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… vu par Arlette

Stefánsson Jón Kalman ♦ La tristesse des anges

La tristesse des angesAprès Entre ciel et terre, Jón Kalman Stefánsson nous embarque avec La tristesse des anges, dans un nouveau périple dans les rudes terres islandaises de la fin du XIXe siècle.

Ce deuxième roman commence quelques semaines après la mort de Bárður, le héros de son premier livre. Certains personnages sont de nouveau conviés, comme le gamin. Alors que le premier opus se passait surtout en mer, celui-ci se déroule principalement sur terre, mais surtout dans la neige.

On retrouve le “gamin”, qui, après la mort de son ami Bárður, ce marin mort de froid en mer pour avoir oublié sa vareuse à terre pour quelques vers de poésie qui lui trottaient dans la tête. Il est arrivé au village et s’est réfugié dans un bar. Il a pu rendre le livre à Kolbeinn, vieil homme aveugle. Il vit donc auprès de celui-ci et d’Helga. Il aide au café, fait les courses et le soir il leur fait la lecture. Il rend de menus services tout en s’instruisant. Il découvre la poésie et prend peu à peu conscience de son corps, des femmes, et de ses désirs.

Lorsque Jens, un géant bourru et avare de mots arrive au village, il est accueilli par Helga et le gamin qui le détachent de sa monture avec laquelle il ne forme plus qu’un énorme glaçon.

Jens est postier et sillonne l’Islande à pied ou à cheval pour distribuer le courrier, pour un salaire qui lui permet à peine à couvrir ses frais, dans des conditions souvent extrêmes lors des interminables hivers. Sa prochaine tournée doit le mener vers les dangereux fjords du Nord. Il ne pourra pas les affronter sans l’assistance d’un habitué des sorties en mer.

C’est le gamin qu’on envoie dans cet enfer blanc, «là où l’Islande prend fin pour laisser place à l’éternel hiver», pour accompagner Jens dans son périple.

C’est l’occasion d’un voyage qui permettra au gamin de compléter son deuil, et de chercher le sens de sa vie – ce qu’il fait souvent quelques minutes avant de mourir de froid et d’être sauvé in extremis par son compagnon…

Le gamin et le postier semblent n’avoir rien en commun. Le premier a besoin de mots et de poésies pour le réconforter, tandis que le second trouve son refuge dans le silence qui lui procure la paix. Errant dans ce blanc immense, ballotés par les vents, seuls au monde, ils vont affronter leurs démons intérieurs, lutter pour leur survie, lutter pour trouver une raison de rester en vie. Malgré leurs différences, ils n’ont d’autre choix que de se raccrocher l’un à l’autre, face à l’impitoyable nature.

Ils trouvent refuge dans des fermes isolées, chez de pauvres gens. La vie est pourtant là, tapie au fond de ces cœurs, malgré le froid, la faim et la solitude. Personne ou presque ne vient troubler leur tranquillité dans ce bout du monde. Ils sont libres et apprécient pleinement les instants de joie qui s’offrent à eux. Une idée simple de la vie.

Ils apprendront à s’estimer, à s’épauler, à devenir indispensables l’un pour l’autre. Un géant, un gamin, un taiseux, un bavard, un marin, un arpenteur de chemins… Tout les oppose, sauf l’estime réciproque l’un pour l’autre qu’ils éprouveront

Sur ce chemin, où la mort rôde, prête à engloutir toute vie qui s’égare, qui cède au réconfort du sommeil, pour ne plus souffrir, ne plus se tourmenter, les deux hommes avancent et cherchent des réponses. Est-on sur terre seulement pour mourir ? Ont-ils droit au bonheur ? Sont-ils capables d’être heureux et de rendre heureux ?

Pour le gamin, les réponses sont dans les livres, les poésies sont des trésors. Le postier qui se tait, rend le silence dangereux, ses pensées le tourmentent.

Ils vont cheminer l’un vers l’autre, sur cette route glissante et glaciale, faite de peurs, de doutes, de tristesse, de regrets, d’espoirs. Mettre des mots sur les tourments, trouver un sens à la vie, s’autoriser à vivre, laisser une chance au bonheur, ouvrir son cœur, ne plus avoir peur, se faire confiance et faire confiance à l’autre.

Au milieu des tempêtes enneigées islandaises, Jón Kalman Stefánsson fait naître une stupéfiante chaleur érotique. Mariant douceur et extrême, il restitue cette intense lumière qui «nous nourrit autant qu’elle nous torture».

Pas trace d’humour ici, mais juste la puissance d’une grande littérature, de mots qui nous balaie et qui, parce que l’auteur vit dans ce pays, disent avec justesse ce qu’était le quotidien (j’imagine qu’il prend place au début du XXe siècle) de ces hommes de l’extrême, au cœur de l’hiver. Un pays de pêcheurs où ces derniers ne savent pas nager et meurent parfois ridiculement; un pays où l’hiver interdit les enterrements et force à vivre avec le cadavre de l’être aimé pendant des mois; un pays où les communications sont coupées durant des semaines et où les nouvelles ne parviennent pas ; un pays où l’alcool est parfois le seul moyen de surmonter ou d’oublier un instant le froid ; un pays qui semble hors du temps.

Quand on referme ce livre, on n’a qu’une idée en tête, poursuivre la lecture en se jetant sur le 3ème tome: «le cœur de l’homme »

La tristesse des anges, dans les légendes populaires, désigne la neige. Et ce symbole inonde le roman, accompagnant le travail de deuil du héros.

 

L’auteur :

Jon kalman StefassonJón Kalman Stefánsson, né le 17 décembre 1963 à Reykjavik, est un auteur islandais. Il grandit à Reykjavík et à Keflavík.

Après avoir fini ses études au collège en 1982, il travailla en Islande de l’ouest (par exemple dans les secteurs de la pêche et de la maçonnerie). Il entreprit ensuite des études en littérature à l’université d’Islande de 1986 à 1991, mais sans les terminer. Pendant cette période, il donna des cours dans différentes écoles et rédigea des articles pour le journal Morgunblaðið. Ensuite, de 1992 à 1995, il vécut àCopenhague, où il participa à divers travaux et s’adonna à une lecture assidue. Il rentra en Islande et s’occupa de la Bibliothèque municipale de Mosfellsbær jusqu’en 2000.

Depuis, il se consacre à la production de contes et de romans.

Il a publié huit romans jusqu’à aujourd’hui dont quatre traduits en français : sa trilogie et le roman « D’ailleurs, les poissons n’ont pas de pieds » en 2015. Ses textes dépeignent avec humour une Islande rurale et quelque peu idéalisée avec des personnages assez singuliers et originaux, mais toutefois sympathiques.

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