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… vu par Arlette

Laferrière Dany ♦ L’énigme du retour

l'énigme du retourL’Enigme du retour est un roman sur la famille, l’exil, l’identité et le temps qui passe.

Dans ce livre écrit en alternance en vers libres – d’où une très grande musicalité, et poésie, l’écrivain retourne en Haïti à la suite de la mort de son père, exilé dans les années 1960 par le dictateur Papa Doc.

Un matin, on téléphone à l’écrivain : son père vient de mourir. Son père qui, dans un parallèle saisissant, avait été exilé d’Haïti par le dictateur Papa Doc, comme lui, des années plus tard, l’avait été par son fils, le non moins dictatorial Bébé Doc. C’est l’occasion pour le narrateur d’un voyage initiatique à rebours. Il part d’abord vers le Nord, comme s’il voulait paradoxalement fuir son passé, puis gagne Haïti pour les funérailles de son père. Accompagné d’un neveu qui porte le même nom que lui, il parcourt son île natale…

Dès le titre L’Enigme du retour, le ton est donné. Grave, poétique. Grave parce qu’il y est question de deuil.

A l’annonce de la mort de son père demeuré en exil, Dany Laferrière, chargé de rapatrier le corps de cet homme qu’il n’a pas revu, regagne Haïti après trente-trois ans. De ces longues et bouleversantes retrouvailles avec les siens, mais aussi avec un pays qu’il peine à reconnaître et dont il se sent étranger, le romancier haïtien a bâti plus qu’un récit, un grand roman en prose traversé d’images, de sensations, de fulgurances, mais aussi de cri de rage et de colère. Un roman magistral que l’on placera au côté du Cahier d’un retour au pays natal, de Césaire, dont l’ombre plane sur toutes ces pages.

Après trente-trois ans d’exil au Canada, Dany Laferrière est revenu à Port-au-Prince, sa ville natale.

C’est difficile parce que rien n’a changé et tout a changé, surtout lui. Il y a si longtemps qu’il n’est plus dans le paysage. « Cela fait trois décennies que je fais gras à Montréal pendant qu’on continue à faire maigre à Port-au-Prince. » Il est passé du rigoureux hiver canadien à la chaleur tropicale. Toutes ces odeurs, toutes ces couleurs, toutes ces saveurs, elles le déconcertent ou elles le rassurent? Le corps ne retrouve pas tout naturellement sa place. Il doit réapprendre. Nul besoin de se remettre au créole, qu’il n’a pas oublié, mais au tumulte de la rue, au vacarme, à l’incessant bavardage. « On a toujours quelque chose à raconter dans un pays où la parole est justement la seule chose qu’on peut partager avec l’autre.« 

Virtuose de l’humour et de la distanciation, Dany Laferrière (de Comment faire l’amour avec un nègre sans se fatiguer, 1985, Le Serpent à plumes, à Vers le Sud, 2006, Grasset) ne tombe jamais dans le pathos ou le sentimentalisme. Il n’étale pas son émotion à retrouver sa mère et sa sœur. Il s’est installé à l’hôtel pour ne pas donner l’illusion à sa mère que leur vie commune a repris et continuera comme autrefois. Sur le calendrier Esso elle n’ajoute plus le matin la croix qu’elle a inscrite chaque jour des trente-trois années pendant lesquelles il avait disparu. Depuis longtemps elle a remplacé son mari par Jésus. Elle chante des chansons d’autrefois. Sa jeunesse remonte au cœur de Dany.

