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… vu par Arlette

Jourde Pierre ♦ La première pierre

La première pierre«Dans ces terres reculées, dans ces pays perdus, on vit toujours plus ou moins dans une légende, dans l’image d’un chapiteau roman historié de scènes naïves et cruelles…»

Pierre Jourde revient sur des événements qui en 2005 ont défrayé la chronique. Lors de la parution d’un de ses livres, Pays perdu, une partie des habitants du village d’Auvergne dont il était question dans le récit s’est livrée à une tentative de lynchage de l’auteur et de sa famille. Pierre Jourde y décrivait la rudesse de la vie dans ce hameau lointain dont il est originaire, mais aussi une fraternité archaïque, solide, des relations humaines à la fois brutales et profondes, tout cela raconté à l’occasion de la mort d’un enfant. Célébration d’un village aimé, le livre y a été reçu par certains comme une offense.

La première pierre retrace les événements violents qui ont suivi la parution de Pays perdu, et propose l’analyse passionnante de leurs causes. Il offre aussi une magnifique démonstration des puissances de la littérature, en même temps qu’un récit vibrant d’émotion et d’admiration pour ces contrées et ces gens qui vivent dans un temps différent de celui des villes.

L’auteur, Pierre Jourde, romancier, critique littéraire et universitaire est originaire de Lusseaud, un petit village d’Auvergne, du Cantal,  où il revient chaque année passer ses vacances dans la maison de famille. Il a, en 2003, publié un livre, « Pays perdu » qui, selon ses dires, se voulait être un hommage à ce terroir et à ses habitants, des individus ainsi devenus des personnages de roman dont les noms avait été, bien entendu, transformés. Dans ce premier livre il parlait de la rudesse de la vie montagnarde, de la solidarité qui cimente les gens, tout cela à l’occasion de la mort de la fille d’un voisin. Il se demande d’ailleurs comment « un livre publié chez un petit éditeur par un auteur peu connu »avait bien pu parvenir chez des gens qui pourtant lisent peu. Le paradoxe fut sans doute que parmi ses nombreux détracteurs, peu avaient effectivement lu ce récit et que d’autres parmi eux l’avaient trouvé peut-être naïf mais pas méchant. L’ennui c’est qu’une partie de ces derniers qui y avaient pourtant vu au départ « un beau livre » y ont lu une attaque personnelle inacceptable, une incursion dans leurs vies et cette fiction les a « rendu fous de rage ».

En 2005 le voilà donc revenant avec famille complète et bagages pour un nouveau séjour. Plusieurs villageois foncent dans sa cour. Injures (certaines racistes à l’égard de ses gamins), coups échangés, blessures, jets de pierre (dont l’une atteindra son petit de 15 mois), voiture caillassée, bref, c’est la fuite obligée.

L’auteur fit donc l’objet de critiques qui nourrirent une polémique et son retour estival a rapidement dégénéré en une lapidation, un véritable lynchage, quelques allusions précises à un adultère ancien de sa grand-mère, la filiation douteuse de l’auteur et des remarques acerbes sur sa vie privée personnelle. Tout cela se termine en bataille rangée, un contre Tous, mais l’auteur qui pratique la boxe ose se défendre ce qui, dans l’esprit des autochtones aggrave son cas. Sa mère lui avait pourtant conseillé de ne pas répondre si on l’agressait.

Bien entendu, ensuite en 2007, il y eut un procès : dépôts de plainte de part et d’autre, procès-verbaux de police parfois laborieux, instructions contradictoires, mauvaise foi ordinaire, négations des faits pourtant patents et finalement audience devant le tribunal d’Aurillac avec constitution d’avocats, effets de manches et finalement verdict condamnant le 5 juillet 2007 tout le monde à des amendes et à de la prison avec sursis. Mais puisque l’auteur est un écrivain, la presse locale et nationale s’en mêle, prend partie, tout comme les réseaux sociaux de sorte que ce qui aurait pu être un épiphénomène devient rapidement une affaire où s’opposent deux conceptions. D’une part un type de la ville, universitaire et écrivain qui, sous couvert de ragots dont il s’est fait l’écho, a violé une communauté paysanne à laquelle il ne comprend rien, montrant l’arrogance des citadins et surtout des intellectuels face aux vrais valeurs de la France rurale incarnées par des paysans désarmés, autant dire une notion pétainiste de La Terre « qui ne peut mentir ». D’autre part ceux qui ont aimé ce livre et qui insistent sur l’illustration de la beauté des campagnes et de la vie paysanne, prônent la liberté d’écrire et la sacralisation de la littérature face à des analphabètes. La polémique était donc totale et chacun y allait de son commentaire.

