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… vu par Arlette

Benameur Jeanne ♦ Otages intimes

Otages intimesReporter-photographe de guerre, Étienne n’est bien, comme son père, navigateur (parti un jour, jamais revenu) que dans les départs, les lointains… Il a toujours su aller au plus près du danger pour porter témoignage.

En reportage dans une ville à feu et à sang, il est pris en otage, séquestré un temps très long, durée jamais précisée… Quand enfin il est libéré après négociation entre Etats, l’ampleur de ce qu’il lui reste à ré apprivoiser le jette dans un nouveau vertige, une autre forme de péril.

De retour au village de l’enfance, auprès de sa mère, il tente de reconstituer le cocon originel, un centre depuis lequel il pourrait reprendre langue avec le monde. C’est le délicat retour à la vie ordinaire, où après le traumatisme, la peur absolue, il faut reconstruire, trouver les moyens de dépasser le traumatisme.

Au contact d’une nature sauvage, familière mais sans complaisance, il peut enfin se laisser retraverser par les images du chaos. Maintenant il a vécu ce qu’était : ne compter pour rien. Devenir juste une monnaie d’échange entre deux mondes pendant des mois a été sa seule utilité.

Dans ce progressif apaisement se reforme le trio de toujours. Il y a Enzo, le fils de l’Italien, l’ami taiseux qui travaille le bois et joue du violoncelle. Et Jofranka, “la petite qui vient de loin”, devenue avocate à La Haye, qui aide les femmes victimes de guerres à trouver le courage de mettre en mots ce qu’elles ont vécu.

Ces trois-là se retrouvent autour des gestes suspendus du passé, dans l’urgence de la question cruciale : quelle est la part d’otage en chacun de nous ?

De la fureur au silence, Jeanne Benameur habite la solitude de l’otage après la libération. Otages intimes trace les chemins de la liberté vraie, celle qu’on ne trouve qu’en atteignant l’intime de soi.

Un roman polyphonique où moult thèmes s’entrechoquent, s’éloignent, se côtoient, se rejoignent: L’Amour de la Vie, l’enfantement, les liens uniques entre mère et fils, la mort, l’amitié, l’amour, l’engagement, comment survivre à la barbarie ?, la liberté, la peur, la solitude des êtres, leurs ancrages originels qui font leur force ou leur faiblesse, la richesse et la sérénité du travail manuel, dont celui de l’ami de « notre héros », polissant, transformant le bois , la force de la musique, ainsi que la quête perpétuelle de sens et d’amour de nous, fragiles humains…

“Pour que j’ouvre un chantier d’écriture, il faut que je sois traversée par une question qui insiste, s’impose. Je sens à un moment que ce n’est que par l’écriture que « ça » va prendre forme. Le roman me permet d’explorer, jusqu’au bout et par des facettes différentes, un questionnement, ce que dans la vie je ne peux pas faire. Le roman est une quête qui m’est nécessaire au moment où je l’écris.

Avec Otages intimes, le questionnement était : quelle part de nous est toujours prise en otage ? Tous, nous sentons parfois qu’un territoire en nous reste inexploré, fermé. Ces espaces dont nous ne sommes pas libres appellent parfois. Il faut souvent ce qu’on nomme « une crise » pour aller y voir… se risquer à découvrir.

Je vis dans un monde où les images de la guerre sont omniprésentes, sur les écrans, dans toutes les actualités. La guerre, je l’ai vécue lorsque j’étais enfant, à cinq ans, quand toute ma famille fut attaquée par ceux que l’on connaîtrait ensuite sous le sigle OAS (Ça t’apprendra à vivre, Babel).

J’ai été « sidérée » par la violence des hommes. De cette sidération on ne revient pas indemne. L’intensité vécue au moment du péril, rien ne pourra plus l’égaler. À part, pour moi, l’intensité de l’écriture. C’est sans doute pour cela que le corps a une telle « vie » dans mes textes.

C’est la première fois que je peux me lancer dans la fiction sur ce terrain-là qui m’habite depuis si longtemps. Les questions d’écriture n’en ont été que plus aiguës. J’espère que corps, imaginaire et pensée trouvent leur forme juste par ce texte.”                                    Jeanne Benameur

L’auteur :

Jeanne benameurJeanne Benameur est une écrivaine française née en 1952 à Ain M’lila en Algérie, d’un père arabe et d’une mère italienne. Dernière d’une famille de quatre enfants, elle passe de l’Algérie à la France avec sa famille en raison des violences liées à la guerre.

Elle a cinq ans et demi quand elle arrive à La Rochelle.

Deux langues, l’arabe et le français ont bercées son enfance : l’arabe étant la langue maternelle de son père, mais également celle de son premier environnement. Elle réintroduit les sonorités et les rythmes de ces langues dans son écriture.