Mais comment reconnaître tous ceux qui se disent ses copains d’enfance, que l’annonce dans la presse nationale de son retour a alertés? Il rend visite à des amis de son père. Enfin, ceux qui ont tenu le coup. « Les trois quarts des gens que j’ai connus sont déjà morts. Le demi-siècle est une frontière difficile à franchir dans un pareil pays. Ils vont si vite vers la mort qu’on ne devrait pas parler d’espérance de vie mais plutôt d’espérance de mort. » La misère, les maladies, et cette terrible faim qui tord les ventres. « Si on n’est pas maigre à vingt ans en Haïti, c’est qu’on est du côté du pouvoir. » Du pouvoir politique ou du pouvoir du crime, à moins que ce ne soit les mêmes. Le kidnapping est un business, l’assassinat un métier. A tout moment la mort peut arriver à toute vitesse derrière des lunettes noires sur une Kawasaki jaune. Deux médecins viennent d’en être les victimes devant leur hôpital. La main qui, soudain, se tend vers vous tient-elle un revolver ou un fruit?

Car Haïti, c’est aussi l’accueil, la générosité, le partage, le sourire, la courtoisie, une manière d’être qui est le privilège – oui, le privilège – des pauvres des pays pauvres. Comme, alors, sa vie d’écrivain à succès paraît lointaine à Dany Laferrière! Il est chez lui et il est ailleurs. Il est revenu et il est encore en exil. Il est de nouveau un Haïtien en Haïti et il sent bien qu’il est toujours un étranger. La schizophrénie frappe la plupart des immigrés de longue date lorsque, en quelque sorte, ils émigrent dans leur propre pays. L’exil est un double royaume.

L’Enigme du retour n’est cependant pas que le roman psychologique de l’exilé. C’est aussi un foisonnant recueil de croquis, d’instantanés, de choses vues, entendues et respirées, de notes prises sur le vif mêlées aux échos du passé. C’est formidablement vivant. Le verbe poétique de Dany Laferrière enchante le livre et, en dépit de la mort qui y a fait alliance avec le soleil, l’on se prend à rêver de Haïti.

 

L’auteur :

  Ecrivain atypique et attachant, Dany Laferrière, né Windsor Kléber à Port-au-Prince en 1953, a quitté, à l’âge de 4 ans, son île natale et a été élevé par sa grand-mère au Québec. Sa mère, par crainte des représailles du régime de François Duvallier, le confie à sa grand-mère Da, personnage qui lui inspira un récit, L’Odeur du café (Le Serpent à plume, 2001). Début d’un ballottage entre deux patries et deux cultures.

 Son père, maire de Port-au-Prince puis sous-secrétaire d’Etat au commerce, et opposant au régime, était alors en exil.

 A 11 ans, Dany Laferrière regagne Port-au-Prince où, après ses études, il devient chroniqueur culturel pour Le Petit Samedi soir et Radio Haïti.

 Le 1er juin 1976, après l’assassinat par les tontons macoutes de son ami journaliste Gasner Raymond, il quitte précipitamment Haïti sans avertir les siens. Plus tard, il relatera cette nuit de peur et de fuite dans Le Cri des oiseaux fous, son livre le plus personnel avec L’Enigme du retour.

 A son arrivée à Montréal, il travaille dans différentes usines jusqu’en 1985, date à laquelle paraît Comment faire l’amour avec un nègre sans se fatiguer qui le révèle au public (Jacques Benoît l’adaptera au cinéma en 1989). Suivront neuf autres romans qui formeront ce qu’il nomme son « autobiographie américaine ». Parmi eux on peut citer Cette grenade dans la main du jeune nègre est-elle une arme ou un fruit ? Le Goût des jeunes filles, Le Charme des après-midi sans fin ou Pays sans chapeau.

Auteur d’une vingtaine de livres, pas tous édités en France, Dany Laferrière est aussi poète, scénariste et cinéaste, après avoir fait ses classes dans le journalisme. Son premier roman, en 1985, s’intitulait Comment faire l’amour avec un nègre sans se fatiguer, et un de ses plus récents, Je suis un écrivain japonais, a provoqué un immense émoi au pays du Soleil-Levant.

En parallèle à l’écriture, Dany Laferrière s’est également lancé dans le cinéma. Scénariste du Goût des jeunes filles pour John L’Ecuyer (2004), il est passé la même année à la réalisation avec Comment conquérir l’Amerique en une nuit.

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