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… vu par Arlette

Ollivier Bernard ♦ Marche et invente ta vie

9782081313088_MarcheEtInventeTaVie_Couv.inddMarcher pour se reconstruire. C’est l’idée qu’a eu Bernard Ollivier en 2000 quand il fonde l’association « Seuil ».

Le but : accompagner des ados en situation précaire, placés dans des centres éducatifs renforcés, fermés, ou déjà incarcérés.

Pendant trois mois, ils partent avec un accompagnateur à la découverte du monde, de l’autre, mais surtout d’eux-mêmes. Le livre recueille les témoignages a posteriori de ces jeunes qui se sont laissés tenter par cette aventure, peu banale à leur âge, qui les a emmenés sur les chemins d’Espagne, d’Italie ou d’Allemagne, de ceux qui sont allés jusqu’au bout, et de ceux qui ont fait marche arrière.

Persuadé des effets bénéfiques de la marche, Bernard Ollivier anime depuis plus de douze ans l’action de Seuil. Association qui accueille, par la marche, un mineur confié par un Juge des Enfants, dans le cadre civil ou pénal, (parfois comme alternative à l’incarcération). Un accompagnant, engagé par l’Association, aura la tâche de l’emmener, pendant trois mois au bout du chemin, plus exactement d’un chemin, qui pourrait être Roncevaux-Porto en passant par St Jacques de Compostelle et Cabo Fisterra (1400 km).

Rebattre, entre 14 et 18 ans, les cartes de leurs vies un peu biseautées par des enfances brisées, c’est le contrat que Seuil, association atypique en France, propose à des adolescents égarés, embourbés dans des conflits familiaux, des bandes ou des séries de délits qui les ont conduits dans une impasse ou en prison. Le contrat proposé est simple et brutal : marcher un peu moins de 2 000 kilomètres, sac au dos, pendant trois mois, par tous les temps et en toutes saisons, dans un pays étranger. Et avec une contrainte terrible pour eux : ni musique, ni téléphone, ni internet pendant 110 jours ! A ce pari fou, une seule règle : c’est le jeune qui est maître de dire «j’arrête» ou «je continue». Dans tous les cas, c’est son juge qui arbitrera. Ce qu’ils gagnent ? Une place dans la société qu’ils avaient rejetée. La marche serait donc une tentative, une recherche, une conviction, une valeur qui dans sa simplicité et dans l’humilité de marcher sans autre prétention que d’arriver, permet de se sentir fort car on a réussi à faire un bout de chemin mais aussi un formidable outil pour ceux qui, un moment, l’ont quitté.

L’association ne fait pas de sélection, tout jeune proposé par les travailleurs sociaux de la justice (PJJ) ou des conseils généraux (ASE), qui fait une lettre de motivation argumentée en fonction de ses connaissances, pour lequel un juge des enfants ordonne un séjour de rupture, et le voilà parti, sac à dos et petit matériel de camping reparti entre lui et l’accompagnateur. Trois interdictions, pas de shit, pas de musique-MP3, pas de téléphone portable, une obligation respecter le plan de marche minutieusement établi par le Directeur, Paul Dall’acqua, un ancien de la PJJ.

Pour ce livre, Bernard Ollivier a choisi un panel de jeunes (quatorze garçons et filles) anciens-de-Seuil, qu’il a réussi à joindre et qui ont accepté de témoigner sur leur expérience de marche quelques années après (depuis 2002). Une constante à partir de leurs dires, l’autonomie acquise, un regain de confiance en soi, la fierté d’avoir accompli un acte peu commun, de se prouver et prouver aux autres des nouvelles capacités. Et un sentiment diffus, pas toujours très affirmé, mais comme une «force intérieure» qui semble faire son chemin, à des rythmes différents et des circonstances diverses, mais la sensation que quelque chose est à l’œuvre pour soi. On peut dire que seul le jeune saura, le moment venu, tirer une conclusion qu’on devine, parfois confusément, en train d’élaboration.