Il sent qu’il doit s’expliquer plus avant, dégonfler cette baudruche qu’il a contribué naïvement peut-être à créer et que d’autres se sont chargés de gonfler. C’est qu’il a écrit ce livre avec son cœur, surpris par la polémique qui a suivi, nourrie par exploitation partisane de passages sortis volontairement de leur contexte ou mal interprétés dans le seul but de choquer, un peu comme si ce livre ressemblait malgré lui à un os offert à ronger, une sorte d’occasion donnée aux autres de se venger de celui qui certes était d’ici mais qui avait réussi, habitait la ville, écrivait des livres, ne grattait plus La Terre et donc ne leur ressemblait plus ! On aurait sans doute voulu qu’il fût, s’autocensurant, moins lui-même, plus consensuel et coopératif avec ceux qui étaient ses personnages, qu’il restât dans les limites « correctes » de la littérature. De ce qui n’était à l’origine qu’une nouvelle relatant les obsèques d’une enfant il a voulu faire un livre où il parlait des gens, de leur histoire, de ce terroir qu’il n’avait pas assez idéalisé, donnant des détails qui ne tissaient pas forcement « une bonne image » de l’Auvergne. Ce faisant, il avait touché aux morts et cela devenait « dégoûtant ». Il fallait donc le lui faire payer. Alors on lui avait renvoyé au visage l’opprobre d’une bâtardise qu’il n’ignorait cependant pas. Et tout est ressorti à partir de là, la faiblesse de ce père tardivement reconnu par le mari de cette mère infidèle et bafoué par elle, l’héritage qui avait fait de lui un riche propriétaire dont des générations de pauvres fermiers trouvaient ainsi, par delà le temps, l’occasion de se venger. Pour eux, les riches dont Jourde fait partie ne pouvaient qu’être mauvais et ce livre était une occasion à ne pas manquer de le dire, malgré les verres entrechoqués, les fêtes données au village, les messes entendues et les coups de main donnés par l’auteur lui-même, pour les travaux des champs. Il était accepté bien qu’il soit définitivement « un étranger ». Ainsi Pierre Jourde se sentait investi d’une mission, celle de rendre à son père sa fierté et c’est avec ce livre qu’il entendait le faire de sorte que « la mort du père menait à l’écriture du livre, ce tombeau ».

Quant aux révélations qu’il fait sur les habitants, le « petit bonhomme » les assume puisque, même si elles sont tragiques, elles n’ont rien de mystérieux, sont connues de Tous mais doivent rester secrètes. Pierre Jourde ne se destinait pas à écrire sur ce pays, seul les obsèques de cette jeune fille ont été le déclencheur et dans son livre il évoque le village, l’histoire clandestine de sa famille et « l’incapacité à dire » de l’auteur « avait produit le livre » parce que dans un village tout se sait, même si des choses restent secrètes au sein même d’une famille.

Il a brisé le « culte du silence qui se transmet de génération en génération dans ces hameaux. Parler de ce qui se passe dans une autre maison, c’est un peu comme y pénétrer. Cela ne peut se réaliser qu’au prix de grandes précautions. L’espace de la maison, avec tout ce qu’il peut contenir d’intimité, a quelque chose de sacré: il est celui de la maîtrise, de la propriété, du quant-à-soi.

Maintenant, après tout cela, quand il revient à Lussaud on l’ignore, il est une non-présence, sauf peut-être quelques-uns que cela ne concerne pas. Il éprouve pour lui ce qu’est le non-pardon, mais qui s’étend aussi à Tous ceux qui l’ont soutenu, même à ceux qui depuis ont acquis une maison au village et même à leurs enfants !

Pour faire bonne mesure il y a eu une pétition, des menaces, des intimidations, des petites bassesses qui signifiaient à l’auteur que même dix ans après il n’était plus chez lui.

