Club lecture…

… vu par Arlette

Indridason Arnaldur ♦ Le duel

Ce livre concerne le mentor d’Erlendur. Il peut être considéré comme une sorte de préquel de la série « Erlendur Sveinsson n°0 » ou le début d’une nouvelle série « Marion Briem n°1 » ou comme Erlendur Sveinsson n°12.

Prélude de la rencontre entre Arnaldur Sveinsson et Marion Briem, l’enquête que va mener ce dernier va très rapidement passer du fait divers sordide pour emprunter une tournure aux dimensions plus politiques sur fond de transfuge entre l’est et l’ouest dans un climat de paranoïa accentuée par la compétition dantesque que se livre les deux joueurs d’échecs.

Été 72, Islande, la guerre froide bat son plein.

Reykjavik se retrouve au centre d’un enjeu géopolitique majeur, et va être le terrain de jeu de deux superpuissances qui s’affronteront par échiquier interposé.

La ville est envahie par les touristes venus assister au championnat qui oppose le tenant du titre, l’Américain Bobby Fischer, personnage arrogant, et le Russe Boris Spassky flegmatique sûr de sa force et donc de l’issue de ce match. L’Américain se conduit comme un enfant capricieux, et a de multiples exigences. Le Russe est accueilli en triomphe par le parti communiste islandais, le tout sur fond de guerre froide.

Au même moment un jeune homme sans histoire de dix-sept ans, Ragnar Einarsson, un peu benêt, grand amateur de films, est poignardé dans une salle du cinéma Harfnarbio qu’il fréquente assidûment. Le magnétophone dont il ne se séparait jamais et qui sera la cause de son décès, a disparu. Il avait une drôle d’habitude : il collectionnait les trames sonores des films qu’il visionnait.

L’atmosphère de la ville est tendue, électrique.

La commissaire Marion Briem est chargée de l’enquête, au cours de laquelle certains éléments vont faire ressurgir son enfance marquée par la tuberculose, les séjours en sanatorium et la violence de certains traitements de cette maladie, endémique à l’époque dans tout le pays. Fille illégitime issue d’une liaison illégitime entre un père bourgeois qui ne reconnaitra jamais l’enfant et une mère qui disparaîtra dans le naufrage d’un navire, Marion Briem n’a eu pour famille qu’un vieux pêcheur austère. Petite fille solitaire, frêle et fragile, elle fait l’apprentissage de la mort en voyant partir Anton, 14 ans, dévoré par la maladie. Elle découvrira aussi que l’amour peut avoir les beaux cheveux roux et la peau claire de Katrin rencontrée au sanatorium et qu’elle n’a pas su retenir. Deux grands vides jamais assumés. Errant de sanatorium en sanatorium, sous la protection bienveillante du chauffeur de la famille paternelle, Marion Briem ne se remettra jamais de ce manque d’affection et ne sera donc jamais en mesure d’en prodiguer à qui que ce soi à l’exception de cette jeune fille rencontrée dans un sanatorium danois.

L’affaire tourne au roman d’espionnage et Marion, personnage complexe et ambigu, futur mentor d’Erlendur, est bien décidée à trouver le sens du duel entre la vie et la mort qui se joue là. Son adjoint Albert veut également s’investir dans l’enquête mais Marion ne lui dit pas tout. Il y a des parts d’ombre et de mystère chez la commissaire. Les jours avancent, les enquêteurs poussent leurs idées comme des pièces d’échec.

On apprend bien des choses sur les traitements de la tuberculose, sur le mode de vie de la société islandaise, sur la géopolitique de l’après-guerre et sur les intérêts économiques des grandes puissances autour de la « Terre de glace ».

Comme un message d’espoir, à la dernière page de ce roman, un jeune policier apparaît. Marion le regarde, un visage intelligent, une bouche volontaire mais des yeux cernés, profondément. Il tient une enveloppe tout en se grattant le cou. À la demande de Marion, il dit son nom : « Je m’appelle Erlendur Sveinsson. »

Un nouveau roman d’Indridason qu’il est difficile de lâcher tant l’ambiance, l’épaisseur des personnages, la qualité d’écriture et l’intrigue sont prenantes.

Mais il faut bien admettre que le commissaire Erlendur est un héros qui arrive en bout de course et dont Arnaldur Indridason semble avoir fait le tour à un point tel qu’il a délaissé à deux reprises son policier fétiche pour mettre au premier plan des protagonistes qui évoluaient dans la périphérie du personnage principal.

