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… vu par Arlette

Foenkinos David ♦ Charlotte

CharlotteComment ne pas être ému, touché, bouleversé par ce récit retraçant la vie de Charlotte Salomon, née en 1917 dans une famille juive de Berlin, réfugiée dans le sud de la France peu après la nuit de cristal fin 1938 ?

La Nuit de Cristal (en allemand Reichskristallnacht) est le pogrom contre les Juifs du Troisième Reich qui se déroula dans la nuit du 9 novembre au 10 novembre 1938 et dans la journée qui suivit. Sa vie s’inscrit entre les deux grandes guerres du XXème siècle : Berlin, 1917 – Auschwitz, 1943.

David Foenkinos commence son récit avant la naissance de son héroïne, en racontant le secret qu’elle-même n’apprendra qu’en 1940, lorsque sa grand-mère aura essayé de se pendre. Charlotte ignorait en effet que sa mère, morte quand elle avait 10 ans, s’était suicidée. Et avant elle, sa sœur, mais aussi leur grand-mère, leur oncle et d’autres encore.

Fille d’un chirurgien renommé, Charlotte qui avait reçu ce prénom en hommage à la sœur de sa mère Franziska qui s’est suicidée, grandit. (Un soir de novembre 1913, sans un mot d’explication, sans raison apparente, cette première Charlotte avait quitté le domicile familial, à Berlin, pour aller se jeter du haut d’un pont dans l’eau glaciale. Un suicide qui en suivait d’autres dans la famille).

Après le suicide de sa mère, son père se remarie avec Paula une célèbre cantatrice. Adolescente introvertie, hantée par les suicides qui frappent les siens à chaque génération, elle se découvre une passion pour la peinture qui ne la quittera plus. Elle réussit à entrer à l’école des Beaux-Arts, grâce au 1% de « juifs tolérés » à l’époque où la montée du nazisme est de plus en plus forte.

Obligée de fuir ce régime totalitaire qui accentue chaque jour un peu plus sa domination, elle quitte à contre cœur un amour passionnel avec un homme dont elle n’aura de cesse de dessiner son portrait de mémoire par la suite et rejoint ses grands-parents à Villefranche-sur-Mer, dans le sud de la France. Elle débute alors une intense période créatrice, encouragée par ses amis, elle peint, dessine, écrit sa vie, ses souvenirs.

C’est là qu’entre 1940 et 1942, elle devient une artiste totale, chantant, peignant, écrivant.

La vérité sur la mort de sa maman fut un traumatisme pour elle. Elle se mit alors à peindre plus de 1300 gouaches, et ce travail lui conserva l’équilibre mental et la vie, au moins pour un temps, dans un monde abandonné à la folie.

Après un internement avec son grand-père au camp de Gurs, par la police française, elle sélectionna environ 800 (759) gouaches, accompagnées de textes et de partitions musicales, peut-être les airs que lui jouait sa mère au piano lorsqu’elle était petite fille et ceux que chantait Paula, la seconde femme de son père, cantatrice, et réalisera une trilogie sous le titre : « Leben? Oder Theater ? » = Vie ? ou Théâtre ?, aujourd’hui exposées au musée juif d’Amsterdam.

Un cheminement fulgurant de 1325 gouaches, depuis la première image, celle du suicide de sa tante en 1913, dont elle porte le prénom, jusqu’à la dernière, celle où, en 1940, elle choisit de vivre, de devenir artiste et se représente, face à la mer, qui peint un tableau vide (la mer), portant sur son corps le titre de sa pièce : “Leben? oder Theater ?”. On revient au début.

Ce très bel ouvrage exposant le destin de la jeune fille surdouée, de la renfermée, de l’artiste hantée, de l’amoureuse est divisé en trois parties : Le Prélude montre des scènes admirablement détaillées de l’enfance de Charlotte à Berlin. La Partie principale est dédiée à Alfred Wolfsohn, le professeur de chant de sa belle-mère (et probablement le premier amour de Charlotte), elle note ses idées au sujet de l’art et de l’âme. L’Epilogue est consacré à sa vie sur la Côte d’Azur.

