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… vu par Arlette

Mauvignier Laurent ♦ Des hommes

des hommesIls ont été appelés en Algérie au moment des « événements », en 1960.

Deux ans plus tard, Bernard, Rabut, Février et d’autres sont rentrés en France. Ils se sont tus, ils ont vécu leurs vies. Ces hommes qui ont tué, violé, torturé en Algérie, ou au contraire ont refusé de le faire et ont assisté de force à l’horreur, et qui restent, pourtant, « des hommes ».

Mais parfois il suffit de presque rien, d’une journée d’anniversaire en hiver, un repas de départ en retraite, dans la salle des fêtes d’un village enneigé. L’ambiance est joviale. Parmi les invités, Bernard, le frère aîné, alias Feu-de-Bois, car il sent moins la rose que l’odeur de cheminée, semi-clochard, semi-cinglé, mis en quarantaine qui n’a même plus droit à son prénom, un homme ravagé par ce qu’il a vu en Algérie.

Un ange passe lorsque cet homme à la Mobylette offre à sa sœur, devant l’assemblée, une grande broche en or. Comment lui, qui « vit aux crochets des autres », a-t-il pu acquérir un tel objet ?

Alcool oblige, les esprits s’échauffent et cette réunion de famille et de voisins tournera à la tragédie. Eméché, Bernard commettra une agression raciste impardonnable envers le Maghrébin du village et sa famille.

Dans les années 1950, Bernard rêvait juste de devenir garagiste et de s’installer avec la belle Mireille. Mais sous l’uniforme, il doit vivre avec cette brute de Février, Châtel le pacifiste, les deux harkis Idir et Abdelmalik, et la petite Fatiha. La tension avec les « fellouzes » monte de jour en jour. 

Celui qui raconte les faits au début, c’est le cousin de Feu-de-Bois, Rabut, dit « le Bachelier ».

Près de quarante ans plus tôt, tous deux ont accompli leurs « vingt-huit mois » en Algérie, ce « Club Bled », aux abords d’Oran.

Si celui qui raconte est aussi pudique, on le comprendra, ce n’est pas seulement pour tenir son rôle de témoin. Sa confidence en pointillés ne serait pas si forte sans une volonté obstinée de communiquer l’informulable : la solitude du revenant frappé du sceau de l’infamie, la peur du sommeil, le poids asphyxiant du souvenir aussi impossible à taire qu’inutile à dire.

Rabut le sait, la guerre ne laisse jamais en paix.

 

L’auteur :

Laurent Mauvignier est né à Tours en 1967.

Diplômé en arts plastiques en 1991, il publie son premier roman en 1999. Installé à Toulouse, il est pensionnaire de la Villa Médicis pour un an à partir de septembre 2008.

Il publie son premier roman aux Éditions de Minuit en 1999. Depuis, tous ses livres ont été publiés chez le même éditeur.

Laurent Mauvignier a passé une grande partie de sa vie à Tours. Il vit aujourd’hui à Bordeaux.

Lorsqu’on lui demande comment il est tombé dans la littérature, Laurent Mauvignier répond ceci: «A la campagne, quand on est un petit garçon, il faut de bonnes raisons pour se mettre à lire. On se promène beaucoup, dans les bois, dans les champs, on fait du sport. Et puis, quand on rentre chez soi, on regarde la télévision, on fait ses devoirs, et c’est tout. Pour que je rencontre la lecture, il a fallu que je sois privé de tout ça, qu’à huit ou neuf ans je sois contraint à l’expérience de l’immobilisme : L’hôpital. Des semaines. Et puis une tante qui m’offre un livre, sans doute le premier roman que j’ai lu (puisqu’il n’y avait pas de livres chez mes parents). C’était la comtesse de Ségur, Un bon petit diable. J’ai trouvé là ce qui me manquait : le plaisir de courir, de se sentir libre. Et quand j’ai terminé la lecture du livre, le vide est revenu, le réel et sa limite. J’ai griffonné une suite à l’histoire.

À douze ans, il écrit des romans de cent cinquante pages. Puis comme ça ne me plaisait pas, j’en ai écrit une autre. C’était parti, ça ne m’a plus quitté. Ni la lecture ni l’écriture, qui ne vont pas l’une sans l’autre.»

À seize ans, à la suite d’un événement dramatique et violent, il cesse d’écrire. Il fait des études aux Beaux-Arts, échoue au CAPES d’arts plastiques. Puis, peu à peu, l’écriture s’impose à nouveau, “pour aller jusqu’au bout…”. Il écrit trois livres coup sur coup, le troisième est devenu Loin d’eux, son premier roman paru aux éditions de Minuit.

Diplômé de l’école des Beaux-Arts, Laurent Mauvignier choisit finalement de renouer avec son amour de jeunesse, l’écriture. Son premier roman, « Loin d’eux », paraît en 1999 aux éditions de Minuit, une maison à laquelle il demeure fidèle et qui publie ses ouvrages suivants, parmi lesquels « Apprendre à finir » (prix du livre Inter en 2000), « Seuls » ou « Le Lien ».

L’écrivain, qui définit lui-même son travail comme une tentative de saisir le réel dans sa dimension indicible, de « mettre des mots sur la souffrance, l’amour ou le manque », s’inspire tantôt de faits divers ou tantôt d’événements historiques. Ainsi, la tragédie du stade de Heysel lui sert de point d’ancrage pour la rédaction de « Dans la foule » en 2006, la guerre d’Algérie lui inspire le roman « « , paru en 2009. Ce dernier est couronné par le prix des libraires 2010 et le prix des librairies Initiales.

Laurent Mauvignier n’abandonne pas son habitude de puiser dans le terreau du réel avec « Ce que j’appelle oubli » (2011), librement inspirée d’un fait divers survenu à Lyon en décembre 2009. Il y déroule sur une soixantaine de pages une seule et longue phrase sans ponctuation, sans début ni fin.

Notamment admiré pour sa capacité à orchestrer les différents points de vue, à faire entendre de multiples voix, Laurent Mauvignier et son œuvre font régulièrement l’objet des commentaires les plus élogieux.   

Dans ses romans, Laurent Mauvignier donne une voix à ses personnages : il emploie le monologue intérieur pour dire la douleur, la vérité des êtres, leur combat dans un quotidien qui les étouffe.

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