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… vu par Arlette

Slimani Leïla ♦ Le pays des autres

« Le pays des autres », c’est l’histoire d’une Alsacienne qui s’installe au Maroc au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, pour suivre l’homme dont elle est tombée amoureuse.

Premier tome d’une trilogie à venir.

Leila Slimani s’inspire de la vie de ses grands-parents, Amine et Mathilde : lui colonel des spahis, engagé dans l’armée française durant la seconde guerre mondiale, – elle, jeune fille de 20 ans, gâtée d’une famille bourgeoise alsacienne, unis par une passion sensuelle et forte, et par un rêve héroïque de réussite, à la Karen Blixen, sur les terres arides des environs de Meknès.

Deux très jeunes époux, deux cultures, deux religions, deux éducations radicalement différentes-et l’amour. Mais celui-ci  mis à rude épreuve par celles-là. Sans compter que Mathilde comme Amine sont ce qu’on peut appeler des caractères.

En 1944, Mathilde, une jeune Alsacienne, s’éprend d’Amine Belhaj, un Marocain combattant dans l’armée française. Après la Libération, elle quitte son pays pour suivre au Maroc celui qui va devenir son mari. Le couple s’installe au Maroc à Meknès, ville de garnison et de colons, où le système de ségrégation coloniale s’applique avec rigueur. Amine récupère ses terres, rocailleuses ingrates et commence alors une période très dure pour la famille.

Mathilde accouche de deux enfants : Aïcha, sauvage, discrète, intelligente, sensible et Sélim. Elle se sent vite étouffée par le climat rigoriste du Maroc. Seule et isolée à la ferme avec ses deux enfants, elle souffre de la méfiance qu’elle inspire en tant qu’étrangère et du manque d’argent. Au prix de nombreux sacrifices et vexations, Amine tente de mettre en valeur le domaine, en s’alliant avec un médecin hongrois, Dragan Palosi, qui va devenir un ami très proche. Le travail acharné du couple portera-t-il ses fruits ?

Mais les relations entre les colons et les indigènes sont très tendues, et Amine se trouve pris entre deux feux : marié à une Française, propriétaire terrien employant des ouvriers marocains, il est assimilé aux colons par les autochtones, et méprisé et humilié par les Français parce qu’il est marocain. Il est fier de sa femme, de son courage, de sa beauté particulière, de son fort tempérament, mais il en a honte aussi car elle ne fait pas preuve de la modestie ni de la soumission convenables.

Aïcha grandit dans ce climat de violence, suivant l’éducation que lui prodiguent les Sœurs à Meknès, où elle fréquente des fillettes françaises issues de familles riches qui l’humilient. Selma, la soeur d’Amine, nourrit des rêves de liberté sans cesse brimés par les hommes qui l’entourent.

Alors qu’Amine commence à récolter les fruits de son travail harassant, des émeutes éclatent, les plantations sont incendiées : le roman se clôt sur des scènes de violence inaugurant l’accès du pays à l’indépendance en 1956.

Les dix années que couvre le roman sont aussi celles d’une montée inéluctable des tensions et des violences qui aboutiront en 1956 à l’indépendance de l’ancien protectorat.

Tous les personnages de ce roman vivent dans « le pays des autres » : les colons comme les indigènes, les soldats comme les paysans ou les exilés. Les femmes, surtout, vivent dans le pays des hommes et doivent sans cesse lutter pour leur émancipation.

Comme Mathilde, sensible et généreuse, comme la farouche et secrète Aïcha née de ces noces « de la carpe et du lapin », comme Selma la jeune et jolie belle-sœur, comme toutes ces femmes « modernes » qui luttent pour leur émancipation qu’elle soit financière et quasi professionnelle pour Mathilde, scolaire pour la petite Aïcha  ou sexuelle pour Selma, le Maroc d’après-guerre rue, lui aussi, dans les brancards.

Mais ce sont ceux de la colonisation, ce Protectorat français qui  met sous tutelle ce fier pays qui a cru mériter le respect de la France en combattant à  ses côtés et découvre, après la guerre, l’ ignorance et le mépris de cette seconde « mère-Patrie » qui le  traite en enfant mineur ou en femme subalterne, jusqu’à l’éclatement des émeutes nationalistes et indépendantistes de 1956.

 

Après deux romans au style clinique et acéré, Leïla Slimani, dans cette grande fresque, fait revivre une époque et ses acteurs avec humanité, justesse, et un sens très subtil de la narration.

