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… vu par Arlette

Ruiz Zafon Carlos ♦ Le prince de la brume

Le prince de la brumeNous sommes en 1943, en Angleterre. Alors que la guerre fait rage, pour plus de sûreté et fuir les bombardements londoniens, la famille Carver, les parents et leurs trois enfants, Max, Alicia et Irène, décide de s’éloigner sur les côtes anglaises.

C’est sur une vieille villa du bord de mer, inhabitée depuis des lustres, que le choix du père s’est porté et qui appartenait précédemment à un riche couple qui a quitté le pays après la mort de leur petit garçon, Jacob. Le cadre, un lieu isolé, semble idéal à première vue. Mais très vite, des événements inquiétants semblent se produire sans qu’on parvienne immédiatement à les identifier : orages nombreux, mort mystérieuse, armoires qui s’ouvrent toutes seules, vieux jardin aux statues glaçantes, pendules dont les aiguilles tournent à l’envers…

Max, le fils de la famille, est le premier à se poser des questions sur ces drôles de statues qui peuplent le jardin derrière la maison. Et cette statue de clown, elle est carrément effrayante. Un soir, dans la brume, il jurerait les avoir vu bouger. Comme quoi, par temps de brouillard, notre cerveau a vite fait de nous jouer un mauvais tour, mais pourtant…

Et ce chat errant que sa sœur Irina a obtenu de garder, il a vraiment un regard étrange avec ses drôles d’yeux jaunes. En plus, Max est quasiment certain de l’avoir vu sourire… Et si…

Heureusement, avec sa sœur Alicia, ils vont faire la connaissance de Roland, un gamin du coin, avec lequel ils vont nouer une solide amitié et partir à la découverte des environs et des nombreux secrets que cache leur nouvelle demeure… Il les entraîne dans des plongées autour d’un cargo qui a coulé dans la baie après une tempête, des années auparavant. Autour de cette épave, tout respire la peur : les poissons ne s’y risquent jamais, des ombres paraissent à l’affût derrière les cloisons rouillées et dans les coursives délabrées… Et c’est Roland qu’elles épient, Roland dont elles veulent se saisir. Qui accumule les pièges mortels autour du jeune homme ? Pourquoi Roland est-il l’objet d’une si terrible haine ? An menant leur enquête, Max et Alicia exhument involontairement les secrets du passé. Un passé terrible dont émerge un être machiavélique, le Prince de la Brume… Doté de pouvoirs diaboliques, le Prince de la Brume peut emprunter toutes les formes et tous les visages. Il est le maître d’une troupe de grotesques statues à demi-vivantes qui ont élu domicile dans le jardin de la maison des Carver… et réclame le paiement d’une dette contractée peu avant la naissance de Jacob. Une dette dont Roland est le prix…

Trois gamins qui partent à l’aventure au péril même de leur vie, des adultes peu présents, un méchant très méchant, de l’aventure, du mystère, de la magie et une bonne dose de fantastique, composent un cocktail parfait pour ce roman clairement destiné aux ados.

Premier volume du Cycle de la brume. Publié en Espagne en 1993, ce premier roman de Carlos Ruiz Zafón, bien avant L’ombre du vent ou Marina, inaugure une saga, « Trilogie de la brume », qui s’inscrit du côté de la littérature jeunesse. Mais Le Prince de la Brume annonce aussi, déjà, la veine gothique et mystérieuse qui deviendra la marque de fabrique du plus populaire romancier espagnol.

Dans la note de l’auteur qui préface le roman Carlos Ruiz Zafon écrit « J’ai tenté d’écrire le genre de romans que j’aurais aimé lire quand j’étais adolescent, mais qui continueraient à m’intéresser à l’âge de vingt-trois, quarante-trois ou quatre-vingt-trois ans. » Avec le Prince de la brume, il réussit parfaitement car ce livre très bien écrit et mené est captivant. Le suspense est total et va croissant jusqu’à l’épilogue. Un bon livre à découvrir pour s’évader.

L’auteur :

Carlos Ruiz ZafonCarlos Ruiz Zafón, né le 25 septembre 1964 à Barcelone, est un auteur espagnol. Il écrit principalement en castillan.

