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… vu par Arlette

Guenassia Jean-Michel ♦ Le club des incorrigibles optimistes

Le club des incorrigibles optimistesL’histoire débute à Paris en 1980. Jean-Paul Sartre est enterré au cimetière Montparnasse. Deux hommes se rencontrent aux abords du cimetière : Michel et Pavel, qui se sont connus vingt ans auparavant, dans un bistrot du quatorzième arrondissement de Paris. A l’époque, Michel avait tout juste douze ans, un grand frère communiste, Franck, des parents propriétaires d’un magasin de salles de bains. La famille bourgeoise de sa mère méprisait celle de son père, fils d’un cheminot SNCF. L’oncle Maurice vivait en Algérie, où Franck partirait bientôt.

C’est grâce à son frère Franck que Michel entre un beau jour au Balto, le petit bistrot près de Denfert-Rochereau. Ce café dont l’arrière salle semble abriter les réunions d’un club très fermé. Michel intègrera ce club des Incorrigibles Optimistes, où se retrouvent autour de parties d’échecs passionnées une poignée d’exilés d’Europe de l’Est : Igor l’ancien chirurgien russe, Leonid l’ancien pilote de l’Aeroflot, Tibor l’ancienne star de cinéma hongrois, son manager Imré, Werner le projectionniste de cinéma, Pavel ou Sacha que tous semblent détester. Tous sont passés à l’Ouest, ont abandonné leurs patries, leurs familles, leur passé. Kessel et Sartre s’installent parfois au fond de la salle. Ils s’étaient tous retrouvés à Paris dans ce club d’échecs d’arrière-salle que fréquentaient aussi Kessel et Sartre. Cette rencontre bouleversa définitivement la vie de Michel. Parce qu’ils étaient tous d’incorrigibles optimistes.

Un jeune adolescent, quelques apatrides qui n’ont plus que l’amitié pour se réchauffer le cœur, une famille petite-bourgeoise qui se déchirera, des amis passionnés et exaltés, une passion commune pour les grandes discussions sur la vie, la littérature, le socialisme, l’Algérie, les échecs, voilà les ingrédients du roman de Jean-Michel Guenassia. Entre chronique sociale des années 1960 et esquisse amère des déceptions du stalinisme, sur fond de rock and roll et de guerre d’Algérie, c’est un roman au style fluide, agréable, sans fioriture inutile : on se glisse dans cette histoire, on se faufile au fond du Balto et on regarde vivre ces personnages attachants et terriblement émouvants avec l’impression d’être juste à cotés d’eux, de les écouter et de les observer.

Parfois les histoires croisées de ces hommes s’imbriquent, il y a quelques retours en arrière, le passé des exilés se mêle au présent de Michel, ses études au lycée Henri IV, son amour des livres, ses relations avec Cécile, l’amie de Franck, passionnée par Aragon, Camille la jeune fille passionnée de poésie, ses relations parfois houleuses avec sa famille. Parfois on se dit que c’est long, mais il suffit d’une pause pour retrouver avec joie cette galerie touchante, ce Paris des années 60 dans lequel on aimerait vivre, ces bistrots où l’on refait le monde dans la fumée des cigarettes et les discours qui finissent souvent en engueulade générale mais où tout le monde se réconcilie rapidement. La fin n’est pas dénuée d’émotion, on comprendra pourquoi Sacha est ignoré des autres et le cœur se serrera dans les toutes dernières lignes.

Chez le petit Michel non plus, la vie n’est pas bien simple : les parents se déchirent, on parle de guerre, de jeunes qui s’engagent, mais aussi de la Fête de l’Huma et du Parti communiste français.

Dans la France des trente glorieuses, le jeune Michel Marini est un collégien comme tant d’autres : entre deux parties de baby-foot et trois chansons de Jerry Lee Lewis, il essaie tant bien que mal de comprendre ses cours de math. Comme les autres ? Pas tout à fait… D’abord, il est le fruit de l’union improbable de la fille Delauney et de l’ouvrier italien communiste Marini, ce qui ne manque pas d’animer les repas familiaux.

Et puis, Michel a deux passions, la lecture et la photographie. Si la première le dévore littéralement (il se définit lui-même comme lecteur compulsif), il est encore timide face à la deuxième. Mais notre jeune narrateur verra son existence irrémédiablement bouleversée par la découverte d’un drôle de club d’échec dans l’arrière salle du Balto, bar où il vient défier le quartier dans des parties de baby-foot acharnées.

A 12 ans, Michel Marini navigue entre le jardin du Luxembourg et la place de la Contrescarpe, faisant un saut, à l’occasion, au lycée Henri IV où il est supposé étudier. Il faut dire que Michel a des préoccupations autrement plus importantes que les exercices de maths, qui le laissent toujours en échec : le rock, la poésie, la politique. A force d’user les babyfoots du Balto, un grand bistrot à Denfert-Rochereau, il a réussi à se faire une place dans son cercle très fermé, composé d’exilés du bloc de l’Est, des intellectuels apatrides partagés entre « ceux qui haïssaient l’idéologie socialisante et qui lorgnaient vers l’Amérique et ceux qui avaient fui les pays de l’Est mais étaient restés socialistes ». Il y a Leonid et Igor, les réfugiés soviétiques, Werner l’allemand antinazi, Tibior l’acteur hongrois… et à l’occasion, Joseph Kessel et Jean-Paul Sartre qui viennent boire un demi et deviser derrière le rideau du Balto. Avec eux, il découvre les nuances de la vie politique à travers les nostalgiques du socialisme et ceux qui ont coupé le cordon sans se retourner, troquant leurs familles contre une précarité infinie. Un peu par hasard au début, puis très vite par passion, Michel plonge au cœur des débats idéologiques des années 60. Sa conscience politique est en éveil permanent, puisque chez lui, sa famille s’implique aussi dans les événements de l’époque : son frère aîné Franck s’engage en Algérie puis déserte, et son oncle installé là-bas rentre en France dans l’urgence, parmi ceux qu’on nommera plus tard les Pieds-noirs.

