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… vu par Arlette

Shane Stevens ♦ Au-delà du mal

au delà du mal À 10 ans, Thomas Bishop est placé en institut psychiatrique après avoir assassiné sa mère. Il s’en échappe quinze ans plus tard et entame un périple meurtrier particulièrement atroce à travers les États-Unis, semant sur son passage au mieux la terreur, au pire la mort.

Il commence à tuer des femmes et à massacrer les corps. Il inflige au corps des femmes ce que mérite, selon lui, le Malin : il éviscère, déchiquette, découpe et grave les initiales de son père, ou de celui qu’il croit être son père, Caryl Chessman, de la pointe de son grand couteau dans la chair de ses victimes.

Mi-ange, mi-démon, Bishop est méticuleux, intelligent. Sa blondeur juvénile, son sourire innocent, son ignorance du monde frisent la naïveté. Il n’en séduit que mieux les femmes et leur corps-marchandise, bonnes ou mauvaises, mais toujours victimes de leur destin, qui ont le malheur de se trouver sur son chemin…

Très vite, une chasse à l’homme s’organise : la police, la presse et la mafia sont aux trousses de cet assassin hors norme, remarquablement intelligent, méticuleux et amoral. Les destins croisés des protagonistes, en particulier celui d’Adam Kenton, journaliste dangereusement proche du meurtrier, dévoilent un inquiétant jeu de miroir, jusqu’au captivant dénouement.

À l’instar d’un Hannibal Lecter, Thomas Bishop est l’une des plus grandes figures du mal enfantées par la littérature contemporaine, un « héros » terrifiant pour lequel on ne peut s’empêcher d’éprouver, malgré tout, une vive sympathie. Au-delà du mal, épopée brutale et dantesque, romantique et violente, à l’intrigue fascinante, constitue un récit sans égal sur la façon dont on fabrique un monstre et sur les noirceurs de l’âme humaine. D’un réalisme cru, presque documentaire, cet ouvrage, hanté par la figure de Caryl Chessman, n’est pas sans évoquer « Le Chant du bourreau » de Norman Mailer et « De sang-froid » de Truman Capote. Un roman dérangeant, raffiné et intense.

L’enfant répondant au de nom de Thomas Bishop est la première victime de ce qui va/peut faire de lui un véritable concurrent direct à l’un des tueurs en série les plus emblématiques que l’on connaisse à ce jour : Jack l’éventreur. Alors que Jack a bel et bien existé, ce personnage fictif va balayer tous les autres existants. Oubliez Hannibal Lecter, Michael Myers, Martin Plunkett, Patrick Bateman, etc.

Durant les dix premières années de son existence, Thomas Bishop, fruit d’un viol, subira le courroux de sa mère, Sarah. Violée à de multiples reprises depuis l’âge de 13 ans, elle a déjà au moment de la conception de son fils une haine sans borne pour le genre masculin. Martyrisé et torturé, le calvaire de Thomas ne s’achèvera que le jour de son internement en hôpital psychiatrique, après qu’il eut assassiné sa mère. Après quinze années d’enfermement, le cocon psychiatrique va donner naissance à l’un des papillons les plus monstrueux qu’aura connu les USA. Quinze années pendant lesquelles l’esprit malade de cet être va enregistrer tout ce qui sera à sa disposition pour faire de lui un nouvel homme, un phoenix qui renaitra de ses cendres le jour de son évasion …

Et comment réussir à la fois l’évasion parfaite, tout en parvenant à échapper à l’immense chasse à l’homme qu’elle ne manquera pas d’engendrer ? En procédant à la première mue qui va permettre à Bishop de se faire passer pour mort. De nouvelles identités en nouvelles identités, il va semer la mort pendant neuf mois sur son passage. La seule personne qui sera capable de mettre la main sur lui sera celle qui parviendra à penser comme lui et à faire preuve d’autant d’ingéniosité à le débusquer qu’en aura Bishop à tromper la Police et à approcher ses victimes.

Concernant la forme :

L’angle choisit par Shane Stevens est à la fois simple et épatant. Ici pas de récit à la première personne, au contraire.

Pour nous permettre de suivre quasiment jours après jours les neufs mois de cavale meurtrière de Bishop, l’auteur va créer une immense toile d’araignée dans laquelle il va placer chacun de ses personnages : le tueur, les médecins, les victimes, la famille des victimes, la pègre, les journalistes qui veulent en profiter pour vendre des journaux, les politiciens qui veulent utiliser l’affaire à des fins politiques, les policiers qui traquent Thomas Bishop et les quidams qui font la jonction entre chacun de ces groupes.

