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… vu par Arlette

Schmitt Eric-Emmanuel ♦ Ulysse from Bagdad

D’aventures en tribulations, rythmé par les conversations avec un père tendre et inoubliable, ce roman narre l’exode d’un de ces millions d’hommes qui, aujourd’hui, cherchent une place sur la terre : un clandestin.

Saad Saad est un jeune irakien qui ne peut plus vivre dans son pays.

Si le régime de Saddam Hussein était terrible et si sa famille n’a jamais été hostile aux américains, l’embargo puis la guerre ont dévasté son pays. Et coûté la mort de sa fiancée lors d’un attentat, ainsi que celle du père, bibliothécaire et libre-penseur, lors d’une altercation avec les occupants américains.

Saad veut quitter Bagdad, son chaos, pour gagner l’Europe, la liberté, un avenir. Ainsi, notre nouvel héros veut quitter son pays natal, qu’il ne reconnaît pas comme le sien, pour gagner l’Europe, terre de toutes les promesses, et plus particulièrement l’Angleterre, espace de rêves.

Mais comment franchir les frontières sans un dinar en poche ? Comment, tel Ulysse, affronter les tempêtes, survivre aux naufrages, échapper aux trafiquants d’opium, ignorer le chant des sirènes devenues rockeuses, se soustraire à la cruauté d’un geôlier cyclopéen ou s’arracher aux enchantements amoureux d’une Calypso sicilienne ?

Son voyage, qui passera par le Caire, Malte, la Sicile, et la France, tout comme celui du roi d’Ithaque, sera parcouru par maintes rencontres et aventures. Il rencontrera une bande de Lotophages fumant de l’opium, devra faire face à un Cyclope dans un centre de détention, s’obligera à braver les dangers de la mer, et rivalisera d’astuces pour échapper non pas à la volonté des Dieux, mais à celles des autorités.

Cette odyssée contemporaine, tour à tour violente, bouffonne, tragique, conduit Saad (qui veut dire triste en Anglais et espoir en Arabe) vers un futur difficile, lors d’un voyage qu’il souhaite sans retour.

 

Abordant deux sujets difficiles (la guerre et l’immigration clandestine) par le biais de la fable, Eric-Emmanuel Schmitt parvient à mettre son lecteur dans la peau d’un Ulysse contemporain. Plus victime que héros rusé, le personnage de Saad permet de comprendre de l’intérieur les affres de la guerre, et la dignité nécessaire des clandestins.

Prenant à rebours Homère, puisque la guerre a lieu en Ithaque/Bagdad, l’auteur respecte certaines des étapes du voyage d’Ulysse, notamment la trêve amoureuse auprès de Nausicaa, représentée dans le roman par une jeune femme italienne, amoureuse de Saad et généreuse.

La magie est aussi partie prenante de l’intrigue : avec la figure du fantôme du père en mentor, et la réapparition inattendue de certains personnage.

Le contraste entre le réenchantement de l’épopée et le réalisme des évènements terribles permet à Schmitt de donner une lecture toute en nuances de la situation tragique dans laquelle se trouve Saad.

Sans épargner au lecteur les passages difficiles de deuil et d’humiliation, ce récit est comme toujours chez Eric-Emmanuel Schmitt profondément humain. Avec quelques meurtriers sanglants, mais bien plus souvent des hommes prisonniers de leurs contradictions, tels les garde-frontières, sensibles au désarroi des immigrés clandestins, mais bien forcés d’accomplir leur tâche. Les plus grands malheurs, comme la mort du père, ou les bombardements de Bagdad, semblent souvent être le fait de l’incompréhension, du manque de communication. Pas de banalité du mal, donc, ni de violence gratuite et désincarnée dans cet « Ulysse from Bagdad », mais pas de bons sentiments bêlants.

L’auteur profite des interstices entre les étapes du voyage et les moments de magie pour introduire certaines de ses réflexions sur ses contemporains en temps de guerre, et sur nous autres Occidentaux, face à la misère des autres. Le style toujours fluide de Schmitt donne aux deux parties du livre une continuité et une fluidité qui donnent envie de le lire d’une traite.

 

Courageusement, « Ulysse from Bagdad » aborde avec toutes les armes de la littérature un sujet grave pour nous y rendre sensible sans brutalité et sans fausse douceur. Cen’est pas un essai sur la condition clandestine, même s’il en aborde toutes les thématiques : la difficulté de partir, de prendre le large, la perte des repères, la survie difficile (être prêt à tout pour empocher quelques pièces de monnaie), les horribles conditions de voyage, l’hypocrisie des autorités officielles, etc, etc… C’est d’abord un roman, humoristique et onirique, bourré de bons sentiments.

Toutes les aventures de Saad Saad sont ponctuées d’entretiens avec le fantôme de son père, décédé en Irak à cause d’une méprise de la part des Américains. Son père, libraire, qui, sous le régime de Saddam Hussein, résistait en accumulant les livres interdits sous le régime, créant une véritable bibliothèque secrète, en mettant au parfum son fils, lui transmettant le goût de la digression. Il apparaît donc à notre héros, pour lui raconter ses grandes théories et lui prodiguer des conseils, dans des dialogues inoubliables. Ainsi, selon lui, si le Moyen-Orient a des problèmes de démocratisation, c’est forcément à cause des palmiers.

