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… vu par Arlette

Gaudé Laurent ♦ Danser les ombres

Danser les ombresUne jeune femme revient à Port-au-Prince où elle veut désormais inventer sa vie, et pourrait même se laisser aller à aimer. Mais la terre qui tremble redistribue les cartes de toute existence.

En ce matin de janvier, la jeune et belle Lucine, à la jeunesse étudiante sacrifiée aux responsabilités familiales, arrive de Jacmel à Port-au-Prince pour y annoncer un décès. Nine la bancale, Nine la voluptueuse, Nine la grande sœur vient de mourir. Dans une chaleur étouffante qui fait transpirer les voyageurs de ce bus, Lucine appréhende de descendre. Un voyage éprouvant et pourtant, une fois le pied à terre, c’est toute sa ville qu’elle retrouve, colorée, puante, grouillante, bruyante mais aussi toute son existence. Une ville qu’elle a abandonnée il y a 5 ans mais qu’aujourd’hui. Elle, qui avait abandonné ses rêves et ses espoirs pour s’occuper de sa sœur inadaptée au monde des hommes, après s’être pourtant battue pour l’indépendance de son peuple lors des manifestations sanglantes à Haïti, réapparaît avec l’impression de sortir d’un long sommeil.

Très vite, dans cette ville où elle a connu les heures glorieuses et sombres des manifestations étudiantes quelques années plus tôt, elle sait qu’elle ne partira plus, qu’elle est revenue construire ici l’avenir qui l’attendait. Tant pis pour les enfants de Nine, tant pis pour son autre sœur Thérèse, elle sent qu’elle est à nouveau chez elle. Elle prend la route vers Pétion-ville, le quartier des riches, là où habite Armand Calé, le père du premier enfant de Nine…

Hébergée chez Fessou, dans une ancienne maison close, elle fait la connaissance du maître de maison, le Vieux Tess, et de ses amis et partenaires hebdomadaires de longues parties de dominos : Le Facteur Sénèque, Pabava, Jasmin Lajoie, le séducteur de ces dames mariées, Boutra et le docteur Saul, le bâtard de la famille Kénol, fils d’une domestique et du maître de la maison Kénol, qui soigne les gens mais n’a pas terminé ses études de médecine, à l’enthousiasme de liberté brisée par les émeutes sous présidence Aristide. Elle fait aussi connaissance avec le vieux Matrak, planqué dans son taxi, cherchant à faire oublier son passé de tortionnaire du temps des Duvallier, Lily, une jeune fille de 16 ans, malade, qui est venue ici finir ses jours et non dans un hôpital Américain.

. Dans la cour sous les arbres, dans la douceur du temps tranquille, quelque chose frémit qui pourrait être le bonheur, qui donne l’envie d’aimer et d’accomplir sa vie. Mais alors que le bonheur règne sur la petite communauté réunie chez Fessou, où se retrouvent les amis de toujours, les épicuriens et les philosophes amoureux de rhum, de bonne chère, de dominos et de débats animés, survient le terrible tremblement de terre qui ravagera Haïti, entraînant sur son passage la mort de plus de 300 000 personnes et bouleversant à jamais le destin de milliers d’autres…

Pour rendre hommage à Haïti, l’île des hommes libres, Danser les ombres tisse un lien entre le passé et l’instant, les ombres et les vivants, les corps et les âmes. D’une plume tendre et fervente, Laurent Gaudé trace au milieu des décombres une cartographie de la fraternité, qui seule peut sauver les hommes de la peur et les morts de l’oubli.

L’auteur marche sur les pas des vivants mais aussi des morts, dans cette ville habitée par les esprits, les croyances et les morts. Il fait la part belle à la fraternité, la solidarité qui anime les hommes et dresse un portrait touchant de cette population qui fourmille, pleinement vivante et qui, toujours, se relèvera mais aussi hantée par son passé dictatorial et son histoire. Il raconte avec son cœur cet événement qui l’a secoué, le chaos qui régna, l’incompréhension et plus que toute la volonté d’aller de l’avant et d’enterrer les morts.

“À Port-au-Prince, le promeneur est sans cesse bousculé d’un sentiment à l’autre. La laideur, la violence, les détritus, le désespoir, tout cela côtoie, touche, embrasse le sourire, la grâce, la dignité. Il y a dans cette ville une tension, un rythme qui m’a fasciné parce qu’il fait écho à celui de ma phrase. Tout est sec et rapide et en même temps l’épopée et le lyrisme ne sont jamais loin. Tout va vite à Port-au-Prince. Le bruit est partout. Le chaos vous saute au visage. Mais la réalité désamorce sans cesse vos attentes et vous offre, au moment le plus inattendu, un instant de grâce. J’aime ces mariages des extrêmes. Tout est là. Tout est possible. Et puis, il y a le peuple de Port-au-Prince qui fait, chaque jour, un effort prodigieux pour vivre. Car rien n’est simple, rien n’est aisé. C’est cela que je veux faire entendre dans mon roman : le rythme de Port-au-Prince. Sa frénésie permanente.
J’ai écrit
Danser les ombres pour raconter la vie courageuse, têtue, obstinée, de ces hommes et de ces femmes qui luttent chaque jour contre la dureté de la vie. Lucine, Saul et tous les amis qui fréquentent l’ancien bordel chez Fessou s’accrochent à cette idée : construire une vie animée par le désir. S’affranchir de la nécessité. Être libre et, pourquoi pas, heureux.

