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Gong Ji-Young ♦ Nos jours heureux

nos-jours-heureuxCorée du sud, 1996. Yujeong, jeune fille de bonne famille, est dépressive. Chanteuse/peintre, en mal d’être, rejetée par sa mère, elle a tenté de se suicider à trois reprises mais a échoué à chaque fois.

Après sa troisième tentative de suicide, sa tante Monica, qui est religieuse et visiteuse de prison, décide de la secouer un peu et de lui montrer qu’elle est loin d’être la créature la plus malheureuse de la Terre. Celle-ci lui offre, à la place du traitement psychiatrique qui lui pend au nez, de l’accompagner à la maison d’arrêt de Séoul où des condamnés à mort attendent leur sentence dans le fameux « couloir de la mort ». Le système sud-coréen est particulièrement pervers : les condamnés ne connaissent pas à l’avance la date de leur pendaison et attendent parfois des années avant de mourir. Les prisons ne ressemblent pas à ce que nous avons chez nous. Les conditions y sont bien plus terribles : la climatisation et le chauffage n’existent pas, les détenus doivent payer eux-mêmes leurs tenues d’hiver (et la grande majorité ne le peut pas), ils ont jour et nuit les mains menottées à leur taille de façon à ce qu’ils ne puissent pas tendre les bras, et ils ont droit à seulement une douche par semaine.

A la prison de Séoul, les condamnés à mort sont obligatoirement suivis par un conseiller religieux – ils ont le choix entre bouddhisme, protestantisme et catholicisme. Le système sud-coréen est particulièrement pervers : les condamnés ne connaissent pas à l’avance la date de leur exécution.

Le détenu qu’elles vont rencontrer, Yunsu, est inculpé pour avoir tué trois personnes et violé une fille de 17 ans. Une fois par semaine pendant un mois, juste avant Noël, sa tante l’emmènera à la rencontre de Yunsu.

Rien ne semble pouvoir rapprocher une jeune désespérée de bonne famille d’un triple meurtrier, et pourtant…

Yujeong et Yunsu ont à peu près le même âge, une trentaine d’années. Ils ont vécu jusqu’alors dans des univers totalement opposés. Elle dans un milieu d’intellectuels nantis, dotés « de belles situations ». Lui dans la misère, sous les coups d’un père alcoolique si violent que la mère des deux garçons finit par quitter le foyer, laissant ses deux enfants à la merci de son mari. Yunsu et son frère, livrés à eux-mêmes, sont pris dans un engrenage infernal, passant de la rue en maison de correction, intégrant une bande de gamins des rues… il a dû survivre à l’orphelinat, dans la rue et protéger son petit frère Eunsu rendu aveugle après une maltraitance paternelle, de la violence des caïds. Finalement, Eunsu meurt dans la rue à cause d’une grippe.

Au fur et à mesure de leurs rencontres, ils vont se raconter avec sincérité leurs « vraies histoires », affronter les ténèbres et découvrir les lumières éblouissantes au sein de ces ténèbres, réparer leurs âmes meurtries.

On découvre que ce n’est pas Yunsu qui a commis le triple meurtre pour lequel il est condamné à la peine capitale, mais son complice de cambriolage qui lui fait porter le chapeau afin d’échapper à la mort. En outre, l’auteur nous révèle à la fin du livre que le mal-être de Yujeong provient du viol perpétré par son cousin, viol dont la mère de Yujeong a toujours nié la réalité afin de ne pas ternir l’avenir prometteur du violeur. À la fin de l’histoire, quelque temps après l’exécution de Yunsu, Yujeong finit par accorder le pardon à sa mère pour sa mauvaise attitude.

Rencontre, confrontation puis communion de deux êtres que tout sépare, l’origine, la condition sociale le sexe même mais que l’épreuve d’une dureté souvent insoutenable dans une société dénuée de toute humanité finira par réunir dans le cadre de l’univers carcéral Coréen. Ils sont tous les deux à la peine, Ce roman bouleversant nous parle de la force de l’amour, de pardon et de rédemption. La gentillesse, la méchanceté, la tendresse, la violence, l’amour, la haine, le pardon, l’hypocrisie. Ce livre est un ensemble qui regroupe tous ces sentiments… Ces thèmes sont abordés avec beaucoup de sensibilité et d’amour.

A travers cette rencontre, l’auteure pose question sur la peine de mort mais aussi sur la culpabilité, le repentir et la possibilité du pardon. En Corée, où la peine de mort n’a pas été abolie, il est considéré comme une œuvre aussi puissante que Le Chant du bourreau de Norman Mailer ; depuis sa parution en 2005, il n’a pas quitté la liste des best-sellers et a été adapté au grand écran en 2006 (plus de trois millions d’entrées).