Douze ans après le premier départ, que sont devenus ces gamins perdus, ces possibles gibiers de potence ? Attention aux jugements hâtifs. Ceux qui «ratent» une marche ne ratent pas obligatoirement leur réinsertion et ceux qui font une rechute ne ratent pas nécessairement leur vie. Pour savoir, il fallait les revoir, ceux qui ont «réussi» et ceux qui ont «échoué».

Beaucoup de jeunes, la majorité, sont arrivés au bout des cent jours de marche. D’autres ne tiennent pas le contrat et, pour des raisons très diverses interrompent et décident de rentrer chez eux, en internat ou retournent en prison

Le livre s’ouvre avec l’exemple de Nicolas (tous les prénoms ont été modifiés), un des premiers à avoir pris la route. En 2002, il a 16 ans. Placé dans un foyer depuis quatre ans, c’est un bagarreur. Ses camarades en font les frais, l’un d’entre eux est d’ailleurs admis à l’hôpital à la suite d’une altercation. Vivant à Evreux, c’est le doux parfum de l’Italie et son soleil qui l’incitent à prendre la route. C’est pourtant sous la pluie que débute la marche. Au départ de Gênes, trois semaines d’averses sans discontinuer s’abattent sur lui et son accompagnateur Marcel. Le soir on mange des pâtes, et pour varier, du riz. Mais Nicolas persévère. Au rythme soutenu d’une vingtaine de kilomètres par jour, ils arrivent 120 jours plus tard à Turin, dernière étape, après être passés par Rimini et Venise.

Malgré cette marche, Nicolas ira tout de même en prison quelques mois plus tard. Pendant sa détention, il pensera beaucoup à sa marche. Aujourd’hui il est marié et vit de petits boulots d’intérims. Il estime que l’expérience a été bénéfique pour lui. «Quand on a marché 2500 kilomètres, après, dans la vie, on peut faire plein d’autres choses», résume-t-il.

Si plus de 90% des marches arrivent à leur terme, certains jeunes s’arrêtent avant.

C’est le cas d’Azzam, parti en 2012 sur les chemins espagnols durant cinquante jours et 750 kilomètres effectués (tout de même). Comme beaucoup de jeunes en difficultés, sa prime jeunesse a été truffée d’embûches. A seulement 18 mois, il est confié à l’Aide sociale à l’enfance. Puis vagabonde entre les familles d’accueil et son foyer familial, pour finir en maison d’enfant. Sa scolarité est perturbée, il vit la nuit, dort le jour, et ne considère personne comme son ami. Avant de partir pour la marche, les responsables du Seuil avaient des doutes sur les chances de réussites d’Azzam, tant il soufflait le chaud et le froid sur sa volonté à partir.

La décision d’y aller est finalement prise. Dès les premiers jours, il exprime son refus de marcher. Alors que normalement un marcheur parcourt 25 kilomètres par jour, lui piétine : 2 kilomètres en 8 heures, soit 4 mètres à la minute. De l’excès de lenteur, il passe à l’excès de rapidité, à un rythme que son accompagnateur ne peut pas suivre. L’association décide donc de le faire rentrer en France. Un an après sa marche, il confie regretter de ne pas être allé jusqu’au bout. Mais cette marche, même incomplète, a tout de même eu des effets positifs sur lui. «J’ai mûri en peu de temps grâce à la marche. J’en parle autour de moi. Je suis fier de ça», estime-t-il.

La fierté d’avoir accompli, même partiellement, la marche revient dans tous les témoignages. La fierté de montrer à soi-même et à son entourage que l’on est capable de faire quelque chose d’extraordinaire. Alors que la France débat sur l’éducation de ses jeunes, l’association Seuil et ce livre, ouvrent de nouvelles pistes de réflexions.

