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… vu par Arlette

Stefànsson Jón Kalman ♦ Le cœur de l’homme

Le coeur de l'hommeQuand on referme le livre « La tristesse des anges », on n’a qu’une idée en tête, poursuivre la lecture en se jetant sur le 3ème tome : « Le cœur de l’homme ».

Jón Kalman Stefansson clôt avec ce volume une trilogie bouleversante qui a pour toile de fond l’Islande de la fin du XIXᵉ siècle.

Nous sommes au mois d’avril, la glace fondue succède à la neige et au blizzard. Jens le postier et le gamin ont failli ne pas sortir vivants de cette tempête de neige, quelque part dans le nord-ouest de l’Islande. Ils viennent d’échapper à une avalanche, laquelle a eu raison de leur coéquipier et emporté dans sa course le cercueil d’une jeune femme prénommée Asta, qu’« ils traînaient comme la mort derrière eux ». Au terme de leur longue chute, ils ont atterri sur le toit d’une demeure. Ils ont été recueillis par le médecin du village.

À son réveil, le gamin se demande s’il est encore de ce monde, s’inquiète de Jens plus mal en point. Le gamin est à l’abri dans la maison des femmes qui l’ont recueilli. On l’appelle « le gamin », il ne porte apparemment pas de nom. Qui est-il vraiment et quel est son but dans la vie ? Un messager ?

Il écrit des lettres pour changer le monde, pour changer un destin. Ceux qui les reçoivent osent changer de cap, car ses mots sont si limpides et si puissants, qu’ils leur apportent la lumière, une étincelle d’espoir, une possibilité de bonheur.

Il vit comme une étoile qui scintille et, dans cette maison, entourée de personnages exceptionnels, étranges pour leur communauté, il apaise les souffrances.

Comment vivre dans ce pays, lorsqu’on est différent, qu’on n’a que les mots comme outils, l’émerveillement et la connaissance comme but, alors que pour être un homme, tout le monde le sait ici, il faut être viril, costaud, oublier la tendresse, ne pas s’attarder sur les faiblesses, les douleurs, les deuils. Un pays où les hommes sont écrasés de labeur par quelques hommes puissants, que l’argent et le pouvoir ont rendu démoniaques. Un pays où les femmes sont soumises et s’accommodent de leurs vies en oubliant leurs rêves.

Que valent la poésie et la musique dans ce monde où les rêves peuvent être assassins, où la délicatesse et la fragilité n’ont pas leur place?

Et pourtant, le gamin court, il vole. Il ne laissera pas le malheur le poursuivre, il laissera ses rêves le guider, ne se laissera pas façonner par la communauté, piégé par la coutume et les préjugés.

Le gamin rencontre une jeune fille rousse qui le trouble au plus haut point.

Après avoir repris des forces, ils repartent retrouver une autre communauté villageoise, celle de la vie d’avant…

De retour dans sa communauté, il reprend le cours de son existence auprès de la belle veuve Geirþrúður, farouchement indépendante et économiquement autonome, qui triomphe à sa manière de la vie dure du Grand Nord, Gisli, le directeur des écoles qui trouve refuge dans l’alcool, « ce rempart, un brise-lames » et qui en connaît un rayon sur le cœur délicat et fragile de l’homme, le capitaine Kolbeinn aveugle et sa bibliothèque, puis Andrea, l’incertaine, aux doigts usés, la femme du pêcheur Pétur qui rappelle au gamin le pouvoir des mots. Il lui a écrit une de ces lettres qui transforment un destin, l’enjoignant de quitter son mari au cœur si sec… Le capitaine John Andersen, qui périra dans le naufrage de son voilier à la « quille pointée vers le ciel comme un avilissement », Rakel, qui n’a pas peur du temps mais des hommes, Sigurour le médecin, Olafur l’imprimeur, Högni le directeur de la Caisse d’épargne ouverte depuis trois ans… On en perçoit d’autres comme venues d’outre-tombe. Ce sont celles de défunts qui flottent entre deux mondes et vous font passer de l’autre côté.

Mais bientôt de nouveaux drames vont s’annoncer…

Le premier tome « Entre ciel et terre » faisait 240 pages. Le deuxième « La tristesse des anges » qui souffrait déjà de quelques longueurs faisait 382 pages. « Le cœur de l’homme », enfin, s’étend sur 458 pages. Malheureusement, c’est quelques-unes de trop. Plus son intrigue avance (car au fond, il s’agit d’un seul et unique gros roman), plus l’auteur a comme du mal à la contenir. Il multiplie les personnages, s’égare dans des rebondissements secondaires et ne colle plus à ses personnages principaux, comme le gamin ou Jens le postier. Il y a, dans ce dernier opus, beaucoup moins de descriptions des paysages islandais. Dans les deux premiers tomes, l’auteur avait régalé avec un sens du détail sublimé par une écriture poétique. Mais c’est vrai qu’après s’être intéressé à la terre et au ciel, à la neige ensuite (surnommée « la tristesse des anges »), il s’attaque à la psychologie et au « cœur de l’homme ». Or le poète est bien meilleur à observer la nature sauvage qu’à scruter les intermittences du cœur des uns et des autres.

Une histoire bouleversante, avec des phrases grandioses, des mots qui nous dépassent, qui nous transpercent. Des mots, des notes de musique face à la cruauté, la cupidité, la violence, l’égoïsme et les préjugés, pour que l’homme n’oublie pas le bonheur de vivre, de respirer, de regarder, de s’émouvoir. Pour ne pas vivre comme un idiot en oubliant d’être soi, en oubliant ses rêves, en imitant son voisin.

« Le pire est de ne pas savoir vivre, de connaître toutes les notes, mais de ne pas saisir la mélodie. »

L’auteur :

Jon kalman StefassonJón Kalman Stefánsson, né le 17 décembre 1963 à Reykjavik, est un auteur islandais. Il grandit à Reykjavík et à Keflavík.Il rêvait de devenir astronome et a dû travailler dans une usine de poissons pour se payer des livres.

Après avoir fini ses études au collège en 1982, il travailla en Islande de l’ouest (par exemple dans les secteurs de la pêche et de la maçonnerie). Il entreprit ensuite des études en littérature à l’université d’Islande de 1986 à 1991, mais sans les terminer. Pendant cette période, il donna des cours dans différentes écoles et rédigea des articles pour le journal Morgunblaðið. Ensuite, de 1992 à 1995, il vécut à Copenhague, où il participa à divers travaux et s’adonna à une lecture assidue. Il rentra en Islande et s’occupa de la Bibliothèque municipale de Mosfellsbær jusqu’en 2000.

Depuis, il se consacre à la production de contes et de romans.

Il a publié huit romans jusqu’à aujourd’hui dont quatre traduits en français : sa trilogie et le roman « D’ailleurs, les poissons n’ont pas de pieds » en 2015. Ses textes dépeignent avec humour une Islande rurale et quelque peu idéalisée avec des personnages assez singuliers et originaux, mais toutefois sympathiques

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