Ce livre bouleversant met en avant des côtés plus sombres du comportement humain. Il nous dévoile comment peu à peu des drames se forment. Certaines personnes préfèrent fermer les yeux sur certains faits pour garder intactes les apparences, quitte à sacrifier le bonheur de leurs enfants. D’autres personnes commettent des meurtres, mais étant riches, peuvent se permettent d’avoir de bons avocats et rejettent la faute sur des complices. Il est également question de la légitimité de la peine de mort, sujet de nombreux débats. Ce roman nous interroge sur l’identité des criminels et sur l’impact que peuvent avoir leurs antécédents et les histoires qu’ils ont vécues durant leur jeunesse.

 L’auteur :

ji-young-gongGong Ji-yeong (en hangeul : 공지영), née le 31 janvier 1963 (53 ans), est une auteure sud-coréenne faisant partie de la « nouvelle vague » des auteures coréennes qui ont révolutionné la littérature coréenne dans les années 1980 et 1990.

Gong Ji-yoeong (graphie préférée par l’auteur) s’intéresse très tôt à l’écriture, et écrit ses premiers récits et poèmes dès l’adolescence.

C’est durant les années 1980 qu’elle entre en contact avec les mouvements étudiants pour la démocratisation du pays.

En 1985, elle obtient sa licence en littérature à l’université Yonsei.

Son premier roman, « Quand l’aube se lève » (Dong teuneun saebyeok), est directement lié à ses activités dans les manifestations étudiantes contre le régime militaire durant les années 1980. Ses premiers travaux traitent ainsi essentiellement des soulèvements pour la démocratie à travers le pays.

Gong Ji-Young a commencé à écrire à plein-temps à partir de 1988. Ses récits se concentrent essentiellement sur la condition des travailleurs en Corée du Sud, les exclus et les personnes victimes d’ostracisme. Elle écrit également sur la condition des jeunes femmes essayant de suivre une carrière professionnelle indépendante en dehors du cocon familial.

Elle est ainsi considérée comme une auteure féministe. Dans beaucoup de ses récits, elle évoque la place de la femme suite aux mouvements pour la démocratie en Corée, dans une société encore patriarcale. Alors que la dictature a laissé place dans les années 90 à une société prospère et relativement calme, la jeunesse contestataire de Corée se retrouve livrée à elle-même dans un monde soudain modernisé et démocratisé. Dans cette société nouvellement hiérarchisée par le pouvoir dominant des hommes, elle ressent une certaine confusion et exprime sa colère dans ses récits.

En 1991, elle est l’objet d’une surveillance par le parti conservateur qui commande une enquête sur ses activités politiques.

Ainsi, Ji-young Gong continue à lutter pour une parité hommes-femmes dans la société coréenne, arguant que même si cette parité est établie sur le plan de la loi, en pratique elle n’est pas encore effective. Sa nouvelle « Pars seule comme une corne de rhinocéros » (Muso-ui ppulcheoreom honjaseo gara, 1993) traite directement de cette question de l’égalité des sexes. Cette nouvelle a été adaptée au cinéma (1995) ainsi qu’au théâtre.

Dans son roman « Ma sœur Bongsoon » (Bonsuni eonni), Gong dépeint la vie d’une Coréenne dans les années 60.

Dans son best-seller « Jeudi saint » (Seong mogyo-il), elle traite de la question de la peine capitale, et dans son récit autobiographique « Maison du bonheur » (Jeulgeo-un na-ui jip), elle dépeint la vie quotidienne d’une mère divorcée.

Dans un récit plus récent, « Le Creuset » (Dogani), elle traite de la répression sexuelle en Corée ainsi que des violences et des abus envers les handicapés.

Son roman « Nos jours heureux » (Urideurui haengbokan sigan) a été adapté également au cinéma (2006).

Elle est aussi une des premières auteures en Corée à utiliser l’outil internet pour faire connaître ses romans en publiant pendant six mois Le Creuset (Dogani) sur le portail Daum en 2008.

En 2009, son roman Le Creuset (Dogani) a eu un impact sur les consciences en Corée par rapport à la situation des handicapés. L’adaptation du film en 2011 fut également un succès ce qui attira l’attention du parti conservateur Grand Parti national qui commanda une investigation sur ses activités politiques. L’auteure se moquera plus tard de ces enquêtes, notamment via son compte Twitter en postant « Merci au Grand Parti National pour m’avoir rendue populaire internationalement ». Gong est une utilisatrice influente de twitter dans son pays avec plusieurs centaines de milliers de suiveurs.

En 2011, Gong Ji-Young remporte le prix Yi Sang pour la nouvelle, « Flânez pieds nus dans les ruelles de mots « (Maenballo geulmogeul dolda).

Gong est divorcée trois fois et a trois enfants.

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