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… vu par Arlette

Mankell Henning ♦ Meurtriers sans visage

meurtriers sans visageMeurtriers sans Visage, premier volet de la chronique d’une Suède ordinaire par Henning Mankell,

Première aventure avec l’inspecteur Kurt Wallander, commissaire à Ystad, en Scanie, région du sud de la Suède.

Péninsule aux côtes écorchées par une mer glaciale, la Scanie, semble vouloir tirer la Suède vers le sud. Le calme en apparence ; l’immuabilité de la campagne et des petites villes, loin du bruit de Stockholm mais pourtant à vingt minutes de ferry de Copenhague.

Un vieux paysan se réveille en pleine nuit. L’instinct de la terre, cette terre qui lui déchire les mains et lui brise le dos depuis cinquante ans, ne le trompe pas : quelque chose s’est passé, ou plutôt ne s’est pas passé. La jument est trop silencieuse. Le carreau de cuisine de la ferme voisine est cassé. Le spectacle qu’il découvre, cet « abattoir humain », fait oublier à l’homme le vent de janvier qui lui glace les os.

Un couple de fermiers, apparemment sans histoire, est retrouvé sauvagement assassiné à son domicile: lui est mort, elle, en vie, est transportée à l’hôpital où elle succombera à ses blessures. Elle murmurera juste le mot « étranger » avant de s’éteindre. Indice ou délire ?

Quelques dizaines de minutes plus tard à Ystad, l’inspecteur Kurt Wallander est réveillé. Le personnage clé de l’œuvre de Henning Mankell avec lui. Wallander et son équipe vont devoir élucider ce crime et faire face à une vague de xénophobie, violente et meurtrière, qui apparaît après l’intervention des médias dans cette affaire. Comment garder l’esprit clair dans ces conditions ?

Meurtriers sans Visage semble le prologue évident d’une série magistrale de neufs romans noirs.

Les dés sont jetés : le divorce qui va hanter Wallander de longues années, la maladie de son collègue et maître à penser Rydberg et, surtout, le sentiment que derrière le miroir lisse de la société suédoise gronde une furie à laquelle on n’ose encore donner le qualificatif d’humaine. Mankell aime à dire que « Meurtriers sans Visage » est né après un exil volontaire de Suède long de dix-huit mois. A son retour, quelque chose avait imperceptiblement changé. Le modèle suédois fait d’équilibre et de tolérance dans lequel aimait à se projeter l’Europe était définitivement mort, l’Etat providence était mort.

D’abord la figure de Wallander, presque hiératique tant elle est banale. Un homme dont on fait la connaissance à 42 ans, divorcé de sa vie d’homme, tendu vers un seul but : l’oubli de soi. Et vers cette question lancinante : comment continuer à être flic sans y abandonner ses dernières forces ? L’homme n’est pas particulièrement sympathique. Il n’a rien de commun avec un Harry Bosch à la classe féline et discrètement anar. Son arme est si bien rangée dans son tiroir du commissariat d’Ystad qu’il en oublie souvent de la prendre. Seulement cette petite faiblesse pour le whisky peut être. Un chien de garde dont les quelques kilos en trop lui vaudront un diabète, souvent pitoyable dans son obstination.

 

L’auteur :

Henning Mankell est un auteur suédois né le 3 février 1948 à Härjedalen, province située au centre de la Suède. Très vite abandonné par sa mère, il est élevé par son père, juge d’instance.

Ses premiers rêves : devenir artiste et voyageur. Le premier le mènera à Paris à l’âge de seize ans où il écrit et répare des clarinettes, et le second, quelques années plus tard, en Afrique : D’abord en Guinée Bissau où il tombe amoureux du continent tout entier, puis en Zambie dans les années 70, et enfin à partir de 1985 à Maputo au Mozambique où il dirige la seule troupe de théâtre professionnelle du pays.

Henning Mankell a débuté sa carrière professionnelle comme assistant-metteur en scène à l’âge de dix-sept ans. Passionné de théâtre, il a ensuite dirigé une scène de la province de Scanie.

Auteur d’une quinzaine de livres pour enfants et pour adultes, il est considéré comme l’un des maîtres incontestés du polar suédois. Il est connu internationalement grâce à la série des Wallander qui met en scène un inspecteur du même nom.

Henning Mankell a quitté la Suède il y a longtemps, partageant sa vie entre son pays natal et le Mozambique.

À la fin des années 80, alors que ses séjours africains durent généralement de six à sept mois, il s’absente pendant deux années. Durant cette période, le mur de Berlin est tombé, et lorsqu’il rentre au pays, ça n’est pas seulement un régime qui s’est écroulé en Europe, c’est aussi la société suédoise et son modèle socio-économique si réputé, si envié, qui s’effondre en face de lui.