 

Au-delà du voyage, de la quête initiatique, Eric-Emmanuel Schmitt interroge la condition humaine, et surtout, le concept d’identité. « Les hommes tentent, pour oublier le vide, de se donner de la consistance […] » Certains de par leur appartenance à une communauté religieuse, ou à une nation, ou à une langue. D’autres de par leur pays, leur région, leur ville. Chacun se rattache à ce qu’il peut, immanquablement. D’où le double constat sur le clandestin : la difficulté de s’affirmer en tant que personnalité, coupée des éléments identitaires spatio-temporels qui font de chacun de nous ce que nous sommes, et le regard des autres, ces autres si fier de leur identité, qui face à un clandestin, ne peuvent que relativiser ce qu’ils sont, en se posant la question existentielle « et si… »

Eric-Emmanuel Schmitt, on l’aime, ou on le déteste. Ce qui peut être énervant, c’est cette petite morale cachée derrière les dialogues, les personnages forcément toujours philosophes, et la (trop grande) facilité dans l’enchaînement des péripéties. Mais en ces temps grisâtres, on ne va pas dire non à un roman plein de bonnes intentions !

 

 

Éric-Emmanuel Schmitt

 

  Éric-Emmanuel Schmitt est né le 28 mars 1960 à Sainte-Foy-lès-Lyon, dans le département du Rhône (France) est un dramaturge, nouvelliste, romancier et réalisateur franco-belge. Installé à Bruxelles depuis 2002, il a obtenu la naturalisation belge en 2008.

 Fils de professeurs d’éducation physique, son père était kinésithérapeute dans des cliniques pédiatriques, son grand-père était artisan et sa grand-mère femme au foyer, il a préféré les études littéraires au sport.

 Dans l’édition « Classiques & contemporains » de La Nuit de Valognes, il est déclaré que Schmitt se peint lui-même comme un adolescent rebelle, ne supportant pas les idées reçues et parfois victime d’accès de violence.

 Mais selon lui, la philosophie l’aurait sauvé en lui apprenant à être lui-même et à se sentir libre.

 Un jour, sa mère l’emmène voir une représentation de Cyrano de Bergerac avec Jean Marais. L’enfant est bouleversé jusqu’aux larmes et le théâtre devient sa passion.

 Il se met alors à écrire. Il dira plus tard : « À seize ans, j’avais compris – ou décidé – que j’étais écrivain, et j’ai composé, mis en scène et joué mes premières pièces au lycée. »

 Pour améliorer son style, il se livre avec fougue et ferveur à des exercices de réécriture et de pastiche, en particulier de Molière.

 Après une khâgne au Lycée du Parc, Schmitt réussit le concours d’entrée de l’École normale supérieure.

 Il y étudie de 1980 à 1985 et en sort agrégé de philosophie. Sa thèse de doctorat, soutenue en 1987, a pour titre « Diderot et la métaphysique ». Elle sera publiée en 1997 sous le titre « Diderot ou la philosophie de la séduction ».

 Schmitt enseigne un an au lycée militaire de Saint-Cyr pendant son service militaire, puis trois ans à Cherbourg et à l’université de Chambéry. Diplômé de l’Ecole Normale Supérieure d’Ulm et agrégé de philosophie en 1983, ce passionné de littérature et de musique partage son temps entre ses cours de philosophie et de multiples lectures.

Dans la nuit du 4 février 1989, lors d’une expédition au Sahara, il dit être sujet à une expérience mystique : le sentiment de l’absolu se révèle à lui.

A ce moment, une phrase occupe toutes ses pensées : « Tout est justifié ». Il pense que c’est ce bouleversement qui lui fait franchir le cap pour passer à l’écriture.

Durant les années 1990, ses pièces de théâtre lui apportent un succès rapide, dans plusieurs pays.

La première, La Nuit de Valognes, a été créée en septembre 1991 à l’Espace 44 à Nantes.

Sa deuxième pièce, Le Visiteur, obtient trois prix lors de la Nuit des Molières 1994. Il décide alors de se consacrer entièrement à l’écriture et quitte son poste de maître de conférence en philosophie.

En 1997 est créée Variations énigmatiques, avec Alain Delon et Francis Huster comme acteurs principaux.

En 1998, Frédérick ou le boulevard du crime est créée simultanément en France et en Allemagne, Jean-Paul Belmondo jouant dans la mise en scène originale au Théâtre Marigny.

En 2001, la pièce Monsieur Ibrahim et les fleurs du Coran est jouée et publiée en même temps en France et en Allemagne.

En 2004, le livre a été vendu à plus de 250 000 exemplaires en France et 300 000 en Allemagne.

Schmitt a aussi écrit trois pièces en un acte, en général pour des causes humanitaires.