Le style varie considérablement. Les premières peintures sont extrêmement colorées et montre une extraordinaire mémoire des lieux de son enfance. Puis la peinture devient de plus en plus abstraite, alors que les sujets passent des souvenirs matériels à des impressions plus complexes. La différence entre les peintures du suicide de sa mère (imaginé) et de celui de sa grand-mère (vécu) est celle entre la sensation de perte d’une enfant et la peine d’une adulte blessée. La première, délicatement peinte, est belle malgré le sujet, la dernière transpire la douleur.

Fausse autobiographie, mais autobiographie quand même, c’est difficile d’en parler. Il y a tout et de tout, on dirait aujourd’hui multimédia. La musique, la peinture, les mots, une multitude de personnages, des musiciens, des cantatrices, la nature, de la lumière, du sombre, beaucoup de fenêtres, beaucoup de suicides cachés ou vécus (de la tante, de la mère, puis de la grand-mère ne supportant plus les deux suicides précédents (ses deux filles). Charlotte peint tout, la nature, les appartements, les voyages, les discussions, les théories, les naissances, les mariages, les suicides révélés ou non, l’opéra, se met en scène elle-même sous un autre nom. C’est tragique, mélancolique, cauchemardesque, plein de rêve. Les corps ondulent, se tordent, se disloquent, s’allongent comme dauphins en fête et chaînes de destins… Les mots aussi prennent corps, peints comme signes, coups de pinceaux comme autant de coups de poignard.

En 1943, elle fut dénoncée, arrêtée, déportée à l’âge de 26 ans et enceinte de quatre mois à Drancy puis à Auschwitz, où elle meurt le 10 octobre dans les chambres à gaz. Avant de partir, elle avait confié ses toiles à son médecin en lui disant : »C’est toute ma vie ». Après la guerre, son père qui a survécu en exil aux Pays-Bas, retrouve l’œuvre de Charlotte.

C’est ainsi que soixante ans plus tard, le jeune romancier David Foenkinos la découvre, alors qu’elle est exposée à Berlin. Il exprime ce qu’il a ressenti en faisant sa connaissance à travers sa peinture. Elle l’obsédait et il a ressenti le besoin de mener l’enquête, de reconstituer son parcours, de la suivre pas à pas. Il voulait lui consacrer un livre. Mais la passion qu’il avait pour son sujet le submergeait. Il ne parvenait pas à écrire deux phrases d’affilée. Foudroyé par l’art de Charlotte Salomon, David Foenkinos a mis huit ans à écrire le roman, à trouver le ton et la forme juste, à la fois effrayé par le sujet et saisi par la peur de ne pas rendre honneur à l’artiste.

Charlotte est aussi le récit d’une quête. Celle d’un écrivain hanté par une artiste, et qui part à sa recherche. David Foenkinos lui rend, en vers libres, un magnifique hommage. Ces courtes phrases, ponctuées chaque fois d’un point… qui induit un rythme sont une formidable idée. Très belle idée d’inciter le lecteur à une lenteur dans la lecture, en optant pour une certaine respiration. En réalité l’auteur nous explicite ce besoin régulier de point à chaque phrase, pour reprendre sa propre respiration…

Charlotte est le treizième roman de David Foenkinos : Prix Renaudot 201427ème Prix Goncourt des lycéens 2014. Les élèves de 57 lycées ont sélectionné ce livre parmi 15 autres ouvrages en compétition, qui figuraient dans la première sélection du Goncourt. «Charlotte» l’a emporté devant «On ne voyait que le bonheur» (JC Lattès), de Grégoire Delacourt, et «L’amour et les forêts» (Gallimard), d’Eric Reinhardt, a indiqué le jury.

Charlotte Salomon

   Charlotte Salomon, née à Berlin le 16 avril 1917 et morte en 10 octobre 1943 à Auschwitz est une artiste plasticienne et peintre.

Charlotte Salomon grandit dans une famille juive allemande aisée. Son père était médecin et professeur à l’université de Berlin et sa mère se suicida en 1926, alors que Charlotte avait 9 ans. Quand elle en eut 12, son père épousa Paula Lindberg, surnommée Paulinka, une chanteuse lyrique, en secondes noces. Charlotte était une enfant timide et morose. Sa relation avec Paulinka était complexe. La famille étant de confession juive, Charlotte connut des difficultés en Allemagne après l’accession des nazis au pouvoir en 1933. Son père n’eut plus le droit d’exercer sa profession de médecin et fut interné dans le camp de concentration de Sachsenhausen dès 1936.

