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… vu par Arlette

Loridan-Ivens Marceline ♦ Et tu n’es pas revenu

Et tu n'es pas revenuCe livre, écrit à quatre mains avec la journaliste Judith Perrignon, est l’histoire poignante de Marceline Loridan-Ivens, rescapée des camps de la mort. « Et tu n’es pas revenu » est une lettre très émouvante qu’elle écrit à son père, mort en 1945, à Auschwitz ou dans un autre camp d’évacuation pendant la marche de la mort.

Dans ce témoignage absolument bouleversant, Marceline Loridan-Ivens se livre au fil des souvenirs, ravivant l’horreur de la déportation et expliquant l’impossibilité à vivre et à se reconstruire pour tous ceux qui ont survécu…

Le 29 février 1944, à Bollène, Marceline et Salomon Rozenberg sont faits prisonniers lors d’une rafle. A la prison d’Avignon, un soldat autrichien de la Wehrmacht, ému par la tignasse rousse de la petite Marceline, les somme de s’évader avant d’être conduits vers l’Est.

Ils sont déportés ensemble dans les camps de la mort en avril 1944. Elle, Marceline, 15 ans, à Birkenau. Lui, Schloïme, son père, à Auschwitz. Seulement 3 kilomètres les séparaient. 3 kilomètres de barbelés, de champs, de blocs, de crématoires. Comme il le lui avait prédit lorsqu’ils étaient encore en transit  à Drancy, elle en reviendra seule. Une phrase prononcée par son père à ce moment-là la hante encore : « Toi tu reviendras peut-être parce que tu es jeune, moi je ne reviendrai pas ». Une terrible prophétie qui présage déjà l’horreur à venir et qui la marquera à jamais.

Rare survivante, elle écrit aujourd’hui une lettre ouverte à son père, écrite à quatre mains avec la romancière Judith Perrignon. Une longue lettre pour celui qui n’est pas revenu.

Elle se rappelle les tentatives pour essayer, ne serait-ce que de l’apercevoir. Un jour, elle croise son père. Elle se précipite vers lui, mais rouée de coups par les SS, elle s’évanouit. Elle a le temps de lui glisser à l’oreille le numéro de son baraquement.

Quelque temps plus tard, elle reçoit une lettre qu’il n’a pas signée « Papa » ni même « Salomon », mais « Shloime », son nom juif, son nom d’avant. Elle ne le reverra plus, mais se rappelle encore les coups reçus lors de cette étreinte ô combien précieuse et à jamais gravée. Elle se rappelle cette missive reçue un dimanche par un électricien. Quelques mots de son père dont, aujourd’hui, elle a oublié le contenu. Elle suppose aujourd’hui qu’il a dû la supplier de survivre et de tenir bon, que certainement la fin de la guerre approchait et leur libération avec.

Elle raconte, tout en émotion, les quelques mois passés là-bas, la captivité, le froid, la faim, la maladie, les vols, l’antisémitisme, le racisme, les humiliations, les coups, mais aussi le hasard, la chance (certains meurent et pas elle). Elle raconte aussi les chambres à gaz, les tranchées creusées pour enterrer les corps, le vol des dépouilles, la promiscuité, les maigres rations et la faim qui tenaille… et le retour en France dans sa famille. Sa mère n’était pas là pour l’accueillir sur le quai de la gare, seuls son oncle et son petit frère, Michel, étaient présents. Michel, déçu, qui cherchait des yeux, en vain, celui qui n’est pas revenu avec elle.

Puis, elle raconte l’après. La culpabilité de ceux qui en sont sortis vivants, les suicides de ceux qui, sans avoir été déportés, ne s’en remettent pas, les cauchemars, les souvenirs inracontables et la vie qui va cahin-caha.

Loin de ne parler que de la vie dans les camps de concentration, Marceline Loridan-Ivens revient également sur son retour en France, sur la difficulté à revenir dans un pays qui les a abandonnés et qui est responsable de la mort de son père. Elle parle de l’incompréhension de sa famille par rapport à ce qu’elle a vécu (son oncle lui conseille de « ne rien raconter »), l’incompréhension ou la gêne de sa mère, le mutisme, la peur et l’impossibilité à recréer une cohésion avec la disparition du père. Elle revient sur sa vie, son combat pour changer le monde aux côtés de son mari. Elle évoque les traumatismes qui ne disparaîtront jamais.