Francis Huster joue le diable dans L’École du diable, que Schmitt a écrite pour une soirée spéciale d’Amnesty International. Mille et une vies a été écrite pour l’opération La culture ça change la vie du Secours populaire.

Au début des années 2000, il compose plutôt des romans et des nouvelles. L’Évangile selon Pilate, publié en 2000, est un succès critique et de ventes sur un sujet touchant à l’histoire de Jésus-Christ. L’année suivante, Schmitt délivre un autre roman sur un personnage historique sujet à débat ; La Part de l’autre est une uchronie dans laquelle Adolf Hitler aurait réussi à entrer à l’École des beaux-arts de Vienne : son avenir et celui du monde en changent du tout au tout.

Il écrit ensuite une variation fantaisiste et satirique sur le mythe de Faust Lorsque j’étais une œuvre d’art (2002).

Les récits de son Cycle de l’Invisible ont rencontré un immense succès aussi bien en francophonie qu’à l’étranger, aussi bien sur scène qu’en librairie.

Milarepa sur le bouddhisme, Monsieur Ibrahim et les fleurs du Coran, déjà cité, sur le soufisme, Oscar et la dame rose sur le christianisme, L’Enfant de Noé (2004)sur le judaïsme , Le sumo qui ne pouvait pas grossir (2009) sur le bouddhisme zen, sont dévorés par des millions de lecteurs de toutes les générations.

A la recherche de nouveaux modes d’expression, il publie une autofiction « Ma vie avec Mozart », simultanément dans 8 pays, de la Corée à la Norvège. Cette symbiose de paroles et musique sera portée en scène par des comédiens et solistes.

Dans la veine du premier film qu’il écrit et réalise, l’auteur nous propose un recueil de nouvelles : « Odette Toulemonde et autres histoires » célèbre la femme et sa quête du bonheur. Comme le livre, le film Odette Toulemonde fera le tour d’Europe.

La Rêveuse d’Ostende suivra fin 2007 pour rendre un bel hommage au pouvoir de l’imagination.

Un troisième recueil paraît en 2010: Concerto à la mémoire d’un ange. Quatre histoires qui creusent cette question: sommes-nous libres ou subissons-nous un destin ? Pouvons-nous changer ?

Retour au roman en 2008 avec la publication d’Ulysse from Bagdad.

Eric-Emmanuel Schmitt montre une fois de plus ses talents de « conteur caméléon » (dixit Fabienne Pascaud- Télérama) en racontant l’exode d’un de ces millions d’hommes qui, aujourd’hui, cherchent une place sur la terre: un clandestin.

Epopée picaresque de notre temps qui interroge la condition humaine. Les frontières sont-elles le bastion de nos identités ou le dernier rempart de nos illusions?

Passionné de musique, et notamment de Mozart, Schmitt a touché à l’opéra avec la traduction en français de deux de ses œuvres : Les Noces de Figaro et Don Giovanni. Il a également composé des musiques et réalisé un CD.

Désormais, tout en continuant l’écriture romanesque et théâtrale, il se consacre à l’écriture cinématographique. Après Odette Toulemonde (2007) une comédie sur le bonheur avec Catherine Frot et Albert Dupontel, il adapte Oscar et la dame rose (2009) avec notamment Michèle Laroque, Max von Sydow, Amira Casar, Mylène Demongeot.

Schmitt est un des auteurs francophones contemporains les plus lus et les plus représentés au monde. Il a été traduit en 40 langues et joué dans plus de 50 pays.

Réputé pour être l’un des auteurs français les plus lus dans le monde, Eric-Emmanuel Schmitt est diplômé de l’Ecole normale supérieure de la rue d’Ulm et agrégé de philosophie, une discipline qu’il a enseignée pendant plusieurs années.

Tout bascule après l’expérience d’un voyage dans le désert du Hoggar où il rencontre la foi.

Point de départ de sa carrière d’écrivain, il publie en 1991 sa première pièce, « La Nuit de Valognes » et rencontre un succès immédiat.

Le jeune dramaturge s’impose véritablement en 1993 avec « Le Visiteur ». Cette rencontre improbable entre Freud et Dieu lui permet de remporter trois Molières en 1994. Suivent alors de nombreuses pièces dont « Monsieur Ibrahim et les fleurs du Coran » ou « Petits crimes entre amis’», qui suscitent à nouveau l’adhésion du public. Certaines de ses oeuvres sont adaptées à l’étranger et transposées au cinéma, avec Jean-Paul Belmondo, Alain Delon ou encore Omar Sharif dans les rôles titres.

Parallèlement, depuis 1997, Schmitt écrit des romans comme « La Secte des égoïstes », « L’ Evangile selon Pilate » ou son « Cycle de l’invisible », avec tout autant de réussite.

En 2007 sort le film « Odette Toulemonde » qu’il adapte lui-même d’après ses propres nouvelles.

Eternel aventurier des domaines littéraires, maintes fois récompensé, Eric-Emmanuel Schmitt et son univers optimiste véhicule l’image d’un écrivain populaire, extrêmement présent sur la scène culturelle française.

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