráð continue à réunir des éléments sur l’assassinat violent de son père, un escroc doublé d’un homme violent et pervers. Pour cela, il bénéficie toujours du soutien d’Eyglo, la fille du complice de son père. L’auteur joue sur l’opposition entre Konráð et Eyglo.

Cette dernière est ouverte aux phénomènes inexpliqués, persuadée d’être douée d’un don de voyance. Eyglo est convaincue que, malgré son escroquerie, son père avait aussi un vrai don et qu’il n’était pas fondamentalement mauvais, rejetant toutes les fautes sur le père de Konráð, véritable manipulateur.

Konráð, quant à lui, est un rationnel pur et dur. Il ne croit pas plus au spiritisme qu’il ne croit en Dieu. Pour lui, ces histoires de médiums ne sont que des résultats psychologiques de persuasions sur des êtres faibles. Ils apprennent ainsi que les deux compères avaient honteusement abusé d’une femme qui venait de perdre son fils, dans des conditions tragiques.

L’écriture d’Arnaldur est fluide, précise et rythmée par des chapitres courts. La scène d’ouverture, où l’on se « promène » d’un appartement à l’autre, pénétrant les intimités, tel un voyeur est une page remarquable, à laquelle fait écho une scène similaire, près de la fin.

 

Le titre du roman, La pierre du remords, vient d’une légende selon laquelle un aigle aurait emporté un bébé dans la montagne.

La mère, décidée à récupérer son enfant, gravit la montagne et découvre un rocher couvert de sang. On suppose alors que l’enfant a été sacrifié par le rapace. Ce rocher porte dès lors le nom de « Tregasteinn », « la pierre du remords ».

Mais, dans ce titre, c’est surtout le mot « remords » qui est central.

  • Remords de Konráð de ne pas avoir assisté Valborg.
  • Remords de Konráð et Eyglo à propos des souffrances engendrées par leurs pères.
  • Remords de Regina, qui a accepté l’enfant abandonné, pour le rejeter ensuite.
  • Remords du meurtrier de Valborg, qui semble prisonnier du destin.

Quant à l’enquête qui transcende l’ensemble de la série, celle sur le meurtre du père de Konráð, Arnaldur donne de nouveaux éléments, notamment une certaine fenêtre et des fumoirs de viande allumés la nuit. De quoi nourrir la substance du quatrième épisode déjà publié en Islande, Þagnarmúr (Le mur du silence).

Et que penser de ce jeune policier, cette jeune recrue qui n’est pas nommée, présent dans le roman, sur lequel Arnaldur passe en s’y attardant quand même un peu ? Un futur remplaçant d’un Konráð vieillissant ?

L’auteur :

Arnaldur Indriðason, (le patronyme est parfois transcrit par Indridason), né le 28 janvier 1961 à Reykjavík, est un écrivain islandais, fils de l’écrivain Indriði G. Þorsteinsson, né en 1926, dans le nord de l’Islande, qui vivait dans le plus grand dénuement ayant été élevé dans une maison en tourbe.

Comme presque tous les Islandais, il est désigné par son prénom, Arnaldur. Son patronyme (qui, selon la tradition islandaise, est une simple marque de filiation, « Fils de Indrid », pour le distinguer de d’autres Arnaldur) est parfois transcrit par Indridason comme dans ses livres traduits en français, alors que la translittération correcte devrait être Indridhason, le dh se prononçant comme le th dans l’anglais the.

Quand Arnaldur Indriðason est né, son père habitait dans un immeuble récemment construit à Reykjavik. Lui aussi était écrivain, et ses romans traitaient de ces changements. Le plus célèbre, Terre et fils, racontait ainsi l’histoire d’un jeune homme contraint de quitter sa campagne.

En 1996, Arnaldur Indriðason obtient un diplôme en histoire à l’université d’Islande. Journaliste au Morgunblaðið en 1981-1982, il devient scénariste indépendant.