Charlotte Salomon, que tous ces événements avaient plongée dans une crise profonde, se remit alors à peindre pour lutter contre le désespoir. Elle se consacra entre 1940 et 1942 à son œuvre autobiographique « Leben? oder Theater? », et peignit ainsi en 18 mois plusieurs centaines de gouaches réalisées à partir des trois seules couleurs primaires : rouge, jaune et bleu. Ces tableaux montrent sa famille et ses amis, mettent en scène son enfance et sa jeunesse mais aussi les événements qu’elle a traversés.

La majeure partie de son œuvre traite de la conscience féminine : de celle de sa mère, dont elle a dû complètement ré-imaginer la vie, de celle de sa grand-mère qu’elle a essayé de conserver. Elle juxtapose des souvenirs de sa propre enfance avec le fardeau de sa mère, avec la douleur de sa grand-mère qui a perdu ses deux filles, et avec son appréhension du monde.

Selon les autorités de l’époque, le suicide était attribué à la folie, et la folie à une faiblesse. Ce que Charlotte rejetait. Pour elle, sa grand-mère était un esprit atrophié par manque d’amour et d’engagement dans la vie.

Dans ses peintures, Charlotte cherche à sauver sa grand-mère par l’art et la beauté, lui vantant l’amour du soleil et des fleurs, afin de cultiver en elle l’envie de vivre. Mais elle échoue. Elle réalise avec une étonnante perspicacité la cruauté du monde envers les femmes.

Cette histoire insistera sur les malheurs des femmes et les horreurs de la guerre, mais pas sur des tares génétiques. Pour Charlotte, le suicide était un double menace : non seulement l’héritage maternel, mais l’état d’esprit d’une communauté en exil : soit le suicide soit assister au massacre de son peuple ou de sa nation

C’est une œuvre complexe qui s’accompagne aussi de textes et de musique. Les textes sont simples, truffés de citations de la littérature allemande, Charlotte Salomon les intègre dans ses tableaux, un peu comme dans une bande dessinée.

En 1943, Charlotte épouse un émigré autrichien, Alexander Nagler. Lorsque les troupes nazies occupent le sud de la France, Charlotte et son mari sont dénoncés et déportés de la gare de Bobigny vers Auschwitz où Charlotte, enceinte, sera très vite éliminée. Peu avant sa déportation, elle confiait les gouaches de « Leben? oder Theater? » à un ami proche avec ces mots : « Gardez-les bien, c’est toute ma vie. »

Depuis 1975, c’est le musée juif d’Amsterdam qui détient cette œuvre d’art autobiographique et unique en son genre.

L’auteur :

David FoenkinosDavid Foenkinos, né le 28 octobre 1974 à Paris en France, est un romancier français.

Après des études de lettres à la Sorbonne et une formation de jazz, David Foenkinos devient professeur de guitare. Il publie par ailleurs plusieurs romans, dont « Inversion de l’idiotie, de l’influence de deux Polonais », prix François Mauriac en 2001, « Entre les oreilles » en 2002 et « Le Potentiel érotique de ma femme » en 2004 chez Gallimard.

Pourtant, le jeune père de famille ne songe pas une seconde à reprendre son boulot d’attaché de presse dans… l’édition. « En fait, je détestais ce travail, avoue le Parisien. C’est le hasard – je devais effectuer un stage dans le cadre de mes études – qui m’a fait entrer chez Lattès. Puis tout s’est enchaîné, Fayard, Le Rocher, Albin Michel, Le Dilettante. J’ai fini par démissionner, en 2001. En juillet, Jean-Marie Laclavetine, éditeur chez Gallimard, accepte le manuscrit que j’ai envoyé par la poste. Et, en 2003, je suis lauréat de la Fondation Hachette. 25 000 euros ! Cela a changé ma vie. »