Sa mère lui apprend à écrire avant même d’aller à l’école. Très tôt, elle écrit de petites histoires, des contes, des pièces de théâtre, des poèmes. Elle suit les cours du conservatoire d’art dramatique puis elle effectue des études de lettres à Poitiers, où elle suit aussi des cours de philosophie et d’histoire de l’art. Elle est pendant un temps élève du conservatoire de chant. Après l’obtention du CAPES, elle devient professeur de lettres : d’abord à Mauzé sur le Mignon puis en banlieue parisienne.

Ce n’est qu’à partir de 2000 qu’elle se consacre entièrement à l’écriture. Elle a publié pour la première fois en 1989 aux Editions Guy Chambelland des textes poétiques, puis chez divers éditeurs : d’abord chez Denoël en littérature générale, et, depuis 2006, chez Actes Sud. Pour la littérature jeunesse elle publie aux éditions Thierry Magnier. Elle a été également directrice de collection chez Actes Sud junior pour la collection « d’Une Seule Voix » et chez Thierry Magnier pour « Photoroman » jusqu’en septembre 2013.

Elle se distingue sur la scène littéraire avec « Les Demeurées » qui reçoit en 2001 le Prix Unicef.

Puis, c’est le Prix du centre du Livre Poitou-Charentes pour « Laver les ombres » en 2007, le prix Paroles d’encre, le prix du Rotary et le prix du Roman d’entreprise pour « Les Insurrections singulières » en 2011.

Et en 2013, « Profanes » reçoit Le Grand Prix RTL LIRE.

Parallèlement à son travail d’écrivain, elle anime régulièrement des ateliers d’écriture. Ceux-ci tiennent une grande place dans son parcours. Le travail en milieu carcéral avec des jeunes l’intéresse tout autant. En effet, ce lieu a une assez grande importance pour elle vu que son père a longtemps travaillé comme directeur de prison. C’est un endroit mystérieux, qui interroge toujours. C’est sans doute cet environnement qui lui a donné un goût très prononcé pour la liberté. Elle a également une passion pour les enfants. Elle est d’ailleurs membre d’une association, « Parrains par mille », qui vient en aide aux jeunes en détresse.

Jeanne Benameur passe facilement de la littérature générale à la littérature pour la jeunesse. Elle écrit pour des âges très variés. Le choix du lectorat dépend. Par exemple, le livre « Les reliques » ne peut pas figurer en secteur jeunesse car il aborde des sujets qui n’interpellent pas encore les jeunes. Alors que dans « Si même les arbres meurent », il s’agissait d’une vraie question pour les enfants, les adolescents : Comment continuer à aimer après la mort mais du côté parents, grands-parents. Tout cela est très subjectif et peut être discuté, il n’y a pas vraiment de règle.

Lorsqu’elle écrit elle ne pense pas au lecteur. Elle a besoin que ce qu’elle écrit sonne juste car c’est elle la lectrice. C’est le désir de se transformer qui fait sa profonde nécessité d’écriture. L’écriture lui permet d’ouvrir d’autres espaces à l’intérieur d’elle-même et de voir le monde autrement et encore autrement, même si c’est sur le même thème. Ecrire lui permet de lui ouvrir de nouveaux horizons. Dans ses romans, la relation à l’autre est au fondement même de la narration.

Elle accorde une grande place à la psychanalyse. La psychanalyse lui a permis de mettre en forme par la parole ses émotions et donc de les travailler dans l’écriture. Elle lui a permis encore de faire le lien avec le partageable. Elle a cessé de se considérer comme un être original car nous sommes tous régis par une naissance, par une mort, nous possédons les mêmes sens pour appréhender le monde, une sexuation,… Tous ces éléments font de nous des semblables, même si nous avons nos singularités, notre histoire, notre éducation, notre culture…

Lorsqu’elle était jeune professeur en milieu rural, avec des classes difficiles, elle passait des heures à corriger des rédactions qu’elle donnait aux élèves. Cela n’était pas utile pour eux car ça leur enlevait le goût d’écrire. Elle a donc commencé à pratiquer des ateliers d’écriture avec Elisabeth Bing. En 1979, ses élèves de milieu rural venaient le mercredi après-midi spécialement pour l’atelier d’écriture. Lorsque les élèves sont très loin de la pratique de l’écriture, elle commence avec des ateliers d’imaginaire et de paroles. Elle part d’un groupe de mots, puis chacun accueillit les images dans la parole. On se rend compte qu’avec les mêmes mots, chacun n’a pas les mêmes images, l’imaginaire de chacun est libre. C’est ensuite qu’on peut aborder l’atelier d’écriture. Son but est que les gens, au bout d’un moment, ne viennent plus à ses ateliers, qu’ils se confrontent eux-mêmes avec l’écriture, chez eux dans cette affaire solitaire. L’atelier d’écriture ne fait peut-être pas des écrivains, mais des lecteurs. Lorsque quelqu’un travaille ses propres mots, il a moins peur des mots des autres.

Elle vit à La Rochelle et consacre l’essentiel de son temps à l’écriture.

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