Marceline Loridan-Ivens nous livre un témoignage émouvant d’une rare intensité et montre une fois de plus combien tout n’a pas encore été dit sur cette période tragique. L’on plonge presque en apnée dans ce récit à la fois personnel et universel et les mots résonnent encore le livre refermé. Un témoignage en toute sincérité porté par une écriture franche et touchante. Une belle déclaration d’amour à son père parti trop tôt.

C’est un court texte, fin, petit format, une centaine de pages, paru presque en catimini et qui ne devait pas être publié en même temps que les commémorations de la libération des camps nazis. Pourtant, Et tu n’es pas revenu évoque cette période et est écrit par l’une des rares survivantes des camps, Marceline Loridan-Ivens, née Rozenberg. Cette cinéaste a quatre-vingt-six ans aujourd’hui. Elle avait quinze ans quand elle fut déportée en avril 1944 dans le même convoi que celui de Simone Veil.

Soixante-dix ans après, elle publie donc ce petit livre d’une rare intensité, écrit avec la complicité de la romancière Judith Perrignon. Et tu n’es pas revenu s’adresse à son père, qui, lui, n’a pas échappé aux bourreaux nazis d’Auschwitz-Birkenau. Imprimé par Grasset à 13.000 exemplaires, il a très vite attiré de nombreux lecteurs. Il faut dire que Marceline est infatigable et combative: son esprit libre et sa verve ont séduit tous les médias. Son témoignage est d’une force extraordinaire. Du coup, la maison d’édition a finalement imprimé 53.000 exemplaires (source: Livres Hebdo). Il est déjà classé 3e dans la catégorie documents et essais.

L’auteur :

Marceline Loridan-IvensMarceline Loridan-Ivens, née Marceline Rosenberg, est une cinéaste française née le 19 mars 1928 à Épinal, de parents juifs polonais, émigrés en 1919, qui ont eu cinq enfants. Elevée à la dure dans les Vosges, elle a 11 ans en 1939.

Au début de la Seconde Guerre mondiale, sa famille s’installe dans le Vaucluse. Engagée très tôt dans la Résistance, sa famille fuit vers Vichy puis achète une maison à Bollène (Vaucluse). C’est là que Marceline Rosenberg entre dans la Résistance. Le maire et le commissaire de police protègent les Rosenberg jusqu’à ce que la Gestapo passe outre pour arrêter Marceline et son père. Capturée par la Gestapo avec son père, Szlama Rosenberg, elle est envoyée à Auschwitz-Birkenau par le convoi 71 du 13 avril 1944, dans le même convoi que Simone Veil et Anne-Lise Stern, puis à Bergen-Belsen, enfin au camp de concentration de Theresienstadt.

Elle recouvre la liberté à la libération du camp, le 10 mai 1945 par l’Armée rouge et revient à Paris en août, couverte de poux et de gale. Sa mère et ses plus jeunes frères et sœurs étaient restés cachés dans le Vaucluse.

Elle adhère au Parti communiste français en 1955 et le quitte un an plus tard. Elle croise alors des « déviationnistes », comme le philosophe Henri Lefebvre ou le sociologue Edgar Morin.

En 1963, elle rencontre et épouse le réalisateur de documentaires Joris Ivens de trente ans son aîné. Elle l’assiste dans son travail et coréalise certains de ses films comme Le 17e parallèle en 1968.

De 1972 à 1976, pendant la révolution culturelle déclenchée par le président Mao Zedong, Joris Ivens et Marceline Loridan travaillent en Chine et réalisent Comment Yukong déplaça les montagnes composé d’une série de 12 films7. Critiqués par Jiang Qing, la femme de Mao, ils doivent quitter précipitamment la Chine.

En 2003, elle réalise un film de fiction : La Petite Prairie aux bouleaux, avec Anouk Aimée, très inspiré de son parcours dans les camps (le titre est la traduction du terme polonais Brzezinka, germanisé en Birkenau).

Elle est notamment connue pour le monologue qu’elle tient place de la Concorde à Paris dans le film documentaire de Jean Rouch et Edgar Morin, Chronique d’un été (1961), qui est l’un des premiers témoignages filmés de la déportation durant la Seconde Guerre mondiale.

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