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… vu par Arlette

Adam Olivier ♦ La renverse

La renverse12ème roman d’Olivier Adam. D’un fait divers sordide vu à travers le regard des enfants, Olivier Adam tire un roman tout en finesse.

La renverse (ou l’étal) est le moment entre la marée montante et la marée descendante, où, pendant environ 1 heure, plus rien ne bouge, où le courant et nul et où la mer ne monte plus et ne descend plus.

Dans ce livre, La renverse, c’est ce moment où Antoine, le narrateur, apprend que sa mère est impliquée dans un scandale sexuel avec Jean-François Laborde, le maire dont elle est l’adjointe. Et après ? Après il faut vivre. Malgré la catastrophe médiatique, et tout ce qu’on vient de perdre. Avec la certitude kafkaïenne que les choses ont basculé.

Antoine, trentenaire et taciturne travaille dans la librairie d’une petite ville bretonne. Il a une petite amie, Chloé. Une vie tranquille, sans vagues et sans passion. Le matin, il marche le long de la côte et s’arrête au bar boire un café avant d’ouvrir les portes de la librairie. C’est là qu’il apprend (la radio est allumée) la mort de Jean-François Laborde : personnalité politique célèbre, ancien maire et ancien ministre, sa carrière avait été entachée dix ans plus tôt par une affaire de viols et d’abus sexuels à laquelle la mère d’Antoine, Cécile Brunet alors maîtresse du maire, avait été mêlée et qui avait éclaboussé toute sa famille. Une sordide histoire de partouze un soir de vernissage qui avait viré au scandale après le dépôt de plainte pour viol de deux employées de la mairie. Les puissants avocats de Jean-François Laborde avaient plaidé le complot et l’amateur de femmes piégé par des mythomanes. L’affaire s’est classiquement soldée par un non-lieu. Traumatisée par la perversité du procès, l’une des plaignantes, Celia B., s’est suicidée.

Une vie au passé, qu’Antoine « pense » avoir enterré, fuyant maison et famille et se réfugiant dans un bled perdu en bord de mer, en Bretagne, où il travaille dans une librairie sous l’aile protectrice de Jacques…

Mais tout remonte à la surface, le jour de l’annonce du décès de Jean-François Laborde. Antoine se remémore les événements qui l’ont touché, lui et sa famille, alors qu’il avait 17 ans, leur précipitation, le scandale, la médiatisation, les rumeurs, le harcèlement moral, la destruction progressive du lien familial. Il raconte la fuite en avant comme seul remède à l’incompréhension, la confrontation directe, l’abandon affectif, l’indifférence parentale, la peur et la souffrance…

Obligé de se replonger dans ce trouble passé, Antoine devient acteur de sa propre vie. Les démons du passé resurgissant, il va essayer de faire le chemin à rebours pour  » chercher une cohérence dans un parcours qui est une succession de ruptures ».

Le narrateur, est toujours lui-même qu’il met en scène, un homme solitaire, taciturne, qui fuit et essaie de mettre tout à plat (la renverse), avec une enfance et une adolescence au sein d’une famille en apparence normale, dans un pavillon d’une ville de banlieue de la région parisienne dont il a le sentiment de ne pas vraiment y avoir été, de ne pas y avoir vécu, de n’avoir rien vu venir, rien compris. Une mère très jolie, tirée à quatre épingles et s’occupant parfaitement de sa maison. Un père distant, froid, n’ayant eu pour ses deux enfants aucun geste de tendresse. Cet équilibre familial sera mis à mal une fois cette sombre affaire étalée au grand jour, brisant alors cette bulle familiale.

Les paysages de Bretagne (le bruit permanent de la mer, la compagnie des oiseaux, les dunes et les oyats vibrant dans l’air frais du matin…) où il noie son spleen et sa prose libre sont comme toujours, sublimes

Au-delà du fait divers sordide, Adam s’interroge sur les identités multiples à l’intérieur d’une même personne, et fait une excellente analyse des vérités sociales actuelles et de ses conséquences sur les vies individuelles de la petite et moyenne bourgeoisie, où les faux-semblants et les apparences ont la part belle. Il retranscrit parfaitement le trouble, les émotions confuses, les questionnements, le déni, l’enfouissement, enfin mais trop tard, les doutes et les remords. Mais aussi la manipulation et la violence des médias, des politiques, l’égoïsme des adultes, l’injustice née d’un système corrompu.