Avec une réelle habileté, Shane Stevens va parvenir à manœuvrer chacun de ces fils d’araignée qui compte autant de marionnettes qu’il y a de personnages dans le roman.

Cela va donner un récit très dense et méticuleux qu’il sera difficile d’assimiler rapidement tant le grand nombre d’informations et de personnages, rempli des chapitres très longs. Oppressant à souhait, on refermera le livre à de multiples reprises pendant sa lecture afin de laisser le temps à notre cerveau de filtrer les données et la violence du récit. Tout cela est très habilement construit et l’on a du mal à lâcher le livre. Le final est véritablement dantesque… à l’image des 760 pages qui ont précédé … monumentale ! Une seule question nous hantera alors : mais qui est Thomas Bishop ?

Le style quasi-documentaire est une vraie force, tant cela rend le roman « réaliste ». On est parfois surpris à se demander si on lit une histoire vraie ou un roman.

On suit Thomas Bishop de son état même pas encore embryonnaire à celui de tueur en série, mais on suit également des politiciens pour qui la peine de mort est importante, des journalistes qui travaillent sur le tueur en série, des psychologues criminels qui sont persuadés que…

Bref… On prend plaisir à voir comment tout ce monde évolue, comment ils sont liés les uns aux autres sans le savoir, on prend un réel plaisir à comprendre comment les journalistes et les flics traquent Thomas Bishop et on prend encore plus de plaisir à voir comment lui même s’en sort. Comment il échappe à tout le monde, comment il est plus rusé et plus intelligent que tout le monde.

La fin, l’épilogue, les trois lignes finales sont une vraie gifle. Une chose qu’on aurait pu trouver par nous mêmes si on faisait attention à tous les détails semés ici et là par tous les protagonistes intervenant dans ce récit (et je peux vous dire qu’il y en a un paquet ! tous des hommes… les femmes ne sont que les victimes…) mais auquel on n’a absolument pas fait attention. Un petit détail qui prouve que la psychologie est maîtresse de tout ce que nous venons de lire. Et c’est assez extraordinaire.

Le livre fondateur d’un genre :

Ce roman, paru il y a 25 ans au USA et jamais traduit jusqu’à aujourd’hui, est l’un des premiers qui ai été écrit sur le thème du serial killer.

Au-delà de l’événement d’une parution aux airs de résurrection, l’ouvrage est un bijou. Tout d’abord du point de vue de l’intrigue, finement menée, échafaudée autour du personnage diabolique Thomas Bishop.

Bishop est cette figure qui nous est totalement familière aujourd’hui, mais qui représente un avènement littéraire en cette fin des années 1970 : le tueur en série. Il n’est pas, comme tout tueur en série qui se respecte, un maniaque issu de la cuisse de Jupiter, mais une innocence brisée, lors de son enfance, par un père qui l’abandonne, et par une mère désaxée, elle-même victime brisée par d’autres. C’est d’ailleurs ce qui fait la densité du titre original : By reason of insanity , formule juridique consacrée aux États-Unis, qui introduit l’idée de coupable-irresponsable lorsqu’un crime est commis sous l’emprise de la folie.

On suit Thomas Bishop de son état même pas encore embryonnaire à celui de tueur en série, mais on suit également des politiciens pour qui la peine de mort est importante, des journalistes qui travaillent sur le tueur en série, des psychologues criminels qui sont persuadés que…

Bref… On prend plaisir à voir comment tout ce monde évolue, comment ils sont liés les uns aux autres sans le savoir, on prend un réel plaisir à comprendre comment les journalistes et les flics traquent Thomas Bishop et on prend encore plus de plaisir à voir comment lui même s’en sort. Comment il échappe à tout le monde, comment il est plus rusé et plus intelligent que tout le monde.

Et puis la fin, l’épilogue, les trois lignes finales sont une vraie gifle. Une chose qu’on aurait pu trouver par nous mêmes si on faisait attention à tous les détails semés ici et là par tous les protagonistes intervenant dans ce récit (et je peux vous dire qu’il y en a un paquet ! tous des hommes… les femmes ne sont que les victimes…) mais auquel on n’a absolument pas fait attention.

Un petit détail qui prouve que la psychologie est maîtresse de tout ce que nous venons de lire. Et c’est assez extraordinaire.

Une satire sociologique :

En filigrane, Chessman apporte une dimension sociologique au roman. Ce personnage ayant existé, il ancre la fiction dans le réel. Le cas Caryl Chessman, violeur multirécidiviste condamné à mort, à l’époque la chambre à gaz, défraya la chronique dans les années cinquante et scinda l’Amérique en deux : pour ou contre la peine de mort.

