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… vu par Arlette

De Vigan Delphine ♦ D’après une histoire vraie

D'après une histoire vraieAprès l’immense succès de son dernier roman consacré à sa mère, « Rien ne s’oppose à la nuit » basé sur l’histoire « vraie  » de sa mère, succès auquel elle ne s’y attendait pas, Delphine, en plein désarroi un peu déstabilisée par les retombées médiatiques de son dernier roman, trop intime, trop réel, trop impudique, lasse de s’en expliquer en boucle et quelque peu perdue, est assaillie par le doute, face aux questions du public et de son entourage sur ce qu’elle va bien pouvoir écrire, après un tel succès et est confrontée à la page blanche. Signature, salons littéraires, et invitations multiples l’ont littéralement vidée, jusqu’au jour où elle ne peut même plus accorder un autographe supplémentaire à une lectrice arrivée un peu tard pour une dédicace.

A cette fatigue et ce début de dépression s’ajoutent des lettres anonymes menaçantes, l’accusant d’avoir bâti sa célébrité sur la mort de sa mère. La blessure de trop. Elle doit faire face à ses vieux démons: la crainte de ne pas être à la hauteur, de laisser transparaître ses failles, de ne pas être la personne parfaite pour tenir le rôle social éprouvant que confère le succès médiatique. Qu’écrire après cela? L’imagination s’est envolée, l’envie avec.

Pour rassurer ses proches, elle feint un projet de livre et leur cache ces lettres de menaces qu’elle reçoit. Pour avoir écrit sur ses proches, notamment sur sa mère, on l’accuse d’avoir sali son nom et semé la haine.

C’est dans cette période un peu confuse, alors qu’elle est malléable et fragile, qu’elle fait la rencontre de L. d’à peu près son âge, qui travaille comme nègre, dans la vie, lors d’une soirée chez une amie. Une femme, qui rappelle un personnage de Misery de Stephen King (l’auteur y emprunte notamment des exergues de chapitres qui enflamment d’autant plus l’histoire), qui va s’immiscer dans sa vie comme une sangsue, à l’insu de toute sa famille et de son entourage, et va vite l’entraîner en panne d’écriture, voire la dépression. De suite, L. l’a mise à l’aise et a semblé déjà la connaître. De suite, Delphine l’a admirée et l’a laissée entrer dans sa vie… C’est un coup de foudre amical. Cette femme la comprend mieux que personne. Et devient d’autant plus indispensable que les deux grands enfants de la narratrice partent faire leurs études ailleurs. Ses amis vivent en province, et son compagnon, François, avec lequel elle ne vit pas, est très -trop ? – absorbé par ses émissions littéraires. « L » (elle ?) prend soin d’elle jusqu’à la décharger de ses mails et y répondre à sa place -pour lui rendre service, bien sûr. Pour son bien encore, « L » la pousse à bout pour faire jaillir d’elle la seule littérature qui vaille : celle de la réalité crue. C’est d’ailleurs son métier : rédiger, sans jamais apparaître, les autobiographies d’actrices célèbres ou les témoignages de femmes martyrisées. Jusqu’où ira « L », installée à demeure chez la romancière ? Est-elle venue combler un vide ou faire le vide ? Lui redonner du souffle ou lui voler sa vie ?

Quelle est la part du vrai et du faux dans ce roman psychologique? Jusqu’où Delphine de Vigan s’est-elle mise en scène et à la fois mise à nu? Toujours est-il que le lecteur curieux s’immisce dans cette relation d’abord amicale puis exclusive, presque vampirique et s’introduit dans les coulisses. Se mettant elle-même en scène, parlant de son compagnon François Busnel, citant quelques auteurs connus ou encore parlant de son dernier roman « Rien ne s’oppose à la nuit », l’on a du mal à bien discerner la frontière entre la vérité et la fiction.

Un récit sur le fil, entre le réel et la fiction, qui porte une réelle réflexion sur la place du «Vrai» dans la littérature.

La couverture d’ailleurs condense toute cette ambiguïté qui va ensuite se déployer sur près de 500 pages : le titre « D’après une histoire vraie » évoque une autofiction, (mais faut-il le prendre au premier degré ou bien est-ce ironique ?) tandis qu’un petit mot placé juste en dessous « roman » sème déjà le trouble. Tout au long du livre on ne saura jamais quel rapport ce qui est narré entretient avec le vrai. Le début s’inscrit clairement dans l’autofiction : la narratrice, Delphine (comme l’auteur) parle à la première personne, elle vient d’écrire un livre à succès, son compagnon, journaliste littéraire, se nomme François (François Busnel), bref les « effets de réel »sont nombreux. Mais jusque la fin le doute plane, et si L. était une créature inventée, une réponse à tous ceux qui veulent du « vrai » qu’il n’y a rien de plus réel qu’une fiction bien construite et bien menée ? Existe-t-elle vraiment ou est-elle simplement un double fantasmé de l’auteur ?