 

L’auteur :

Pierre JourdePierre Jourde est un écrivain et critique français, né à Créteil le 9 décembre 1955, dans une famille d’origine auvergnate. Il est élevé par son père Jean, chauffeur et employé administratif, et sa mère, Colette, institutrice. Avec son frère Bernard, né en 1958, il passe beaucoup de temps chez ses grands-parents paternels, dans le Cantal.

En 1972, il découvre Proust, sa première « grande passion littéraire ».

En 1974, il obtient son baccalauréat littéraire, en 1978, sa maîtrise de lettres modernes, et en 1981, il est reçu à l’agrégation de lettres modernes. Il est nommé professeur. Il enseigne pendant dix ans dans divers collèges et lycées. Puis il est nommé maître de conférences et sera élu professeur des universités à Mulhouse, puis à Tours – il en profitera pour fonder la revue littéraire Hesperis.

A cette période, il divorce. Il s’était marié en 1989 et deux enfants étaient nés de ce premier mariage, Axel en 1991 et Gabriel en 1994. Il refait alors sa vie avec Hélène Védrine qui lui donnera un troisième enfant, Jean, en 2004. Ils se marieront en avril 2010.

Depuis 1992, il partage sa vie entre Paris et Valence où il enseigne la littérature à Valence, et  à l’université de Grenoble III depuis 1999.

Romancier, nouvelliste, essayiste, critique et pamphlétiste, il est l’auteur d’une vingtaine d’ouvrages.

Connu pour ses pamphlets (La littérature sans estomac, le Jourde et Naulleau) contre ce que les médias, et notamment les pages littéraires du journal Le Monde, présentent comme la littérature contemporaine, il est surtout l’auteur d’essais sur la littérature moderne (Géographies imaginaires, Littérature monstre) et d’une abondante œuvre littéraire exigeante se partageant entre poésie (Haïkus tout foutus), récits (Dans mon chien, Le Tibet sans peine) et romans (Festins secrets, L’heure et l’ombre, Paradis noirs).

En 1991 il publie son premier essai, dans lequel il revient sur les créateurs de mondes que sont notamment jorge Luis Borges, Henri Michaux ou J.R.R. Tolkien.

Pendant plusieurs années, il est un essayiste assez discret, écrivant sur l’alcool littéraire, sur l’incongru ou sur le dandysme de Joris-Karl Huysmans.

C’est en 2002 qu’il fait vraiment parler de lui en mettant un grand coup de pied dans la fourmilière éditoriale française. Il fusille une à une les figures de la littérature médiatique, analyse la fabrication de produits au succès aussi important que périssable, éclaire les modes en cours dans le « milieu » sur le ton de la satire. Les premières balles sont pour Philippe Sollers et Le Monde des livres, avec des dégâts collatéraux sur leur tête pensante, Josyane Savigneau. La réaction est rapide : Le Monde des livres attaque Jourde pour diffamation. Un comité de soutien est monté tout aussi vite, et la plainte est finalement déboutée. Si Jourde utilise de manière parfois un peu lourde le méthodisme de sa critique, celle-ci reste toutefois salutaire, comme le montre l’Académie Française en lui décernant son prix de la critique. Les réactions à La Littérature sans estomac inspirent à Jourde et à Eric Naulleau la riposte, toutefois moins forte que la première salve.

A côté de l’essayiste acerbe, il y a Jourde le romancier : « Canage de clowns » en 2002, « Pays perdu » l’année suivante, histoire sombre, sale, chant funèbre des campagnes, récompensée par un prix Générations du roman.

En 2002, il obtient le Prix de la critique de l’académie française avec son essai La littérature sans estomac, le Prix renaudot des Lycées et le Prix Valery Larbaud pour Festins secrets.

Le 16 octobre 2013, il reçoit le Prix Jean Giono 2013 pour son récit « La première pierre ».

Il a préfacé le volume des Œuvres de Marcel Schwob.

Sa bibliographie compte une quinzaine de volumes dont « Empailler le toréador » : l’incongru dans la littérature française (Corti), deux essais sur Alexandre Vialatte et des fictions (Dans mon chien, éd. Parc).

Il a dirigé la revue Hesperis de 1999 à 2002.

Il collabore à diverses revues et journaux.

Il tient depuis janvier 2009 le blog Confitures de culture sur le site littéraire du Nouvel Observateur où il publie régulièrement ses prises de position sur des sujets de société

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