Dans Le Duel, l’auteur renouvelle l’expérience en concentrant son récit sur Marion Briem, un des personnages le plus ambigu de la série. Une ambigüité qui réside déjà  dans le genre de ce personnage clairement féminin dans La Cité de Jarre, mais qui semblera plus masculin dans ce dernier roman, notamment si l’on se réfère au résumé de l’ouvrage qui le fait passer pour un homme (une erreur peut-être ?). Confusion que Arnaldur Indridason se plaît à entretenir durant tout le récit. Durant toute l’histoire, l’auteur n’utilise jamais le pronom « il » ou « elle » pour désigner Marion Briem – ce qui n’est probablement pas le fruit du hasard.

 

L’auteur :

Arnaldur Indriðason, né le 28 janvier 1961 à Reykjavík, est un écrivain islandais, fils de l’écrivain Indriði G. Þorsteinsson, né en 1926, dans le nord de l’Islande, qui vivait dans le plus grand dénuement ayant été élevé dans une maison en tourbe.  Comme presque tous les Islandais, il est désigné par son prénom, Arnaldur. Son patronyme (qui, selon la tradition islandaise, est une simple marque de filiation, « Fils de Indrid », pour le distinguer de d’autres Arnaldur) est parfois transcrit par Indridason comme dans ses livres traduits en français, alors que la translittération correcte devrait être Indridhason, le dh se prononçant comme le th dans l’anglais the.

Quand Arnaldur Indriðason est né, son père habitait dans un immeuble récemment construit à Reykjavik. Lui aussi était écrivain, et ses romans traitaient de ces changements. Le plus célèbre, Terre et fils, racontait ainsi l’histoire d’un jeune homme contraint de quitter sa campagne.

En 1996, Arnaldur Indriðason obtient un diplôme en histoire à l’université d’Islande. Journaliste au Morgunblaðið en 1981-1982, il devient scénariste indépendant.

De 1986 à 2001, il travaille comme critique de films pour le Morgunblaðið. Aujourd’hui, il est l’auteur de quinze romans policiers dont 7 ont été traduits en français — dont plusieurs sont des best-sellers.

Arnaldur Indriðason publie son premier livre, Synir duftsins (littéralement « Fils de poussière », inédit en français) en 1997. Cette publication marque pour certains, comme Harlan Coben, le départ d’une nouvelle vague islandaise de fiction criminelle. Quand il commence à écrire, en 1997, le roman policier a mauvaise réputation en Islande, ce n’est pas un genre « noble », la plupart des auteurs le tiennent pour un divertissement de médiocre qualité. Aujourd’hui, heureusement, le malentendu a été levé. Il y a une autre raison qui explique cette absence de tradition du roman policier, pourtant florissant dans le reste de la Scandinavie : son pays ne comptait que peu de criminels, fort peu de meurtres, et par conséquent peu d’enquêtes de police. Imposer un personnage de flic avec un nom typiquement islandais, des histoires qui se passent dans les rues de Reykjavík et des personnages qui vivent comme des Islandais constituait alors un véritable défi ! Les gens n’y croyaient pas. Mais depuis quinze ans, les crimes, ceux liés au trafic de drogue en particulier, se sont multipliés et sont devenus extrêmement violents. La société a profondément changé, elle est essentiellement urbaine. C’est de ce changement qu’il essaie de rendre compte, et ses romans s’inscrivent dans ce qu’on appelle le « réalisme social ».

Aux côtés d’Arni Thorarinsson, également auteur islandais de polars, Arnaldur déclare qu’« il n’existe pas de tradition de polar en Islande. [À cet état de fait, il y a deux raisons.] L’une tient en ce que les gens, y compris les écrivains, considéraient les histoires policières comme des mauvais romans […]. La deuxième raison, c’est que beaucoup d’Islandais ont longtemps cru en une sorte d’innocence de leur société. Très peu de choses répréhensibles se produisaient, et le peu de faits divers ne pouvaient pas donner lieu à des histoires policières. Ce qui explique qu’à [leurs] débuts, Arni Thorarinsson ou [Arnaldur ont] eu du mal à (s’)imposer [dans les milieux littéraires islandais]. »

Il fut nommé à maintes reprises écrivain le plus populaire d’Islande.

En 2004, ses livres ont fait partie des dix livres les plus empruntés à la Bibliothèque municipale de Reykjavík.

