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Rahimi Atiq ♦ La pierre de patience – Sungué Sabour

la pierre de patienceSyngué sabour est le troisième roman d’Atiq Rahimi. C’est néanmoins son premier roman écrit directement en français, après trois romans précédents écrits dans sa langue natale.

Le 10 novembre 2008 ce roman reçoit le Prix Goncourt au deuxième tour de scrutin par sept voix contre trois pour La Beauté du monde de Michel Le Bris.

Dans un pays en guerre, probablement l’Afghanistan, une femme veille sur le corps de son mari, blessé d’une balle dans la nuque par l’un des hommes de sa milice, et plongé depuis trois semaines dans un coma profond. Cet homme, aux yeux grand ouverts et au souffle régulier comme les prières inlassables de son épouse qui le maintient en vie par perfusion d’eau sucrée-salée, est un combattant de toutes les luttes qu’a traversées son pays. Homme d’armes et de guerre, il fut un mari absent, violent, marié en son absence à cette jeune femme dont il a eu deux filles. La femme entame un long monologue avec son mari, faisant de lui selon un verset du coran sa syngué sabour, sa pierre de patience, présente pour recueillir les confessions du monde et les absorber jusqu’à son implosion finale. Elle lui dévoile tous ses secrets d’enfance, de jeune fiancée mariée par son père, et d’épouse qui malgré la peur et la violence de son époux a appris à l’aimer. Les confessions se succèdent, et la femme se délivre au milieu de la guerre qui l’entoure et la touche au plus intime, espérant par la même faire sortir l’homme de son coma que rien ne semble perturber. Après une ultime révélation ou peut-être dans un songe, la syngué sabour, comme le prétendait la tradition, éclate.

Elle cale sa respiration sur celle de l’homme blessé. Ses lèvres tremblent. Elle prie, égrène son chapelet, scande quatre-vingt-dix-neuf fois l’un des noms de Dieu, « Al-Qahhâr, Al-Qahhâr, Al-Qahhâr », souffle, recommence. Elle se berce au son de sa propre litanie, veut croire, espérer. Elle craint ce corps inerte, lui murmure des choses insensées, jamais prononcées, fragments de tendresse, d’illusions enfuies. Jusqu’alors clandestine, une audace la tenaille. L’impatience monte en elle. Elle s’insurge et laisse des paroles âpres, folles, terrées depuis trop longtemps s’échapper de ses entrailles. Un flot – toute sa vie – franchit sa bouche soumise. Lui viennent alors des mots interdits, des mots rebelles. Elle apostrophe Dieu et son enfer, insulte les hommes et leurs guerres, maudit son époux, soldat d’Allah, héros vaincu par sa fierté de mâle, son obscurantisme religieux, sa haine de l’autre. Elle prie, elle crie. Elle était silence, abnégation. Elle ­devient femme.

Un jour, hors d’elle, comme pour se venger de cet époux tyrannique, elle provoquera des hommes en armes, se fera putain. Elle devient violence, se met en guerre contre l’hypocrisie, tient sa revanche : « Je vends ma chair, comme vous vendez votre sang. »

 

Syngué sabour signifie en persan « pierre de patience ». Là-bas, on raconte que jadis existait une pierre magique à laquelle on peut se confier : « La pierre t’écoute, éponge tous tes mots, tes secrets, jusqu’à ce qu’un beau jour elle éclate. […] Et ce jour-là, tu es délivré de toutes tes souffrances, de toutes tes peines. »

 

L’auteur :

  Atiq Rahimi, né le 26 février 1962 à Kaboul, Afghanistan, est un romancier et réalisateur de double nationalité française et afghane.

 Il a vécu la guerre d’Afghanistan de 1979 à 1984. Il a fait ses études au lycée franco-afghan Estiqlal de Kaboul puis à l’université (section littérature).

 Puis il se réfugie au Pakistan. Après avoir demandé l’asile politique à la France, il obtient son doctorat en audiovisuel à la Sorbonne.

 Il vit et travaille aujourd’hui à Paris.

 Pendant ce temps, son frère, communiste, resté en Afghanistan, est assassiné en 1989, mais Atiq Rahimi n’apprend sa mort qu’un an plus tard.

 

Son premier long-métrage Terre et cendres, présenté dans la section Un Certain Regard au festival de Cannes 2004, a obtenu le Prix du Regard vers l’Avenir.

Ecrivain et cinéaste, Atiq Rahimi est un représentant renommé de la culture afghane en Europe.

Francophile, ancien étudiant au lycée franco-afghan de Kaboul, le jeune homme fuit son pays en 1984, demande et obtient une demande d’asile auprès de l’Etat français. Passionné de cinéma, bouleversé par le film « Hiroshima mon amour » d’Alain Resnais, il entame des études en audiovisuel et obtient un doctorat de cinéma à la Sorbonne. Auteur de plusieurs films documentaires comme « Zaher Shah, le royaume de l’exil » en 2000 ou « ( A)fghanistan » en 2002, Atiq Rahimi considère le cinéma comme un langage universel, le plus à même de parler de la situation de son pays d’origine.

Pourtant en 1996, alors que les talibans prennent le pouvoir à Kaboul, il ressent le besoin de passer à l’écriture avec « Terre et cendres », évoquant le deuil et la violence qui meurtrissent ce pays. Adaptée en 2001 au cinéma, par ses propres soins et sur les terres afghanes, cette œuvre est présentée à Cannes et reçoit un accueil élogieux du public. Autant investi dans la réalisation que dans l’écriture, l’auteur publie dans sa langue natale « Les Mille Maisons du rêve et de la terreur » en 2002 et « Syngué Sabour » en 2008. Pessimiste quant à l’avenir de son pays et du monde, Atiq Rahimi préfère mettre en lumière non pas le spectacle de la guerre mais la souffrance des hommes.

 

En 1984, il quitte l’Afghanistan pour le Pakistan à cause de la guerre, puis demande et obtient l’asile

En 2008, Atiq Rahimi reçoit le Prix Goncourt pour son roman écrit en français Syngué Sabour, paru aux éditions P.O.L. Proche du soufisme, Rahimi multiplie les allers-retours entre Paris et Kaboul où il oeuvre dans des associations liées à l’éducation. Celle-ci constitue, selon lui, le seul salut pour la nouvelle génération afghane. Il a également participé à la création de programmes de télévision pour une chaîne de télévision privée afghane, notamment des sitcoms et une « Star Ac » d’humoristes en herbe. Il dirige aussi un atelier d’écriture pour aider à promouvoir des jeunes auteurs

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