De 1986 à 2001, il travaille comme critique de films pour le Morgunblaðið. Aujourd’hui, il est l’auteur de quinze romans policiers dont 7 ont été traduits en français — dont plusieurs sont des best-sellers.

Arnaldur Indriðason publie son premier livre, Synir duftsins (littéralement « Fils de poussière ») en 1997. Cette publication marque pour certains, comme Harlan Coben, le départ d’une nouvelle vague islandaise de fiction criminelle. Quand il commence à écrire, en 1997, le roman policier a mauvaise réputation en Islande, ce n’est pas un genre « noble », la plupart des auteurs le tiennent pour un divertissement de médiocre qualité. Aujourd’hui, heureusement, le malentendu a été levé. Il y a une autre raison qui explique cette absence de tradition du roman policier, pourtant florissant dans le reste de la Scandinavie : son pays ne comptait que peu de criminels, fort peu de meurtres, et par conséquent peu d’enquêtes de police. Imposer un personnage de flic avec un nom typiquement islandais, des histoires qui se passent dans les rues de Reykjavík et des personnages qui vivent comme des Islandais constituait alors un véritable défi ! Les gens n’y croyaient pas. Mais depuis quinze ans, les crimes, ceux liés au trafic de drogue en particulier, se sont multipliés et sont devenus extrêmement violents. La société a profondément changé, elle est essentiellement urbaine. C’est de ce changement qu’il essaie de rendre compte, et ses romans s’inscrivent dans ce qu’on appelle le « réalisme social ».

Aux côtés d’Arni Thorarinsson, également auteur islandais de polars, Arnaldur déclare qu’« il n’existe pas de tradition de polar en Islande. [À cet état de fait, il y a deux raisons.] L’une tient en ce que les gens, y compris les écrivains, considéraient les histoires policières comme des mauvais romans […]. La deuxième raison, c’est que beaucoup d’Islandais ont longtemps cru en une sorte d’innocence de leur société. Très peu de choses répréhensibles se produisaient, et le peu de faits divers ne pouvaient pas donner lieu à des histoires policières. Ce qui explique qu’à [leurs] débuts, Arni Thorarinsson ou [Arnaldur ont] eu du mal à (s’)imposer [dans les milieux littéraires islandais]. »

Il fut nommé à maintes reprises écrivain le plus populaire d’Islande.

En 2004, ses livres ont fait partie des dix livres les plus empruntés à la Bibliothèque municipale de Reykjavík.

Ses livres ont été publiés dans 26 pays et traduits en allemand, danois, anglais, italien, tchèque, suédois, norvégien, néerlandais, catalan, finnois, espagnol, portugais et français.

Deux de ses œuvres : « La Cité des jarres » et « Hiver arctique » ont reçu, en 2002 et 2003, le Prix Clé de verre, la plus haute distinction scandinave.

Il a également gagné le « Gold Dagger Award », prix littéraire britannique, en 2005 pour « La Femme en vert », et son roman « L’Homme du lac » (Métailié, 2008) a reçu le Prix polar européen du Point.

Il est le premier à recevoir The Glass Key Prize du Skandinavia Kriminalselskapet, deux années consécutives.

En 2011, il reçoit le 1er Prix Boréales-région Basse-Normandie du Polar Nordique à l’occasion de ce festival et le prix espagnol RBA du roman noir en 2013.

En 2013, il sort « Étranges rivages. »

Cet écrivain partage désormais une reconnaissance internationale avec Arni Thorarinsson, Jon Hallur Stefansson, Stefan Mani et Yrsa Sigurðardóttir, eux aussi traduits en français.

Arnaldur Indriðason a adapté trois de ses livres pour la radio du service audiovisuel islandais RÚV. Le producteur islandais Baltasar Kormákur a travaillé à une adaptation de Mýrin, La Cité des Jarres (titré Jar City en français et sorti en France en septembre 2008).