Des années plus tôt, c’est une grave infection qui bouleverse le destin de ce fils de pieds-noirs employés du ciel (sa mère travaille à Air France, son père dans une tour de contrôle). Vers les 16 ans, une intense brûlure interne le fait suffoquer. Radio. Le médecin n’en croit pas ses yeux : le jeune homme est atteint d’une maladie de la plèvre qui touche principalement les septuagénaires. Opération en urgence et alitement prolongé qui eut une double – et louable – conséquence. « Alors que je n’avais rien lu jusque-là, je me suis mis à dévorer les livres, puis à peindre, à jouer de la guitare… La connaissance de l’éphémère et la conscience de ce qui passe, de ce qui échappe ont aiguisé mon appétit. » Et son sens de l’humour et de la dérision, pourraient ajouter ses lecteurs avertis. Ouverture à la vie et… aux personnes âgées. « Je pense aujourd’hui que ma tendresse pour la vieillesse et les anciens date de cette époque. Ma maladie de vieux nous a rapprochés. »

Malgré ses airs de Pierrot lunaire, Foenkinos n’a rien d’un dilettante. Elevé dans la plus grande liberté par des parents souvent absents, le jeune bouclé se fixe des règles, écrit tous les jours, multiplie les romans, part à la rencontre de ses lecteurs en province, court les soirées à Paris avec son copain Florian Zeller, essuie des échecs (manuscrits refusés, projets de théâtre avortés), rebondit toujours. En 2009, poussé par son frère aîné, Stéphane, directeur de casting, il décide d’adapter l’un de ses propres romans : « Pour la première fois, je n’avais pas envie de quitter mes personnages ni que quelqu’un d’autre s’en empare. » C’est ainsi que la belle veuve Nathalie de La Délicatesse se retrouve sous les traits d’Audrey Tautou et que François Damiens, dit François l’Embrouille, le roi de la caméra cachée, revêt les habits de Markus, le collègue suédois enamouré – un casting que l’on admirera, ou pas, à partir du 21 décembre. « Avec le seul nom d’Audrey Tautou, nous avons prévendu le film dans 22 pays, s’enthousiasme le néo-coréalisateur (avec son frère). C’est une actrice extraordinaire, intelligente, respectueuse, impressionnante… » Finalement, Foenkinos n’aime pas que les visages ridés…

En quelques années, il a réussi à créer un univers singulier, à la fois burlesque et émouvant. Il est aujourd’hui considéré comme l’un des meilleurs écrivains de la nouvelle génération. Ses romans sont traduits à l’étranger, dans une quinzaine de langues.

L’écrivain est apprécié pour ses textes empreints de légèreté et d’humour. Également scénariste, il coécrit avec Jacques Doillon « Trop (peu) d’amour » et adapte pour le théâtre la pièce « Messie », de Martin Sherman. Il est par ailleurs à l’origine du scénario d’une bande dessinée, premier volet d’une trilogie intitulée « Pourquoi tant d’amour ? ».

En 2005, alors que paraît chez Flammarion « En cas de bonheur », il participe à la réalisation d’un court métrage « Une Histoire de Pieds » avec son frère Stéphane avant de publier « Les Cœurs autonomes » en 2006 chez Grasset et « Qui se souvient de David Foenkinos ? en 2007 chez Gallimard. Le livre reçoit le prix Giono.

Après « Nos séparations », chez Gallimard en 2008, Foenkinos décroche en 2010 le prix Conversation et le prix des Dunes avec son roman « La Délicatesse », publié aussi chez Gallimard en 2009. La même année, les Éditions du Moteur publient « Bernard », tandis que Plon édite « Lennon », un ouvrage dans lequel l’auteur (et fan) se met dans la peau du Beatles assassiné.

Suivent en 2011 « Le petit garçon qui disait toujours non » chez Albin Michel et « Les Souvenirs », présenté à la rentrée littéraire par Gallimard. La fin de l’année 2011 voit également arriver dans les salles françaises l’adaptation du roman « La Délicatesse », avec à l’affiche Audrey Tautou et François Damiens. Un film réalisé par David Foenkinos lui-même, accompagné de son frère.

David Foenkinos est le jeune auteur qui ne cesse de monter depuis son roman, Le potentiel érotique de ma femme. Sa marque de fabrique ? Il sait raconter comme personne des histoires d’amour avec légèreté, humour et autodérision car son narrateur à moins que ce ne soit l’auteur lui-même, est souvent pris dans des complications hautement psychologiques. Foenkinos est un excellent fabricant de comédies sentimentales.

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