Ces livres ont été publiés dans 26 pays et traduits en allemand, danois, anglais, italien, tchèque, suédois, norvégien, néerlandais, catalan, finnois, espagnol, portugais et français.

Deux de ses œuvres : « La Cité des jarres » et « Hiver arctique » ont reçu, en 2002 et 2003, le Prix Clé de verre, la plus haute distinction scandinave.

Il a également gagné le « Gold Dagger Award », prix littéraire britannique, en 2005 pour « La Femme en vert », et son roman « L’Homme du lac » (Métailié, 2008) a reçu le Prix polar européen du Point.

Il est le premier à recevoir The Glass Key Prize du Skandinavia Kriminalselskapet, deux années consécutives.

En 2011, il reçoit le 1er Prix Boréales-région Basse-Normandie du Polar Nordique à l’occasion de ce festival et le prix espagnol RBA du roman noir en 2013.

Cet écrivain partage désormais une reconnaissance internationale avec Arni Thorarinsson, Jon Hallur Stefansson, Stefan Mani et Yrsa Sigurðardóttir, eux aussi traduits en français.

Arnaldur Indriðason a adapté trois de ses livres pour la radio du service audiovisuel islandais RÚV. Le producteur islandais Baltasar Kormákur a travaillé à une adaptation de Mýrin, La Cité des Jarres (titré Jar City en français et sorti en France en septembre 2008).

Snorri Thórisson travaille sur une production internationale de Napóleonsskjölin. Arnaldur Indriðason est actuellement en collaboration avec l’Icelandic Film Fund pour l’écriture de deux scénarios d’après deux de ses nouvelles.

Il vit à Reykjavík avec sa femme et ses trois enfants. Les deux auteurs ayant fortement influencé Arnaldur Indriðason sont Maj Sjöwall et Per Wahlöö, deux écrivains suédois qui ont imaginé, dans les années 1960, les aventures de l’inspecteur Martin Beck.

 

BIBLIOGRAPHIE

Enquêtes d’Erlendur Sveinsson :

  1. Synir duftsins (1997) – Inédit en français
  2. Dauðarósir (1998) – Inédit en français
  3. La Cité des Jarres : Mýrin (2000) – Prix Cœur noir, Prix Mystère de la critique en 2006, Prix Clé de verre en 2002 du roman noir scandinave
  4. La Femme en vert : GrafarÞögn (2001) – Prix Clé de verre en 2003 du roman noir scandinave, Prix “The CWA Gold Dagger” en 2005(UK), Grand Prix des lectrices de Elle Policier en 2007, Prix Fiction 2006 du livre insulaire de Ouessant
  5. La Voix : Röddin (2002) – Prix “The Martin Beck Award” en 2005, Grand Prix de Littérature Policière 2007, Lauréat du Trophée 813
  6. L’Homme du Lac : Kleifarvatn (2004)
  7. Hiver arctique : Vetrarbotgin (2005)
  8. Hypothermie : Harðskafi (2007)
  9. La rivière noire : Myrká (2008)
  10. La muraille de lave : Svörtuloft (2009)
  11. Etranges rivages : Furðustrandir (2010)
  12. Le duel : Einvígið (2011)
  13. Les nuits de Reykjavik : Reykjavíkurnætur (2012)
  14. Le lagon noir : Kamp Knox (2014)
  • Les enquêtes d’Erlendur – Omnibus reprenant les 3 premiers tomes d’Erlendur.
  • “Avant Erlendur” – Enquête de Marion, futur mentor d’Erlendur
  • Le duel

Trilogie des ombres :

  1. Dans l’ombre : Þýska húsið (2015)
  2. La femme de l’ombre : Petsamo (2016)
  3. Passage des ombres : Skuggasund (2013) – Parution en France au printemps 2018

Autres :

  • Opération Napoléon : Napóleonsskjölin (1999)
  • Betty : Bettý (2003)
  • Le livre du roi : Konungsbók (2006)
  • Skuggasund
  • Leyndardómar Reykjavíkur (2000)  – roman dont chaque chapitre fut rédigé par un auteur différent
  • Reykjavík-Rotterdam (2008), scénario du film de Óskar Jónasson, en collaboration avec le metteur en scène

Les romans :

Les principaux romans d’Arnaldur Indriðason mettent en scène la même équipe d’enquêteurs, dont l’abrupt Erlendur Sveinsson, torturé par la disparition de son frère alors qu’il n’était qu’un enfant et tourmenté par sa fille toxicomane. Ce sont ces souffrances et les conditions qui les ont engendrées qui intéressent particulièrement Arnaldur car « le bonheur se suffit à lui-même, il n’y a rien à en dire ».