L’auteur :

Leïla Slimani, née le 3 octobre 1981 à Rabat au Maroc, d’une mère médecin franco-algérienne et d’un père banquier marocain, est une journaliste et écrivaine franco-marocaine. Elle a la nationalité française et se sent aussi pleinement européenne qu’africaine, loin des débats incertains sur l’identité qui agitent l’Hexagone.

Élève du lycée français Descartes de Rabat, Leïla Slimani grandit dans une famille d’expression française. On parlait français à la maison, si bien qu’elle parle mal l’arabe.

Sa mère, Béatrice-Najat Dhobb Slimani, de mère alsacienne et de père algérien, est médecin ORL, et a été une des premières femmes à intégrer une spécialité médicale au Maroc. Ses parents se sont rencontrés en 1944 pendant la Seconde Guerre mondiale, quand Lakhdar, un spahi algérien, participe à la Libération du village d’Anne, issue de la bourgeoisie alsacienne. Après la guerre, elle s’est installée avec lui au Maroc.

Son père, Othman Slimani, est banquier et un haut fonctionnaire marocain. Il est né à Fès, puis est venu étudier en France avant de retourner au Maroc pour devenir secrétaire d’état dans les années 1970. Il a ensuite dirigé une banque jusqu’à ce qu’un scandale financier lui vaille de tomber en disgrâce. Amoureux de la langue française ayant lui-même fait ses études en France, son père l’éduque, avec ses deux sœurs, dans la langue de Molière.

Après une ascension professionnelle remarquable, celui-ci s’est retrouvé à 61 ans, empêtré dans un scandale de détournement de fonds. À partir de ce moment-là, son monde s’est écroulé. « Ça a été une longue descente aux enfers. Il n’a jamais voulu fuir le Maroc parce qu’il se savait innocent. Il a été incarcéré durant 4 mois alors que j’avais 21 ans», explique l’écrivaine à nos confrères du Monde. Avec un mari enfermé, la mère de Leïla Slimani a dû s’occuper de tout à la maison. « Je lui voue une admiration extraordinaire »,

Il est mort en 2004. Des années après sa disparition, la justice a reconnu ses torts. « ll a été entièrement innocenté, à titre posthume ». « C’était une erreur judiciaire, il avait servi de bouc émissaire. Une « erreur judiciaire » qui a bouleversé la vie de cette famille.

Après son baccalauréat obtenu en 1999, Leïla Slimani a quitté le Maroc à 17 ans, pour entrer en hypokhâgne au lycée Fénelon à Paris, après avoir un temps envisagé de devenir psychiatre.

Son amour pour l’écrivain Stefan Zweg l’a menée à entreprendre à l’âge de 20 ans, un pèlerinage zweigien en Europe de l’Est, à Vienne, Prague et Budapest.

C’est à l’issue de son cursus à Sciences-Po Paris et devenue diplômée de l’Institut des Études Politiques de Paris qu’elle entreprend de vivre par les mots, intégrant en 2008 – année de son mariage avec un banquier parisien – l’équipe de JA, pour lequel elle couvre le Maroc. Cela lui permet de se lier, entre autres, avec l’écrivain marocain Tahar Ben Jelloun, qui lui prodigue de précieux conseils.

Elle s’essaie au métier de comédienne (Cours Florent), mais prend très vite conscience qu’elle est une « comédienne médiocre ». Elle décide alors de compléter ses études à ESCP Europe (École supérieure de Commerce) pour se former aux médias. À cette occasion, elle rencontre Christophe Barbier, alors parrain de sa promotion, qui lui propose un stage à L’Express. Finalement, elle est engagée au magazine Jeune Afrique en 2008 et y traite des sujets touchant à l’Afrique du Nord.

Devenue mère en 2011, elle démissionne de la rédaction de Jeune Afrique en 2012, pour se consacrer à l’écriture, tout en restant pigiste pour le journal.

En 2013, son premier manuscrit « La baie de Dakhla : Itinérance enchantée entre mer et désert » est refusé par toutes les maisons d’édition auxquelles elle l’avait envoyé. Elle entame alors un stage de deux mois à l’atelier de l’écrivain et éditeur Jean-Marie Laclavetine. Elle déclare par la suite : « Sans Jean-Marie, Dans le jardin de l’ogre n’existerait pas »

En 2014, elle s’attelle à l’écriture d’un livre « Dans le jardin de l’ogre », roman parlant sans tabou de la nymphomanie. C’est le deuxième de sa main, mais le premier à être édité par la maison Gallimard, dans sa prestigieuse collection « Blanche ». L’idée de ce roman lui est venue, alors qu’elle s’occupait de son fils en regardant la télévision, alors entièrement occupée par l’affaire DSK. Elle décide de donner vie à un personnage féminin à l’appétit sexuel dément. Ce livre reçoit un succès critique et commercial très prometteur, sinon annonciateur. Le sujet (l’addiction sexuelle féminine) et l’écriture sont remarqués par la critique et l’ouvrage est sélectionné dans les cinq finalistes pour le prix de Flore 2014.

Son deuxième roman, Chanson douce, dédié à son fils, obtient le prix Goncourt 2016

Mais cette réussite ne détourne pas Leïla Slimani de son goût pour l’enquête journalistique, la Franco-Marocaine se préparant à publier en janvier 2017, Sexe et Mensonges, fruit de deux ans d’enquête – un essai rassemblant des entretiens sur la sexualité au Maroc réalisés avec des femmes rencontrées dans son pays natal.

Au second tour de l’élection présidentielle de 2017, elle apporte son soutien à Emmanuel Macron pour contrer « le déclinisme et la haine » qu’incarne à ses yeux Marine Le Pen, mais aussi « par adhésion », car « la jeunesse, la modernité d’Emmanuel Macron – également fervent défenseur de l’égalité des hommes et des femmes – donneront un nouvel élan à la France, qui est actuellement enlisée dans une forme de grand pessimisme », estime l’écrivaine. Il lui aurait même proposé le portefeuille de ministre de la Culture, ce qu’elle ne confirme pas, mais ne dément pas non plus.

En juin 2017, Leïla Slimani reçoit l’Out d’or du « coup de gueule » de l’Association des journalistes LGBT, pour avoir critiqué la pénalisation de l’homosexualité au Maroc et le contrôle du corps des femmes.

Le 6 novembre 2017, elle devient la représentante personnelle du président Emmanuel Macron pour la francophonie, afin de siéger au Conseil permanent de l’Organisation internationale de la francophonie.

Dans une interview à Telquel, elle se confie sur sa double identité nationale : « Je suis née avec la nationalité française et je me suis toujours sentie 100 % française et 100 % marocaine, donc je n’ai jamais eu de problème par rapport à ça. Le regard de l’autre je m’en fiche complètement. Je ne me laisse pas enfermer dans des identités. Ce serait un peu malvenu de ma part de me plaindre alors que c’est beaucoup plus une souffrance pour des gens qui sont nés en France, qui ont des noms maghrébins, et qui sont constamment ramenés à leur identité maghrébine. Pour moi, c’est différent. J’ai une “vraie” double nationalité, une vraie double appartenance. Donc, que les gens me ramènent à mon identité marocaine, eh bien tant mieux, je suis marocaine. »

La sortie en 2017 de son essai Sexe et Mensonges : La Vie sexuelle au Maroc, encensé par l’écrivain Kamel Daoud et remarqué par la critique, déclenche une polémique avec les Indigènes de la République après que Houria Bouteldja, porte-parole de l’association, a qualifié la romancière de « native informant » – anglicisme signifiant littéralement informateur autochtone  – « notion que les études postcoloniales ont forgée pour désigner les personnes de couleur qui, surcompensant un complexe d’infériorité à l’égard des Blancs, imitent ces derniers pour leur plaire et être reconnues par eux », observe Fatiha Boudjahlat. Sur les réseaux sociaux, elle est régulièrement insultée par des racistes et par des islamistes

Elle est la présidente du prix du Livre Inter en 2018 et est membre du jury du Festival du cinéma américain de Deauville 2018.

En 2020, elle publie son nouveau roman Le pays des autres, premier tome d’une trilogie.

Leïla Slimani est mariée depuis 2008 à un banquier avec lequel elle a deux enfants : un garçon Émile, né en 2011 et une fille en 2017.

 

Œuvre :

  • 2013 : La Baie de Dakhla : Itinérance enchantée entre mer et désert,
  • 2014 : Dans le jardin de l’ogre,
  • 2016 : Chanson douce – Prix Goncourt 2016.
  • 2016 : Le diable est dans les détails
  • 2017 : Sexe et Mensonges : La Vie sexuelle au Maroc
  • 2017 : Paroles d’honneur
  • 2017 : Simone Veil, mon héroïne
  • 2018 : Comment j’écris : Conversation avec Éric Fottorino
  • 2020 : Le Pays des autres,

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