Dans ce roman aux allures de thriller psychologique, Delphine de Vigan s’aventure en équilibriste sur la ligne de crête qui sépare le réel de la fiction. Ce livre est aussi une plongée au cœur d’une époque fascinée par le Vrai. Prix Renaudot et Goncourt des lycéens 2015.

L’auteur :

Delphine de ViganDelphine de Vigan est une romancière française née le 1er mars 1966 à Boulogne-Billancourt. Elle est l’auteur de cinq romans dont l’avant-dernier en 2007 a été couronné par le Prix des libraires.

Jusqu’à l’âge de douze ans, Delphine de Vigan vit en banlieue parisienne. Elle n’a pas la télévision, dessine sur les murs, fait des farces au téléphone, des maisons en carton et des crocodiles en perles. Elle lit Lucky Luke, Gaston Lagaffe, a peur du chien jaune du voisin et part l’été dans une 403 peinte en vert pomme.  La vie se complique un peu, comme cela arrive souvent, et Delphine part avec sa sœur vivre à la campagne, change de décor, d’univers, d’éducation. Passée directement de Rantanplan à Madame Bovary, elle aime Maupassant, Dostoïevski, écrit des poèmes, des nouvelles, des lettres.

A dix-sept ans, Delphine de Vigan revient à Paris pour entrer en classe prépa, étant parallèlement démonstratrice en hypermarchés pour diverses marques de fromages et de steak haché, scripte dans des réunions de groupe, hôtesse d’accueil.

Quelques mois plus tard, elle cesse de s’alimenter, peut-être pour ne plus grandir. Une fois sortie de l’hôpital, elle se dit qu’un jour elle écrira un livre, pour raconter ça, et peut-être d’autres choses, si elle parvient à oublier qu’elle a tant lu. Guérie, elle se rend compte que la vie n’est pas si compliquée. Elle reprend des études, trouve un travail, rencontre un Grand Amour, a deux enfants magnifiques et drôles.

Quand tout lui semble paisible et doux autour d’elle, elle écrit un manuscrit sous le pseudonyme de Lou Delvig qu’elle envoie par La Poste. Ce sera « Jours sans faim » (Grasset, 2001). Il s’agit d’un roman autobiographique sur le combat et la guérison d’une anorexique de 19 ans. Au-delà de ce livre, il y a l’envie d’écrire.

Après « Jours sans faim », elle écrit un recueil de nouvelles sur l’illusion amoureuse « Les Jolis Garçons », bref roman (150 pages) constitué par trois histoires d’amour d’une jeune femme, Emma (JC Lattès, 2005). Parfois, elle doute encore de sa légitimité à écrire, c’est quelque chose qui la hante, lui fait perdre du temps, mais cette nécessité l’habite. Elle se remet au travail.

Puis, creusant le thème des difficultés amoureuses et de la mémoire, elle a publié en 2006 « Un soir de décembre », qui a obtenu le Prix littéraire Saint-Valentin 2006.

Les jurés ont récompensé « l’impertinence du discours,  la pertinence du style et la modernité littéraire au service du genre  amoureux ».

Explorant une thématique nouvelle, « No et moi » est paru en 2009 aux éditions Lattès. Ce « roman moral » à succès sur une adolescente surdouée qui vient en aide à une jeune SDF a été récompensé par le prix du Rotary International 2009 et par le Prix des libraires 2009. Il a été traduit en vingt langues et une adaptation au cinéma a été réalisée par Zabou Breitman, film sorti le 17 novembre 2010.

En 2008, elle a participé à la publication de « Sous le manteau », un recueil de cartes postales érotiques des années folles.

En 2009, elle a été récompensée par le « prix du roman d’entreprise », décerné par deux cabinets de conseil (Place de la Médiation et Technologia) avec le soutien du ministre du travail de l’époque Xavier Darcos, pour ses « Heures souterraines » (Jean-Claude Lattès). Elle n’a pas souhaité se rendre à la remise du prix.

Figurant sur la liste des œuvres sélectionnées par l’Académie Goncourt en 2009, elle est lauréate de la 12e édition du prix décerné en Pologne « Liste Goncourt : le choix polonais » à l’initiative de l’Institut français de Cracovie.

Aujourd’hui, elle vit de sa plume depuis 2007.

Le 16 juin 2010, Delphine de Vigan a obtenu le prix des lecteurs de Corse, pour ses « Heures souterraines ».

Mêlant avec justesse les dimensions sociale et intime, l’écrivain poursuit dans ce registre avec le roman « Les Heures souterraines », paru en 2009. Si ses romans traitent souvent du désenchantement, Delphine de Vigan incarne le succès d’une littérature modeste et sans esbroufe et la possibilité de réussir à force de talent et de persévérance.

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