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… vu par Arlette

Benameur Jeanne ♦ Profanes

profanesAncien chirurgien du cœur, il y a longtemps qu’Octave Lassalle n’opère plus, qu’il ne sauve plus de vies. A quatre-vingt-dix ans, bien qu’il n’ait encore besoin de personne, Octave anticipe : il se compose une « équipe ».

Comme avant autour de la table d’opération, mais cette fois-ci, c’est sa propre peau qu’il sauve. C’est sur ses ‘derniers temps ‘qu’il veut faire donner la lumière. Après petite annonce et casting en bonne et due forme, comme un ballet, s’organise bientôt autour de lui, dans sa grande et belle et vide demeure, le découpage des journées, chaque tranche confiée à un ‘accompagnateur’ soigneusement choisi.

A Marc Mazetti au silencieux passé, un homme seul traumatisé lui aussi par son passé en Afrique, où il a côtoyé l’indicible, le matin pour la toilette et à l’entretien du jardin.

Hélène Avèle, qui prend le relais après le déjeuner, lui lira les nouvelles du monde. A elle, artiste peintre, Octave réserve une commande bien précise. Elle est chargée de faire un portrait de Claire, à partir de l’unique photo d’elle restée dans la maison

Vient ensuite l’heure de préparer le dîner : c’est celle de Yolande Grange, avec ses pieds sur terre et sa précieuse vigueur, dont le père n’a jamais eu vraiment d’attention pour elle et qui recherche une âme protectrice, désespérément.

La nuit est confiée à la jeune Béatrice Benoît, impressionnable et gracieuse élève infirmière, qui a à peu près l’âge qu’avait Claire, la fille d’Octave, lorsqu’elle est morte dans un accident de voiture. Béatrice, qui fait souvent des cauchemars la nuit.

 

Au service d’Octave et de son mystérieux projet, chacun trimbale pourtant ses ombres et ses blessures, et chaque blessure est un écho. Mais en chacun, Octave a ‘flairé le terreau d’une histoire’, et chacun, aussi, va faire une place à l’autre, ouvrant ainsi le champ des possibles, dans une simplicité nue et invincible. Dans l’indépassable absence de Claire, la fille disparue trop jeune, fauchée par un accident, que son père aux doigts d’or ne sut pas sauver ; dans l’effacement du couple qu’Octave forma avec Anna, repartie au Canada trouver un nouveau cadre à sa foi mise en joue par le destin ; dans la progressive invasion de sa vie par d’autres vies, aussi bancales que bientôt indispensables, l’ex-docteur Lassalle va trouver un chemin.

A travers l’apprivoisement d’une inextinguible soif, le mot deuil, jamais, ne sera prononcé, dans le geste follement ambitieux d’ouvrir le temps (‘ il s’agit d’ouvrir le temps, pas d’abolir la mort’), cette improbable communauté tissée d’invisibles liens autour d’une indicible perte acquiert, dans l’être ensemble, l’élan qu’il faut pour continuer. A la seule force des mots, par la justesse du regard, Jeanne Benameur bâtit un édifice à la vie à la mort, un roman qui affirme un engagement farouche.

Dans un monde où la complexité perd du terrain au bénéfice du manichéisme, elle investit l’inépuisable et passionnant territoire du doute. Contre une galopante toute-puissance du dogme, Profanes fait le choix déterminé de la seule foi qui vaille : celle de l’homme en l’homme.

 

L’auteur :

Jeanne benameurJeanne Benameur est une écrivaine française née en 1952 à Ain M’lila en Algérie, d’un père arabe et d’une mère italienne. Dernière d’une famille de quatre enfants, elle passe de l’Algérie à la France avec sa famille en raison des violences liées à la guerre.

Elle a cinq ans et demi quand elle arrive à La Rochelle.

Deux langues, l’arabe et le français ont bercées son enfance : l’arabe étant la langue maternelle de son père, mais également celle de son premier environnement. Elle réintroduit les sonorités et les rythmes de ces langues dans son écriture.

Très tôt, elle écrit de petites histoires, des contes, des pièces de théâtre, des poèmes. Elle suit les cours du conservatoire d’art dramatique puis elle effectue des études de lettres à Poitiers, où elle suit aussi des cours de philosophie et d’histoire de l’art. Elle est pendant un temps élève du conservatoire de chant. Après l’obtention du CAPES, elle devient professeur de lettres : d’abord à Mauzé sur le Mignon puis en banlieue parisienne.