Son prénom « Erlandur » signifie « étranger ». Peut-être parce qu’il est déraciné. Il est d’abord étranger à la tradition littéraire islandaise, où ce type de personnage n’existait pas jusqu’alors.

D’une certaine façon, Erlendur est un hors-la-loi littéraire. Il est également un étranger dans la ville. Il est né dans une ferme dans les fjords de l’Est, après la guerre, au moment où le mouvement d’exode rural est déjà amorcé, avec ses parents, dans des conditions qui n’étaient pas très différentes de celles des siècles précédents. L’agriculture islandaise, c’était la petite exploitation familiale et l’élevage des moutons. Le peuple vivait dans une pauvreté et un dénuement extrêmes. Le pays était régulièrement affligé par les famines ou les disettes, conséquences d’hivers violents, d’étés difficiles, mais aussi de tremblements de terre et d’éruptions volcaniques parmi les plus terribles d’Europe. Il y a vécu toute sa jeunesse et n’est venu que plus tard habiter à Reykjavík, à l’instar de nombre de ses compatriotes.

Et puis c’est un étranger dans l’époque où il vit. Erlendur est un homme du passé, nostalgique de l’Islande traditionnelle, il est profondément mélancolique.

L’Islande est passée, en quelques décades, d’une société de paysans et de pêcheurs pauvres à une société urbaine, citadine, parmi les plus riches de la planète. On sait bien que des changements économiques et sociaux aussi radicaux laissent toujours des gens sur le côté de la route. Erlendur fait partie des laissés-pour-compte de cette révolution. Il connaît intimement la difficulté de vivre en Islande. Le paysage est sauvage, fascinant, mais aussi redoutable et dangereux. Le temps peut changer en quelques instants ; la tempête, se lever brutalement. Depuis toujours, les Islandais ont su que quand un homme quittait une ferme pour se rendre dans une autre il n’était jamais sûr d’arriver à destination. Parfois, il arrivait totalement frigorifié et on le sauvait de justesse. Parfois, il mourait en chemin, dans la tempête. Parfois, il s’écartait de la route, se perdait dans le brouillard ou la neige, et son corps n’était jamais retrouvé.

Cela arrive encore aujourd’hui aux chasseurs d’oies ou de perdrix. Des centaines d’histoires de ce genre ont été consignées dans des livres – un véritable genre littéraire – qu’Erlendur collectionne car il est hanté par la disparition de son petit frère, dans une tempête, quand ils étaient enfants.

Ses romans sont régulièrement des prétextes à un voyage dans le passé, tel l’Homme du lac, où l’enquêteur Erlendur trouve un squelette vieux de quarante ans, faisant appel au passé communiste d’une partie des Islandais durant la guerre froide. Arnaldur déclare à ce propos : « Je m’intéresse aussi aux squelettes qui collent aux basques des vivants. Ce qui m’intéresse le plus, ce sont les « squelettes vivants », pourrait-on dire. Mes romans traitent de disparitions, mais ils ne traitent pas principalement de la personne qui a disparu, plus de ceux qui restent après la disparition, dans un état d’abandon. Je m’intéresse à ceux qui sont confrontés à la perte. Ce sont ces gens-là que j’appelle les « squelettes vivants » : ils sont figés dans le temps. […] J’aime beaucoup remonter le temps, et envoyer mes personnages sur les traces du passé. J’aime exhumer des événements oubliés. Le temps en tant que concept est quelque chose qui m’intéresse énormément – la manière dont le temps passe, mais aussi son influence, les conséquences de son passage sur nos vies. J’aime déceler les liens entre une époque et une autre. Évidemment, la thématique du temps est une partie très importante des histoires que je raconte, que ce soit son pouvoir destructeur ou son pouvoir de guérison qu’il peut avoir. Même si dans « La Femme en vert » Erlendur déclare que le temps ne guérit aucune blessure. »

 Dans L’Homme du lac, l’écrivain s’appuie sur une donnée géologique réelle : le lac de Kleifarvatn à vingt-cinq kilomètres au sud de Reykjavik, se vide périodiquement. C’est ainsi que, dans le livre, une hydrologue découvre un squelette sur le fond sablonneux.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *