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… vu par Arlette

Kressmann Taylor ♦ Inconnu à cette adresse

inconnu à cette adresseTaylor Kressmann reconnaît ne pas avoir tout inventé pour l’écriture de cette nouvelle. Elle s’est servie de lettres réellement écrites qui ont constitué la trame de cette nouvelle, mais elle a eu l’art de les agencer pour maintenir le suspense et faire ressortir l’essence même.

À partir d’un fait réel, l’amitié profonde et sincère entre deux hommes, marchands de tableaux, Max et Martin, vivants tous deux au départ en Californie, Kressmann TAYLOR tisse la trame de son sujet.

Martin Schulse, Allemand et Max Eisenstein, juif Américain, sont associés et tiennent tous les deux une galerie de peinture à  San Francisco, la galerie Schulse-Eisenstein. Une forte complicité les unit. Ce sont deux vrais amis, deux frères. Au début des années trente, Martin souhaite rentrer en Allemagne. Ils commencent une correspondance épistolaire le 12 novembre 1932 et s’écrivent régulièrement pour garder la chaleur de leur amitié. L’échange des premières lettres montre le climat de confiance qui existe entre eux ainsi que leur affection réciproque. Cette correspondance s’achèvera le 3 mars 1934. Les deux amis s’échangeront près d’une vingtaine de lettres.

Les premières lettres sont chaleureuses, passionnées. Puis, en juillet 1933, Max exprime ses doutes et son malaise face à la situation politique en Allemagne.

Qui est cet Adolf Hitler qui semble en voie d’accéder au pouvoir en Allemagne? Ce que je lis sur son compte m’inquiète beaucoup, écrit-il inquiet, à son ami allemand. Martin, qui est fasciné par le dictateur, répond à son ami juif et avoue un mélange d’admiration et de doute : Franchement, Max, je crois qu’à nombre d’égards Hitler est bon pour l’Allemagne, mais je n’en suis pas sûr (…). L’homme électrise littéralement les foules ; il possède une force que seul peut avoir un grand orateur doublé d’un fanatique. Mais je m’interroge : est-il complètement sain d’esprit ?

Un jour pourtant sa décision tombe comme une sentence : Ici en Allemagne, un de ces hommes d’action énergiques, essentiels, est sorti du rang. Et je me rallie à lui.

Une fracture irréversible se crée entre les eux amis ; Martin  demande à son fidèle ami de stopper  leur correspondance, en déclarant : Le Juif est le bouc émissaire universel. Il doit bien y avoir une raison à cela

Au nom de leur amitié, Max insiste. Il demande même à Martin d’aider sa petite soeur Griselle, qui est actrice dans un théâtre de Berlin… Quand les lettres qu’il adresse à Griselle lui reviennent, tout bascule irrémédiablement. Max répondra au Mal par le Mal…

 Il y a en tout dix-neuf lettres autour du pivot que constitue la lettre 12, celle qui rapporte la mort de Griselle : huit lettres strictement alternatives installent la situation et la dérive progressive qui sépare les deux amis ; quatre circulent entre la galerie californienne et le Schloss Rantzenburg, résidence de Martin, les quatre suivantes entre la galerie et la banque de Martin, la septième étant en outre confiée à un porteur : Martin a demandé que Max de plus lui écrire chez lui. Suivent trois lettres où Max appelle Martin à l’aide pour Griselle ; la lettre 12 inverse la mécanique de l’intrigue et enclenche comme un effet de boomerang dans les faits par l’effet de miroir dans le texte : un « cablogramme » et trois nouvelles lettres de Max avant l’ultime lettre de Martin aux abois, lettre qui croise la lettre 18 de Max ; la dernière, la lettre 19, est celle qui fait la navette et revient à Max avec la mention qui donne le titre, Inconnu à cette adresse, bordereau de l’objectif atteint. Cette mécanique est parfaite : Max referme sur Martin le piège du nazisme en le subvertissant, puisqu’il fait dévorer par le nazisme l’un de ses adeptes ; cette mécanique est si parfaite qu’elle peut en rester invisible pour le lecteur : tout au plus celui-ci est-il intrigué par les messages mystérieux sur les brosses destinées aux jeunes peintres…

 

L’auteur :

Kathrine Kressmann Taylor, américaine d’origine allemande, de son vrai nom Kathrine Kressmann est née en 1903 à Portland, Oregon (États-Unis) et est principalement connue pour sa nouvelle « Inconnu à cette adresse » (Address Unknown, 1938). Celle-ci relate la correspondance entre un marchand d’art juif vivant à San Francisco et son ami et associé, rentré en Allemagne en 1932 et qui adopte progressivement l’idéologie nazie.

 Après un diplôme de littérature et de journalisme de l’université d’Oregon, en 1919, elle déménage à San Francisco où elle devient correctrice et rédactrice dans la publicité. Elle commence à écrire pendant son temps libre, et elle a publié à l’occasion dans divers petits magazines littéraires.

 En 1928, elle épouse Elliott Taylor, propriétaire d’une compagnie publicitaire, et devient femme au foyer. Ensemble ils ont quatre enfants.

 En 1938, la famille déménage à New York. Elle écrit « Inconnu à cette adresse », où Story magazine accepte de publier sa nouvelle.

 Cependant, l’éditeur Whit Burnett et son mari Elliott jugent que « cette histoire est trop forte pour avoir été écrite par une femme », et décident du pseudonyme masculin de Kressmann Taylor, qu’elle utilisa ensuite jusqu’à la fin de sa vie.

 Le Reader’s Digest accueille à son tour la nouvelle dans ses pages, puis Simon & Schuster le publie sous forme de livre en 1939. 50 000 exemplaires sont vendus. Les éditions étrangères suivent rapidement, incluant une traduction hollandaise plus tard confisquée par les Nazis, et une version allemande sortie à Moscou. Le livre est interdit dans l’Allemagne nazie.

 Plus tard, un jeune clerc allemand fuyant la domination nazie se réfugie aux États-Unis. Interrogé par le MI6 et la SWAT, il fait part de son vœu de raconter son histoire et la réalité du régime d’Hitler. Le FBI arrange une rencontre avec un auteur déjà célèbre pour sa dénonciation du nazisme, Kressmann Taylor. Cet homme devient le héros de Jour sans retour, publié en 1942. Cependant l’attaque sur Pearl Harbor précède de peu la sortie du livre, et l’entrée en guerre des États-Unis le fait rapidement oublier.

 En 1944, Columbia Pictures produit une adaptation cinématographique d’Inconnu à cette adresse. Le réalisateur est William C. Menzies et Paul Lukas tient le rôle de Martin. Le scénario, écrit par Herbert Dalmas, est également attribué à Kressmann Taylor. Un autre scénario est écrit en russe par David Greener, mais qui n’est jamais filmé.

À partir de 1947, Kathrine Taylor commence à enseigner les sciences humaines, le journalisme et l’écriture au collège de Gettysburg, Pennsylvanie. Elle y devient la première femme à posséder le statut de professeur titulaire. Son mari meurt en 1953. Elle reste 19 ans à Gettysburg et publie une dizaine de nouvelles durant cette période, l’une d’elles est sélectionnée pour le prix de la meilleure nouvelle américaine en 1954.

Elle prend sa retraite en 1966 et part alors pour Florence, en Italie, où elle écrit « Diary of Florence in Flood » (« Journal de Florence sous les eaux »), inspiré des inondations causée par l’Arno en novembre de la même année.

En 1967, elle épouse le sculpteur américain John Rood. Ils vivent une moitié de l’année à Minneapolis, Minnesota, et l’autre moitié à Val de Pea près de Florence. Kathrine Rood garde ce style de vie après la mort de son second mari en 1974.

En 1995, alors qu’elle a 92 ans, Story press réédite « Inconnu à cette adresse » pour fêter le 50e anniversaire de la libération des camps de concentration. La nouvelle est traduite en 20 langues.

Le livre sort en France en 1999 et se vend à 600 000 exemplaires. C’est un immense succès. Elle est finalement publiée en Allemagne en 2001, et rééditée en Grande-Bretagne en 2002. En Israël, la traduction en hébreu est un best-seller et est adaptée pour le théâtre. Plus de 100 représentations ont lieu, et la pièce est filmée et diffusée à l’occasion du jour de commémoration de la Shoah.

Redécouverte lors de cette réédition, Kathrine Taylor passe une année heureuse à signer des autographes et donner des interviews, jusqu’à sa mort en juillet 1996, à l’âge de 94 ans.

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