Il faut dire que les membres de ce club ont de quoi retenir l’attention : ces hommes à l’accent roulant, ont quitté leur pays, leur famille, leur métier. Reconvertis en taxis, projectionnistes ou chauffeur de salle, ils se retrouvent chaque après-midi pour jouer aux échec et évoquer l’avenir. Le passé ? Ils l’ont laissé à l’Est et il ne faut plus en parler. Petit à petit, Michel réussit à se faire une place dans cette drôle de troupe et bientôt l’arrière salle du Balto lui tient lieu de deuxième maison. Attendris par cet enfant silencieux, les membres du club confient à Michel leur passé: tous ont plus ou moins fui le régime stalinien, chacun à une histoire insolite (parfois belle, souvent terrible).

Guerre Froide au bistrot, guerre d’Algérie à la maison, et révolution dans la tête : Michel représente une décennie en jouant au babyfoot et en écoutant des vinyles. Plus qu’un personnage, il est le condensé d’une époque, des envies et des tensions qui la traversent. Dommage cependant, que de 1959 à 1964, de ses douze ans à ses seize ans, son regard évolue si peu. Il reste cantonné à l’ado type des années 60, cancre, engagé, comme on en a vu et lu beaucoup avant lui. Un héros d’autant moins consistant qu’autour de lui gravitent des personnages forts, bien campés, comme celui du russe Leonid, douloureux et taciturne, qui prend toute son importance dans la dernière partie du roman.

L’éditeur présente Le Club des incorrigibles optimistes comme un premier roman, il semble pourtant que Jean-Michel Guenassia ait déjà publié des fictions policières. Quoi qu’il en soit, cet opus est un beau roman ambitieux qui réussit à brosser le portrait de la France gaulliste à peine relevée de la guerre, ignorant ce qui se passe à deux pas de chez elle, dans la Russie stalinienne.

Jean-Michel Guenassia prend tout son temps pour installer le lecteur dans ce monde où se croisent les destinées les plus complexes et le quotidien du petit Parisien qui fait son apprentissage de la vie. Cette délicate balance entre l’histoire mondiale des années 1960 et la vie sans aspérité de la famille Marini est maintenue, portée et développée de la première à la dernière page. C’est sans doute la principale qualité de ce livre : ne jamais tomber dans la démonstration, préserver le sentiment, la proximité et la structure romanesque.

Avec habileté, Jean-Michel Guenassia mêle l’Histoire à la fiction, le déroulement chronologique des faits aux bouleversements romanesques. Chaque membre du Club du Balto a droit à ses anecdotes et au récit de son passé, plus ou moins détaillé et dramatique. On apprend au fil du roman que ces exilés aux accents et aux coups de sang qui fascinent Michel sont unis par des enjeux qui dépassent le cercle du Balto. Entre deux voyages dans le bloc de l’Est, l’auteur nous ramène dans le présent de Michel, à sa famille qui se déchire, à ses amies qui lisent Aragon. C’est si bien orchestré que les 750 pages se tournent sans ennui.

Dans ce livre de près de 800 pages, Jean-Michel Guenassia a eu l’ambition d’écrire à la fois le « roman d’une génération » en reconstituant avec minutie les années 1960 (la guerre froide, la question algérienne, l’apparition du rock and roll…) et la « chronique mélancolique d’une adolescence ». Jean-Michel Guenassia évoque le petit monde des réfugiés de l’Est dans le Paris populaire des années 1960.

 Le titre se justifie par le lieu déterminant du roman, l’arrière-salle d’un bistrot parisien fréquenté par Joseph Kessel et par Jean-Paul Sartre, où se retrouvent des hommes qui ont fui le communisme des pays de l’est (Igor, ancien médecin russe menacé par les purges staliniennes, Pavel ancien diplomate bulgare…) mais qui sont tous « d’incorrigibles optimistes ».

Le roman a été salué par la critique unanime (Télérama, Le Point, L’Express, le Nouvel Observateur…) et a trouvé un large public. Il a été couronné par le Prix Goncourt des lycéens le 9 novembre 2009.

Michel Marini avait douze ans en 1959. C’était l’époque du rock’n’ roll et de la guerre d’Algérie. Lui, il était photographe amateur, lecteur compulsif et joueur de baby-foot au Balto de Denfert-Rochereau.

Un roman jamais trop lyrique, avec juste ce qu’il faut de nostalgie, un roman d’atmosphère et d’amitiés, un roman qui nous fait aimer tous ses personnages et Paris encore plus.

L’auteur :

 Jean-Michel Guenassia est un écrivain français, né en  1950 à Alger. Son roman Le Club des incorrigibles optimistes a obtenu le Prix Goncourt des lycéens en novembre 2009.

 Avocat pendant six ans, Jean-Michel Guenassia vit de sa plume en écrivant des scénarios pour la télévision.

 Il publie un roman policier en 1986, Pour cent millions (éditions Liana Lévi, prix Michel-Lebrun), dont il dit « Je ne le renie pas,… mais je n’ai pas donné suite, il me fallait autre chose », puis fait jouer quelques pièces de théâtre, notamment Grand, beau, fort, avec des yeux noirs brûlants…, en 2008 à Avignon.

 Son éditeur Albin Michel présente cependant Le Club des incorrigibles optimistes publié en 2009 comme le premier roman d’un inconnu de 59 ans.

 

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