Snorri Thórisson travaille sur une production internationale de Napóleonsskjölin. Arnaldur Indriðason est actuellement en collaboration avec l’Icelandic Film Fund pour l’écriture de deux scénarios d’après deux de ses nouvelles.

Il vit à Reykjavík avec sa femme et ses trois enfants. Les deux auteurs ayant fortement influencé Arnaldur Indriðason sont Maj Sjöwall et Per Wahlöö, deux écrivains suédois qui ont imaginé, dans les années 1960, les aventures de l’inspecteur Martin Beck.

Arnaldur Indridason refuse de passer à la télévision. Il n’aime pas quitter l’Islande, il a besoin de se concentrer sur ce qu’il veut écrire. Il n’aime pas les tables rondes dans les salons du livre, mais il aime passionnément rencontrer ses lecteurs au cours des signatures, il aime ses lecteurs. Il peut écouter toute une soirée des discours dans une langue qu’il ne comprend pas par amitié pour son traducteur, Éric Boury. Il aime le football.

BIBLIOGRAPHIE :

Enquêtes d’Erlendur Sveinsson :

  1. Les Fils de poussière : Synir duftsins (1997) – 2018
  2. Dauðarósir (1998) – Inédit en français
  3. La Cité des Jarres: Mýrin (2000) – Février 2005 – Prix Cœur noir, Prix Mystère de la critique en 2006, Prix Clé de verre en 2002 du roman noir scandinave
  4. La Femme en vert: GrafarÞögn (2001) – Février 2006 – Prix Clé de verre en 2003 du roman noir scandinave, Prix “The CWA Gold Dagger” en 2005, Grand Prix des lectrices de Elle Policier en 2007, Prix Fiction 2006 du livre insulaire de Ouessant
  5. La Voix: Röddin (2002) – – Février 2007 – Prix “The Martin Beck Award” en 2005, Grand Prix de Littérature Policière 2007, Lauréat du Trophée 813
  6. L’Homme du Lac: Kleifarvatn (2004) –  Février 2008 –
  7. Hiver arctique: Vetrarbotgin (2005) – Février 2009 –
  8. Hypothermie: Harðskafi (2007) – Février 2010 –
  9. La rivière noire: Myrká (2008) – Février 2011 –
  10. La muraille de lave: Svörtuloft (2009) – Février 2012 –
  11. Etranges rivages: Furðustrandir (2010) – Février 2013 –
  12. Le duel: Einvígið (2011) – Février 2014 –
  13. Les nuits de Reykjavik: Reykjavíkurnætur (2012) – Février 2015 –
  14. Le lagon noir: Kamp Knox (2014) – Février 2016 –
  • Les enquêtes d’Erlendur – Omnibus reprenant les 3 premiers tomes d’Erlendur -Novembre 2012 –
  • “Avant Erlendur” – Enquête de Marion, futur mentor d’Erlendur
  • Le duel– Février 2014 –

Trilogie des ombres :

  1. Dans l’ombre : Þýska húsið (2015) – Février 2017 –
  2. La femme de l’ombre : Petsamo (2016) – Octobre 2017
  3. Passage des ombres : Skuggasund (2013) – Mai 2018

 

Enquête de l’inspecteur Konrad :

  1. Ce que savait la nuit: Myrkið veit – 2019 –
  2. Les Fantômes de Reykjavik : Stúlkan hjá brúnni (2020) –
  3. La pierre du remords : Tregasteinn – 2021 – Février 2021
  4. Le mur du silence : Þagnarmúr

Autres :

  • Opération Napoléon : Napóleonsskjölin (1999) – 2015
  • Betty : Bettý (2003) – 2011
  • Le livre du roi : Konungsbók (2006) – 2013
  • Skuggasund
  • Leyndardómar Reykjavíkur (2000)  – roman dont chaque chapitre fut rédigé par un auteur différent
  • Reykjavík-Rotterdam (2008), scénario du film de Óskar Jónasson, en collaboration avec le metteur en scène

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