Ainsi nait donc Kurt Wallander, né du hasard d’un annuaire téléphonique d’Ystad (ville moyenne de Scanie, tout au sud de la Suède) – Son nom a été trouvé au bout d’un doigt posé dans un annuaire téléphonique, et des réflexions d’un écrivain dramaturge, metteur en scène, sur le devenir de ce modèle en passe de disparaitre.

En 1991, il publie « Meurtriers sans Visage » où apparait pour la première fois Kurt Wallander, inspecteur de police dans une ville moyenne du sud de la Suède, et qui deviendra le personnage récurent de ses romans policiers. Ce commissaire désabusé est entouré par une équipe de policiers où chacun possède une personnalité soigneusement décrite. Les meurtres sanglants auxquels Wallander est confronté le plongent au fil des romans dans un état de plus en plus dépressif ; l’aspect psychologique est aussi important pour Mankell que l’intrigue elle-même.

Toutes ces aventures se déroulent dans la petite ville d’Ystad, en Scanie, dans le sud de la Suède, même si Wallander se déplace une fois en Lettonie (les Chiens de Riga) et enquête sur un meurtre dont les origines remontent en Afrique du Sud (la Lionne blanche). Le sol du proche Danemark est souvent foulé.

La volonté de Mankell est de toucher ses concitoyens, de leur faire partager ses doutes, ses désillusions, et il choisit pour ce faire le genre policier, miroir de notre société.

Peut-être est-il un nostalgique des années « tendres » lorsqu’il fait dire à Wallander : « Dans mon enfance, la Suède était un pays où les gens reprisaient les chaussettes (…) Puis, soudain, un jour, c’était fini. On a commencé à jeter les chaussettes trouées. Personne ne prenait plus la peine de les raccommoder. Toute la société s’est transformée. »

En but à l’individualisme forcené des années 90 et aux dérives sociétales qui en découlent, Henning Mankell invente un inspecteur profondément humain, diabétique, empêtré dans les contingences matérielles, divorcé mais aimant toujours sa femme, père d’une fille qu’il ne comprend pas et qu’il sent parfois étrangère, fils d’un vieux peintre hurluberlu.

Sa bouée de sauvetage, ce qui l’empêche de sombrer dans la déprime, c’est son métier, ses collègues, ses enquêtes. Mais les violences et les dérives du monde d’aujourd’hui n’épargnent pas Ystad, et Wallander se trouvera au fil des romans confrontés à tous les maux de notre société, avec comme toile de fond les changements intervenus après la chute du mur de Berlin.

Mais Wallander, c’est aussi l’éloge de la lenteur. On est loin de ces romans américains frénétiques où il faut toujours qu’il se passe quelque chose à chaque page. Ses romans sont aux antipodes du polar américain.

Là, le temps s’écoule lentement, et Mankell sait également décrire sa Suède natale, son climat changeant, la violence de ses saisons, et cette tendre mélancolie qui transparait autant dans l’atmosphère que dans le caractère de son héros.

Wallander est avant tout un « humain », désemparé, qui a perdu ses repères, mais aussi rempli de compassion pour les victimes qu’il croise. Il se dégage de lui comme une infinie tristesse, mais c’est aussi peut-être ce qui fait qu’on l’adore.

Cette même année 1991, il a reçu le Prix Nils Holgersson.

En 2007, il préside le jury du Prix du Livre européen qui sera remis cette année-là à Guy Verhofstadt pour son livre Les États-Unis d’Europe.

En 2008 sort « Profondeurs », ouvrage dans lequel l’auteur médite sur le mensonge en entremêlant divers genres et passant ainsi du théâtre au roman policier.

Suit deux ans plus tard, « L’homme inquiet », dans lequel les lecteurs retrouvent Wallander, retraité mais toujours prêt à s’investir dans une nouvelle affaire.

La même année, l’écrivain scandinave participe à l’expédition organisée par des groupes activistes islamistes turcs en faveur de Gaza, qui donna lieu à un abordage israélien qui causa une dizaine de victimes. Une expérience de laquelle il accouche un récit, publié le 5 juin 2010 dans la presse internationale dont Libération, The Guardian (Angleterre), El País (Espagne), Dagbladet (Suède), La Repubblica (Italie) ou The Toronto Star (Canada).

Gendre d’Ingmar Bergman dont il a épousé en secondes noces la fille Eva, il partage sa vie entre l’Afrique (le Mozambique) et la Suède en écrivant romans, pièces de théâtre et ouvrages pour la jeunesse et où il dirige une troupe de théâtre depuis 1996 : le Teatro Avenida, seule troupe de théâtre professionnelle du pays, qu’il présente lui-même comme la « passion de sa vie » et où il travaille gratuitement.

Le 29 janvier 2014, il apprend qu’il est touché par un cancer qui a été détecté à la gorge et dans un poumon à un stade avancé. Et il est probable que les métastases aient gagné d’autres parties de son corps Il dit alors :  » J’ai tout de suite décidé d’écrire à propos de cette maladie, parce que c’est finalement une douleur et une souffrance qui affectent beaucoup de gens. Mais je vais écrire avec la perspective de la vie, pas de la mort. ».