Le retour sur cette affaire, via son « héritier » Bishop, se traduit en une description de la société américaine et de ses travers. Incompétence policière, manipulation des politiques des événements à des fins électorales, mais aussi, dans l’engrenage, la fabrique par les médias du phénomène qu’ils exploitent, ensuite prêts à n’importe quoi pour « vendre du papier ». La foule, elle-même, devient paranoïaque et hystérique ; les habitants angoissés tirent sur tout ce qui bouge, et l’on assiste la mise en place progressive de la tyrannie de la peur.

L’aspect psychologique du personnage est si réussi qu’il met mal à l’aise. Stevens nous met dans la tête de ce meurtrier sans pitié et l’on n’a alors d’autre choix que d’essayer de comprendre la raison de ses actes insensés. Lecteur captif d’une intrigue palpitante, on assiste aux massacres, comme de l’intérieur, présent aux actes et pensées du tueur.

Si le personnage de Bishop est exceptionnel – peut-être le personnage de serial killer le plus abouti de la littérature policière ? – le travail de Stevens sur les personnages secondaires est tout aussi remarquable.

Autour du tueur en série gravitent une galerie de personnages hauts en couleurs, dont le roman suit le destin en parallèle – ce qui soit dit en passant pourrait exaspérer les lecteurs amateurs d’une intrigue simple.

On suit ainsi de nombreux protagonistes :

  • plusieurs hommes de médias dont Adam Kenton, le journaliste chargé de retrouver Bishop avant la police
  • plusieurs policiers : l’intuitif lieutenant Spanner, un des premiers à s’être lancé à la poursuite du tueur, mais aussi le shérif Oates ou l’inspecteur Dimitri
  • Stoner, un politicien à l’ambition démesurée, bien décidé à réussir par tous les moyens
  • Finch, un criminologue passionné par les tueurs en série, rêvant de percer le mystère Bishop pour écrire un livre
  • Le père d’une des victimes du monstre, bien décidé à se venger en faisant appel à la pègre …

Aux nombreux personnages peuplant ce riche roman vient s’ajouter en toile de fond une critique féroce de l’Amérique contemporaine et de ses dérives.

Shane Stevens nous plonge tout au long de ce roman fleuve dans les Etats-Unis de la seconde moitité du XXe siècle, du quotidien des gens simples aux rouages politiques du sommet de l’Etat. Malgré quelque 750 pages et des descriptions fouillées, l’intrigue demeure très intense du début à la fin. Si l’on ressort de ce livre éprouvé par la carrière de Bishop, on a bien du mal à le lâcher avant d’en connaître le dénouement.

Shane Stevens semble s’être volatilisé au début des années 1980 ? Finalement, chez Sonatine, on met la main sur la fille de l’auteur, et après vingt-cinq ans de « malédiction éditoriale », le livre peut enfin paraître, cette fois en français.

 Autant prévenir tout de suite : quasiment 800 pages en grand format, c’est du costaud. Le tout est narré sur un style très journalistique, ce qui peut déranger mais qui ne rend pas la lecture désagréable. Même s’il est difficile du coup d’avaler 300 pages d’une seule traite.

Ce roman est une bombe dans son genre, même s’il faut s’accrocher ! (et aimer le genre polar psychologique d’investigation évidemment!).

 L’auteur :

Stevens Shane Shane Stevens (probable pseudonyme) est né à New York en 1941. Il a écrit cinq romans entre 1966 et 1981 avant de disparaître dans l’anonymat. On ne sait pas grand-chose d’autre de lui.

Celui qu’encense Thomas Harris ( Le Silence des agneaux), que Stefen King « recommande sans réserve » et que James Ellroy ( Le Dalhia noir ) qualifie d’immense, a écrit cinq romans entre 1966 et 1981. La suite ? On l’ignore. L’auteur est tombé dans l’oubli. L’auteur oui, mais pas son livre « Au-delà du mal ».

L’édition unique et originale se vendait dans les pays anglo-saxons à prix d’or chez les quelques rares bouquinistes qui pouvaient se targuer d’en posséder un exemplaire. Pour les moins chanceux, seul le buzz entretenait la légende de Shane Stevens et de son mythique thriller.

 Shane Stevens a écrit Au-delà du Mal (By Reason of Insanity) en 1979. Il aura fallut attendre 30 ans qu’un éditeur opiniâtre (les Editions Sonatine) parvienne enfin à récupérer les droits afin de permettre aux lecteurs français de découvrir cet ovni en matière de tueur en série. Un ovni ? On peut même parler de bible, tant il est logique d’en déduire à quel point ce roman a pu influencer un nombre important d’auteurs anglo-saxons.

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