Il habite depuis 1993 à Los Angeles où il écrit des scénarios de films. Jusqu’en 2006, il vivait à plein temps à Los Angeles. Maintenant, il vit la moitié de l’année en Californie, l’autre moitié à Barcelone.

Fils d’un agent d’assurances et d’une mère au foyer, il a passé onze ans chez les jésuites.

Un an après sa naissance, sa famille migre de la pauvre banlieue industrielle pour le centre de Barcelone, près de la Sagrada Familia. Le petit Carlos pousse dans son coin, en autodidacte, se passionne pour la musique, les livres, les mathématiques, la photographie…

Dès l’âge de 8 ans, il trousse ses premières histoires, et à 14 ans, il achève son premier roman, une histoire truculente de monstres de 500 pages. Fier, l’adolescent tend à son père son premier roman. Pas un mot en retour. Et ceci pendant des années, même après avoir été publié.

Vite sorti de l’école, il collabore à un magazine, une compagnie de théâtre puis débarque dans le milieu de la publicité en plein boom, au milieu des années 80.

À dix-neuf ans, il choisit de commencer sa carrière dans la publicité, qu’il quitte pour se consacrer à son roman El principe de la niebla (Le Prince du brouillard, 1993). Ce roman se vend à 150.000 exemplaires. Traduit en plusieurs langues, il recevra le prix Edebé en 1993.

A 29 ans, il prend enfin la poudre d’escampette pour Los Angeles où un de ses amis tente de percer comme scénariste. Pourquoi pas lui, croit-il naïvement. En plus de vingt ans, l’Espagnol s’est manifestement imprégné de la culture californienne, et parle un anglais sans accent, très pro. La distance, dit-il, lui a donné une autre vision de ses racines, de Barcelone, comme d’un monde perdu.

Entre 1993 et 1995, Zàfon a publié trois livres pour la jeunesse, qui forment une sorte de trilogie : « Le Prince de la brume », « Le palais de minuit » et « Les Lumières de septembre ». Malheureusement, suite à des querelles juridiques, ces livres ont été traduits et vendus dans le monde seulement l’année dernière!

Le Prince de la brume : 1943 en Angleterre, Max et sa famille, fuyant les bombardements londoniens, s’installent dans une petite ville côtière. Mais leur nouvelle maison semble dissimuler un secret et un terrifiant fantôme va bientôt se manifester. (Le Prince De La Brume)

Le palais de minuit : 1932 à Calcutta, Inde, Ben est un orphelin de 16 ans qu’une terrible puissance menace. Ben va partir à la recherche de son passé, aidé de ses amis et de Sheree, une jeune fille avec qui il partage, sans le savoir, beaucoup de choses. (Le Palais De Minuit)

Les lumières de septembre : 1937 en France, fuyant la misère parisienne, Dorian et sa sœur Irène suivent leur mère Simone, en Normandie, sur la côte. Cette dernière, veuve depuis un an, vient de trouver un emploi: gouvernante chez un fabriquant de jouets, Lazarus Jann. Cet homme vit reclus, au milieu de ses jouets et de ses automates, dans la demeure de Cravenmoore. Mais une terrible malédiction le poursuit et bientôt, une ombre menaçante va passer à l’attaque.

Ces trois romans ont été écrits pour de jeunes adolescents. Il n’est pas étonnant, dès lors, que les héros de ces trois histoires soient de jeunes adolescents et que les histoires aient valeur de rites initiatiques. Les héros sont plein d’énergie, ont un sens profond de l’amitié et certains tombent amoureux pour la première fois. Devant le danger qui les menace, ils font face avec courage. L’empathie fonctionne à plein, du côté du lecteur, et Zàfon nous renvoie, avec malice, à nos rêves de gosses quand nous voulions partir à l’aventure. Ces romans sont donc traversés d’une folle énergie juvénile. Mais c’est oublier que Zàfon est un écrivain de tradition gothique et qu’il va nous happer dans un déluge d’aventures et de romantisme, auquel on ne peut résister.