 L’auteur  :

Bernard OllivierBernard Ollivier est un journaliste et écrivain né en 1938 dans un petit village du sud de la Manche, dans une famille de sept enfants, et d’un père ouvrier granitier.

Il quitte l’école très tôt, pour faire des petits boulots, pion, marchand de vin, docker, garçon de restaurant ou encore professeur d’éducation physique.

Vers 20 ans, il décide de reprendre ses études, et réussit en même temps en 1964 son bac et le concours d’entrée dans une école de journalisme où il obtient le diplôme du Centre de Formation des Journalistes en 1965

S’en suivent des décennies de journalisme, de grands reportages, à l’AFP, Paris Match, Le Figaro, Le Parisien libéré… Et d’autres. Il signe alors durant quinze ans des articles sur la politique (ACP, Paris Match, Combat) et puis quinze autres sur des sujets d’économie ou de société (Première chaîne, Le Figaro, Le Matin).

Il mène une carrière de journaliste politique et économique.

Terrassé à 51 ans par la mort de sa femme, suivie d’un licenciement, Bernard Ollivier s’abîmait dans le travail pour gagner sa vie comme journaliste indépendant. Au moment de sa retraite qu’il vit très difficilement, il décide à la fois de se consacrer à l’écriture et de marcher jusqu’à Saint-Jacques-de-Compostelle, afin de réfléchir, et décider, du sens qu’il va donner à cette nouvelle période de vie. C’est pendant ces trois mois qu’il entend parler d’Oïkoten et de la réinsertion par la marche à pied.

Il entreprend ensuite une longue marche de 12 000 kilomètres d’Istanbul à Xian sur la route de la soie par étapes de quatre mois et 3000 km par an. Pendant les mois où il ne marche pas, il écrit « La Longue marche (Traverser l’Anatolie, Vers Samarcande et Vent des steppes) », le récit de son voyage et la satisfaction de dépasser les limites de l’effort physique et la peur de l’inconnu. Il s’étonne un peu de voir que son aventure de marcheur impénitent le long de la Route de la Soie (près de 12 000 kilomètres au total), menée pourtant avec une exemplaire discrétion, ait fini par devenir un phénomène médiatique

C’est la marche à pied qui lui aura valu, à soixante ans passés, la célébrité la moins attendue : celle d’un écrivain-voyageur salué par toute la presse.

Après avoir signé en 2008 « La vie commence à soixante ans », il publie en 2009 un nouvel ouvrage, « Aventures en Loire, 1000 km à pied et en canoë », fruit de ses pérégrinations le long de celui que l’on surnomme parfois le fleuve royal.

Comme écrivain, il publie des nouvelles dont un recueil sur les sans domicile fixe, des romans policiers, mais aussi des récits de ses voyages. Le succès de ses ouvrages lui permet de fonder plus tard l’association Seuil pour la réinsertion par la marche des jeunes en difficulté.

Il s’installe en Normandie, mais séjourne régulièrement dans la capitale,

En 2013, il publie son premier roman, « Histoire de Rosa qui tint le monde dans sa main », un drame rural qui prend place dans la Normandie du début du XXe siècle. La jeune Rosa va tout faire pour résister au pouvoir des mâles.

Cette même année, la région normande reste au cœur de ses écrits puisque paraît « Sur le chemin des Ducs. La Normandie à pied de Rouen au Mont-Saint-Michel ». Récit qui retrace une promenade plus intimiste, une plongée dans ses souvenirs d’enfance. Il nous conte les paysages merveilleux qu’il explore et tente alors de remonter le temps et d’échapper à la modernité qu’il déplore parfois. Toutes ses marches l’ont reconstruit et lui ont redonné l’envie de vivre.

Le succès de ses ouvrages lui permet de fonder plus tard l’association « Seuil » qui a pour objectif la réinsertion par la marche des jeunes en difficulté et propose à des jeunes un projet de trois mois de marche accompagnée, comme alternative à la prison.

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