L’écrivain est suivi à Göteborg, à Sahlgrenska, le plus grand hôpital d’Europe du Nord.

En parallèle, il a très vite décidé de consacrer désormais ses chroniques à sa bataille contre le cancer.

 

Romans avec Kurt Wallander :

1        – Meurtriers sans visage ((svMördare utan ansikte, 1991

2        Les Chiens de Riga ((svHundarna i Riga, 1992)

3        La Lionne blanche ((svDen vita lejoninnan, 1993)

4        L’Homme qui souriait ((svMannen som log, 1994)

5        Le Guerrier solitaire ((svVillospår, 1995)

6        La Cinquième Femme ((svDen femte kvinnan, 1996)

7        Les Morts de la Saint-Jean ((svSteget efter, 1997)

8        La Muraille invisible ((svBrandvägg, 1998)

9        La Faille souterraine et autres enquêtes ((svPyramiden, 1999) : Recueil de cinq nouvelles, dont les histoires se situent chronologiquement avant le premier roman :

                        1) Le Coup de couteau, Hugget (littéralement: Coup [de couteau]), première enquête de Kurt Wallander en juin 1969 : Wallander a 21 ans, il est policier stagiaire à Malmö et se réveille à l’hôpital, blessé assez gravement (cet évènement est souvent rappelé dans la série). On revient ensuite de quelques jours en arrière pour suivre l’enquête que Wallander va mener sous les ordres de son premier mentor, le commissaire Hemberg, quant au suicide de son voisin de palier. Wallander a une petite amie qui se nomme Mona, sa future épouse, qu’il délaisse d’ores et déjà pour son travail.

                        2) La Faille souterraine, Sprickan (Fissure) : à la veille de Noël 1975, Wallander va contrôler un magasin isolé car la gérante a appelé la police; quelqu’un de bizarre rodant autour de son commerce. À partir de là les évènements s’enchaînent, de manière peu propices pour le policier. Mona et lui sont mariés et leur fille Linda a 5 ans; ils habitent Malmö.

                        3) L’Homme sur la plage, Mannen på stranden (L’Homme à la plage) : en avril 1987, Wallander travaille depuis longtemps à Ystad. Là, il peine — déjà (cette anecdote est souvent mentionnée dans la série) — sur une affaire de trafic d’automobiles de luxe avec la Pologne. Un petit patron de Stockholm est retrouvé mort dans un taxi pendant une course, porteur d’une somme importante en liquide. Le premier lieu de recherche, où le taxi conduisait souvent la victime, est une plage avec de belles résidences d’été.

                        4) La Mort du photographe, Fotografens död (La Mort du photographe) : en avril 1988, un photographe entame des travaux bizarres, qui ne peuvent pas rester impunis. Wallander le connaît puisque c’est lui qui a immortalisé son mariage quelques années plus tôt.

                        5) La Pyramide, Pyramiden (La Pyramide) : en décembre 1989 (1 mois avant les Meurtriers sans visage) se produisent dans un court laps de temps deux accidents apparents: un petit avion de tourisme brûle dans un champ et une boutique d’artisanat également: les pilotes et les commerçants y ont perdu la vie. Wallander doit également aller rechercher au Caire son père qui a voulu escalader la Grande Pyramide. Sinon Mona l’a quitté depuis deux mois: la lessive de Wallander n’est toujours pas faite, son frigo reste (désespérément) vide, la liste des commissions traîne par-là, il pense à cette maison à la campagne qu’il souhaiterait acquérir, et à un chien, et à un crédit pour changer de voiture.

            10 – Avant le gel ((svInnan frosten, 2002) – Kurt Wallander partage ici le rôle principal avec sa fille Linda.

           11    L’Homme inquiet ((svDen orolige mannen, 2009)

Dans le roman « Avant le gel » s’opère un transfert des enquêtes entre Kurt Wallander et sa fille, Linda. En effet, d’une part, Wallander approche rapidement de la retraite et, d’autre part, Linda s’est enfin décidée pour une carrière, dans la police, et à Ystad.

Mankell a également écrit un autre polar, cependant très « wallanderien », dont le personnage central, un inspecteur de police, se nomme Stefan Lindman : Le Retour du professeur de danse (2006) (Danslärarens återkomst ). En effet, Le Retour du professeur de danse est plus que wallanderien puisque leurs histoires se croisent : Stefan Lindman obtiendra une mutation pour le commissariat d’Ystad (dans Avant le gel). Une histoire d’amour s’amorcera alors entre Linda Wallander et Stefan Lindman.

La popularité du héros de Mankell est telle que le commissariat d’Ystad est devenu une attraction touristique, et reçoit la visite de touristes demandant à voir Kurt Wallander.

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