Le romancier campe aussi avec élan ses personnages : un maire arrogant, sa belle maison bourgeoise en centre-ville pour le côté face, vulgarité, petitesse, crapulerie et violence côté pile. Sa fille, rebelle, qu’Antoine suivra dans sa fuite après le scandale. Les victimes, deux pauvres filles habillées vulgairement, affublées de concubins violents. La mère d’Antoine, une Emma Bovary version pavillon, actrice ratée reconvertie en épouse et mère de famille modèle tirée à quatre épingles, « toujours soucieuse du qu’en dira-t-on ». Et Camille, le petit frère mal dans sa peau, malingre mais malin. Et aussi la famille du bon copain d’Antoine, des bobos avant l’heure (bio, intellos), chez qui Antoine se réfugie pour fuir l’ambiance glaciale de sa propre maison.

« La renverse » est un roman ambitieux qui s’empare d’un fait divers (inspiré par l’affaire Tron, semble-t-il. Le 25 mai 2011, Virginie Faux et Eva Loubrieu, deux ex-employées municipales, avaient accusé le maire de Draveil et son adjointe de viols et d’agressions ; de la même façon, on avait tenté de montrer que les deux plaignantes étaient psychologiquement instables. Puis Georges Tron avait démissionné), pour en décortiquer toutes les facettes, sociales et intimes : la violence des faits et  les répercussions du scandale politico-sexuel dans la petite ville, les collusions, les rapports de domination, la capacité des puissants à tout mettre en œuvre pour conserver leur place, l’impuissance des petites gens à se défendre. Mais aussi et surtout le calvaire des enfants, et le chemin intérieur d’Antoine pour survivre au traumatisme. Et c’est ce que dépeint le mieux « La renverse », les mécanismes de défense que le narrateur a mis en place pour supporter la vérité, la manière dont il l’occulte pour s’en protéger, et les conséquences sur sa vie d’adulte, où « tout défile en transparence », comme dit Modiano (qu’Olivier Adam cite au début du livre). 

Mais comme le souligne Olivier Adam dans un « Avertissement au lecteur » : Si ce texte a pour toile de fond des faits comparables à différentes affaires survenues ces dernières années, relatées et commentées par la presse, il s’agit néanmoins d’une fiction romanesque, dénuée de toute valeur ou vocation documentaire. Les personnages, leurs actes, leurs pensées, leurs biographies, les lieux, les situations… toute est le fruit de l’imagination, du fantasme, de l’invention.

Il dit avoir écrit (dans un interview du 5 février 2016 avec Philippe Vandel) cet avertissement pour la raison suivante : Quand, dans un roman, on évoque des faits qui peuvent ressembler de près ou de loin à ce qu’on peut lire dans les journaux, il faut bien préciser que le livre n’a aucune valeur documentaire et que c’est une pure fiction. C’est une protection juridique.

L’auteur :

Olivier AdamOlivier Adam est un écrivain français né le 12 juillet 1974 à Draveil, près de Paris. Il a grandi en région parisienne au sein d’une famille modeste et vit maintenant en Bretagne.

Il dit maintenant ne plus se rappeler son enfance jusqu’à l’âge de 10/11 ans. Il sait pourtant qu’il a eu une enfance heureuse, normale pour ce qu’il s’en souvient.

Il a participé à la création du festival littéraire Les correspondances de Manosque. Il est actuellement édité par les Éditions de l’Olivier et aux éditions L’École des loisirs pour ses œuvres pour la jeunesse.

Il suit des études de gestion d’entreprises culturelles. Puis, après un « trou noir » de quelques années où il commence à écrire, il participe en 1999 à la création du festival littéraire « Les correspondances de Manosque ».

En 2000, Olivier Adam publie aux éditions du Dilettante son premier roman, « Je vais bien ne t’en fais pas », qui connaîtra un certain succès (160.000 exemplaires vendus en poche après l’adaptation au cinéma en 2006).