J’ai écrit Danser les ombres pour parler du séisme, de cette force qui vient mettre à bas la vie des hommes et les laisse démunis, nus. Mais j’ai écrit Danser les ombres, surtout, pour faire ressortir la beauté de ceux qui luttent, même petitement, même dérisoirement, ceux qui s’arcboutent pour rester debout, ceux qui continuent à croire à la fraternité et à la possibilité de l’amour.  ”  Laurent Gaudé

L’auteur:

Laurent GaudéLaurent Gaudé, né le 6 juillet 1972 dans le 14e arrondissement de Paris, est un écrivain français ayant obtenu le prix Goncourt des lycéens et le prix des libraires avec La Mort du roi Tsongor en 2002. Et en 2004, il est lauréat du prix Goncourt pour son roman Le Soleil des Scorta, roman traduit dans 34 pays.

Une fois son bac en poche, il se décide à suivre des études littéraires de lettres modernes, jusqu’à la préparation d’une thèse en études théâtrales. Il demandera d’ailleurs que son sujet soit soumis à la direction de l’auteur et metteur en scène dramatique Jean-Pierre Sarrazac.

Après une Maîtrise de lettres à l’Université Paris III, pour laquelle il a soutenu un mémoire intitulé Le thème du combat dans la dramaturgie contemporaine française, sous la direction de Michel Corvin (1994), puis un DEA à la même université, pour lequel il a soutenu un mémoire intitulé Le conflit dans le théâtre contemporain, sous la direction de Jean-Pierre Sarrazac (1998), Laurent Gaudé écrit pour la scène (1999). Passionné par le théâtre, Laurent Gaudé se décide à vivre de sa plume.

En 1999, ses efforts se révèlent payants avec la publication de sa toute première pièce, Combats de possédés, parue aux éditions Actes sud à qui il est toujours resté fidèle depuis. Elle sera jouée en Allemagne et lue au Royal National Theatre de Londres. Tout s’enchaîne alors très vite pour ce jeune auteur : sa pièce, traduite en allemand, est jouée à Essen dans une mise en scène de Jürgen Bosse. Sa seconde pièce, Onysos le furieux, est publiée en 2000, puis elle est montée dans la foulée en juin de la même année au Théâtre national de Strasbourg. Il s’agit d’un monologue épique, écrit en seulement 10 jours au printemps 1996.

Devant le succès grandissant de son auteur, Actes sud édite en 2001 deux ouvrages de Laurent Gaudé : sa troisième pièce, Pluies de cendres, créée en mars au studio de la Comédie Française, et son premier roman, Cris, dont l’action se déroule dans les tranchées de la Première Guerre mondiale. En 2002, parution de deux nouvelles pièces : Cendres sur les mains et Le Tigre bleu de l’Euphrate.

En 2002, Laurent Gaudé revient un temps au roman avec La Mort du roi Tsongor, son deuxième roman, qui lui vaut d’être cité pour le prix Goncourt et surtout d’être récompensé par le prix Goncourt des lycéens et le prix des libraires. Ce roman sera traduit dans 34 pays.

Deux ans plus tard, il remporte le prix Goncourt ainsi que le prix du jury Jean-Giono avec son roman Le Soleil des Scorta qui sera également un succès de librairie (80 000 exemplaires vendus entre la parution du roman et l’attribution du prix Goncourt en 2004).

Romancier et dramaturge, Laurent Gaudé est aussi auteur de nouvelles, d’un beau livre avec le photographe Oan Kim, d’un album pour enfants, de scénario. Il s’essaie à toutes ces formes pour le plaisir d’explorer sans cesse le vaste territoire de l’imaginaire et de l’écriture.

Travaillant à Paris, marié à une femme d’origine italienne, Laurent Gaudé prépare alors Le Soleil des Scorta, publié lors de la rentrée littéraire 2004. Ce roman épique, qui raconte la lignée familiale souvent malheureuse des Scorta, remporte le prix Goncourt en 2004. C’est la première fois que l’éditeur Actes sud remporte ce prestigieux prix ; le livre, quant à lui, a déjà reçu un excellent accueil public : il s’était déjà vendu à 80 000 exemplaires avant que le verdict du Goncourt ne soit rendu.

Il est le frère du journaliste Ivan Gaudé (Joystick, Canard PC). Il est le père de deux enfants.

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