Ce n’est qu’à partir de 2000 qu’elle se consacre entièrement à l’écriture. Elle a publié pour la première fois en 1989 aux Editions Guy Chambelland des textes poétiques, puis chez divers éditeurs : d’abord chez Denoël en littérature générale, et, depuis 2006, chez Actes Sud. Pour la littérature jeunesse elle publie aux éditions Thierry Magnier. Elle a été également directrice de collection chez Actes Sud junior pour la collection « d’Une Seule Voix » et chez Thierry Magnier pour « Photoroman » jusqu’en septembre 2013.

Elle se distingue sur la scène littéraire avec « Les Demeurées » qui reçoit en 2001 le Prix Unicef.

Puis, c’est le Prix du centre du Livre Poitou-Charentes pour « Laver les ombres » en 2007, le prix Paroles d’encre, le prix du Rotary et le prix du Roman d’entreprise pour « Les Insurrections singulières » en 2011.

Et en 2013, « Profanes » reçoit Le Grand Prix RTL LIRE.

Parallèlement à son travail d’écrivain, elle anime régulièrement des ateliers d’écriture. Ceux-ci tiennent une grande place dans son parcours. Le travail en milieu carcéral avec des jeunes l’intéresse tout autant. En effet, ce lieu a une assez grande importance pour elle vu que son père a longtemps travaillé comme directeur de prison. C’est un endroit mystérieux, qui interroge toujours. C’est sans doute cet environnement qui lui a donné un goût très prononcé pour la liberté. Elle a également une passion pour les enfants. Elle est d’ailleurs membre d’une association, « Parrains par mille », qui vient en aide aux jeunes en détresse.

Jeanne Benameur passe facilement de la littérature générale à la littérature pour la jeunesse. Elle écrit pour des âges très variés. Le choix du lectorat dépend. Par exemple, le livre « Les reliques » ne peut pas figurer en secteur jeunesse car il aborde des sujets qui n’interpellent pas encore les jeunes. Alors que dans « Si même les arbres meurent », il s’agissait d’une vraie question pour les enfants, les adolescents : Comment continuer à aimer après la mort mais du côté parents, grands-parents. Tout cela est très subjectif et peut être discuté, il n’y a pas vraiment de règle.

Lorsqu’elle écrit elle ne pense pas au lecteur. Elle a besoin que ce qu’elle écrit sonne juste car c’est elle la lectrice. C’est le désir de se transformer qui fait sa profonde nécessité d’écriture. L’écriture lui permet d’ouvrir d’autres espaces à l’intérieur d’elle-même et de voir le monde autrement et encore autrement, même si c’est sur le même thème. Ecrire lui permet de lui ouvrir de nouveaux horizons. Dans ses romans, la relation à l’autre est au fondement même de la narration.

Elle accorde une grande place à la psychanalyse. La psychanalyse lui a permis de mettre en forme par la parole ses émotions et donc de les travailler dans l’écriture. Elle lui a permis encore de faire le lien avec le partageable. Elle a cessé de se considérer comme un être original car nous sommes tous régis par une naissance, par une mort, nous possédons les mêmes sens pour appréhender le monde, une sexuation,… Tous ces éléments font de nous des semblables, même si nous avons nos singularités, notre histoire, notre éducation, notre culture,…

Lorsqu’elle était jeune professeur en milieu rural, avec des classes difficiles, elle passait des heures à corriger des rédactions qu’elle donnait aux élèves. Cela n’était pas utile pour eux car ça leur enlevait le goût d’écrire. Elle a donc commencé à pratiquer des ateliers d’écriture avec Elisabeth Bing. En 1979, ses élèves de milieu rural venaient le mercredi après-midi spécialement pour l’atelier d’écriture. Lorsque les élèves sont très loin de la pratique de l’écriture, elle commence avec des ateliers d’imaginaire et de paroles. Elle part d’un groupe de mots, puis chacun accueillit les images dans la parole. On se rend compte qu’avec les mêmes mots, chacun n’a pas les mêmes images, l’imaginaire de chacun est libre. C’est ensuite qu’on peut aborder l’atelier d’écriture. Son but est que les gens, au bout d’un moment, ne viennent plus à ses ateliers, qu’ils se confrontent eux-mêmes avec l’écriture, chez eux dans cette affaire solitaire. L’atelier d’écriture ne fait peut-être pas des écrivains, mais des lecteurs. Lorsque quelqu’un travaille ses propres mots, il a moins peur des mots des autres.

Elle vit à La Rochelle et consacre l’essentiel de son temps à l’écriture.

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