Vers l’âge de 16 ans, il devient anorexique. Il perd 38 kg. De 88 kg, il passe à 50 kg. Il rencontre alors celle qui va devenir sa compagne, Karine Reysset, qui va lui réapprendre à manger et arrêter de vouloir être un « fantôme ».

Il signe ensuite avec les éditions de l’Olivier où il publie « A l’Ouest » (2001), « Poids léger » (2002), « Passer l’hiver » (recueil de nouvelles, Prix Goncourt de la Nouvelle 2004 et Prix des Éditeurs 2004), « Falaises » (2005, sélectionné dans 13 prix littéraires sans obtenir aucune récompense) et « À l’abri de rien » (2007, Prix du Premier prix 2007 et favori du Prix Goncourt 2007).

Entre-temps, en 2003, il devient directeur de collection aux éditions du Rouergue.

Parallèlement, Olivier Adam écrit aussi plusieurs ouvrages pour la jeunesse, publiés pour la plupart à l’École des Loisirs: « On ira voir la mer » (2002), « La Messe Anniversaire » (2003), « Sous la pluie » (2004), « Douanes » (2004, éditions Page à page) « Comme les doigts de la main » (2005) et « Le jour où j’ai cassé le château de Chambord « (2005).

Il publie par ailleurs régulièrement des textes courts dans les revues littéraires et anime des ateliers d’écriture en milieu scolaire.

En 2005, Olivier Adam quitte la région parisienne pour la Bretagne avec sa compagne, l’auteur de livres pour enfants, Karine Reysset, pour habiter à Saint-Malo, où il partage son temps entre la littérature et le cinéma. Il est revenu dans la capitale, à Montmartre en 2014, avec sa compagne et ses deux enfants.

Pour le cinéma, outre la co-scénarisation de ses romans « Je vais bien ne t’en fais pas », adapté en 2006 par Philippe Lioret, « Poids léger » adapté en 2004 par Jean-Pierre Améris et « Sous la pluie » en cours d’adaption par Patrick Goyette), Olivier Adam a co-signé les scénarios de « L’été indien » d’Alain Raoust (2007) et de « Maman est folle » de Jean-Pierre Améris (2007, téléfilm).

Très influencé par la littérature américaine contemporaine (John Fante, Raymond Carver, Richard Ford,…) mais aussi par une certaine famille d’écrivains français des années ’40 et ’50 (Henri Calet, Georges Hyvernaud, Georges Perros,…), n’hésitant pas à aborder des thématiques sociales et politiques, Olivier Adam a su s’imposer très vite comme un auteur qui compte dans la nouvelle génération d’écrivains français. Côté filiations cinématographiques et musicales, on rapproche souvent son univers et son style de ceux d’auteurs comme Maurice Pialat, Leonard Cohen ou encore Christophe Miossec.

Il fait partie en 2007 de la dernière sélection du Prix Goncourt pour À l’abri de rien, et, en 2010, pour Le Cœur régulier, de la deuxième sélection du Prix Goncourt. Deux ans plus tard, pour son roman Les Lisières, il semble favori, d’après les médias, le magazine L’Express titrant un article « Olivier Adam aux lisières du prix Goncourt »… mais quelques jours plus tard, comme le mentionne le journal Le Figaro : « Voilà déjà une grande surprise : alors que la plupart des médias le voyaient déjà couronné, Olivier Adam ne figure même pas sur la première liste du Goncourt », surprise que reprend en titre L’Express ou encore Le Point.

Il est nommé chevalier des arts et des lettres en 2013.

En janvier 2014, une cinquième adaptation de son œuvre est portée à l’écran, à laquelle il n’a pas participé, le long métrage Passer l’hiver, réalisé par Aurélia Barbet, tiré de la nouvelle « Nouvel An », issue du recueil « Passer l’hiver » publié 10 ans plus tôt.

La même année, son roman Falaises (publié en 2005) est « librement adapté » en bande dessinée, sur un scénario de Loïc Dauvillier, et des dessins de Thibault Balahy.

Son ouvrage, Peine perdue sorti en août 2014 chez Flammarion, est finaliste du Prix des libraires 2015.

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