Dans la note de l’auteur qui préface le roman  le Prince de la brume, Carlos Ruiz Zafon écrit : « J’ai tenté d’écrire le genre de romans que j’aurais aimé lire quand j’étais adolescent, mais qui continueraient à m’intéresser à l’âge de vingt-trois, quarante-trois ou quatre-vingt-trois ans. » Comme beaucoup d’écrivains le répètent, j’écris les livres que j’aimerais lire. Les premiers textes que j’ai publiés à 20 ans étaient inspirés d’auteurs que j’aimais et qui m’ont marqué. Pendant les dix premières années de ma carrière, j’ai écrit ce que les autres voulaient que j’écrive. A un moment donné, j’ai essayé de faire ce que je voulais, moi. Ça a donné « L’Ombre du vent ». Le premier roman que j’ai écrit avec une totale liberté, où j’ai réuni beaucoup d’éléments et de traditions qui me tenaient à cœur.

Tout le talent de Zàfon, qui éclatera dans L’Ombre Du Vent, est déjà présent dans ses trois premiers romans. C’est à la naissance d’un écrivain, d’un style et d’un univers, à laquelle nous assistons. Au niveau stylistique, tout est parfait. Que ce soit dans les descriptions, les dialogues ou l’évocation des sentiments des personnages : aucune fausse note. Zàfon est un magicien, un narrateur hors-pair. Chaque mot, chaque phrase sonne juste et donne l’envie de continuer. Zàfon aime écrire et raconter des histoires. C’est indéniable. On a envie de tourner la page. On a envie de rester dans son univers. Impossible de s’arrêter!

Car les trois histoires qu’il nous propose ici sont fascinantes et évoquent les terreurs enfantines les plus sombres. Les décors sont incroyables: maison où vivent d’étranges automates, gare désaffectée et hantée par le souvenir d’un gigantesque incendie, épave maritime renfermant une sinistre présence, etc. Zàfon joue avec les clichés gothiques (orage, pluie, tempête) pour créer une ambiance hallucinante. Et les thèmes abordés abondent dans ce sens : fantômes, doppelgänger (mot d’origine allemande signifiant « sosie », employé dans le domaine du paranormal pour désigner le double fantomatique d’une personne vivante, le plus souvent un jumeau maléfique), malédictions, pacte diabolique, etc. Et Zàfon terrifie le lecteur avec aisance. On sursaute et on s’inquiète souvent. On se croirait autour d’un feu, écoutant une histoire horrifique. Et les images que fait naître Zàfon sont inquiétantes à plus d’un titre: une étrange clairière peuplée de statues menaçantes, un train fantôme où résonne les cris d’enfants carbonisés, un ange de métal très dangereux, un chat au regard assassin… La peur s’installe et ne lâche pas le lecteur. Ces trois romans ne se suivent pas vraiment et ne racontent pas une histoire en trois parties. Mais on devine une ombre qui agit en coulisses et qui œuvre pour détruire et corrompre l’humanité. On en saura pas plus mais la présence diabolique plane au-dessus de ces trois histoires. Elle promet la jeunesse éternelle et le succès mais elle ment.

Mais tout cela ne serait rien sans l’émotion. Non seulement on tremble pour les héros mais on est ému par leur sort. Ces orphelins ou enfants solitaires, menacés et qui luttent pour leur survie, sont terriblement attachants

Son quatrième roman, L’Ombre du vent, une saga baroque à l’époque du franquisme, a reçu un bon accueil de la critique et a été traduit en de nombreuses langues. Il a été sélectionné dans les romans étrangers pour le prix Femina 2004. Il a reçu Le prix Planeta en 2004, mais aussi des prix littéraires français, comme le Prix des Amis du Scribe et le Prix Michelet en 2005, ainsi qu’au Québec, comme le Prix des libraires du Québec 2005 (Roman hors Québec).

Bouille ronde, lunettes à la monture colorée et bouc bien taillé, Zafon est le vilain petit canard du cercle littéraire espagnol. Il déserte les colloques d’écrivains, fuit les mondanités. D’ailleurs, il ne vit même pas en Espagne. Il habite entre Los Angeles et Berlin.

La littérature de Zafón se caractérise par un style élaboré ainsi que d’une influence certaine de la narration audiovisuelle, de l’esthétique gothique et expressionniste et de la combinaison de beaucoup d’éléments narratifs dans un registre techniquement contrôlé. Cette technique, cette maîtrise du langage et de la structure narrative lui permettent de combiner des éléments différents du roman traditionnel du XIXème siècle.

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