Club lecture…

… vu par Arlette

Teulé Jean ♦ Mangez-le si vous voulez

Le mardi 16 août 1870, Alain de Monéys, jeune aristocrate périgourdin de 28 ans, sort du domicile de ses parents pour se rendre à la foire de Hautefaye, le village voisin. Cette journée commençait bien pour lui. C’est un jeune homme plaisant, aimable et intelligent, des projets plein la tête et doté d’un caractère bon, joyeux, généreux, attentif à chacun. Enfin, l’homme idéal, apprécié de tous. Il compte acheter une génisse pour une voisine indigente et trouver un couvreur pour réparer le toit de la grange d’un voisin sans ressources. Il veut également profiter de l’occasion pour promouvoir son projet d’assainissement des marais de la région.

Adjoint au Maire, élu à l’unanimité, il connait tout le village, certains des habitants sont des amis d’enfance, et il est aimé de tous et malgré son infirmité (il boite d’une jambe) il partira la semaine suivante à la guerre contre la Prusse comme simple soldat (alors que son statut social et sa fortune auraient pu lui permette d’avoir un poste moins dangereux).

Il arrive à quatorze heures à l’entrée de la foire. C’est une simple journée d’été de 1870, placée sous le signe de l’entraide et qui pourtant va basculer dans l’horreur absolue. Les faits s’enchaînent ce jour-là si brusquement, que cette virée à la foire de Hautefaye se transforme en chemin de croix pour Alain de Monèys.

Après s’être entretenu avec quelques personnes, il aperçoit son cousin qui s’enfuit de la foire ventre-à-terre. En effet, celui-ci, pour rendre service, a lu à haute voix le journal annonçant la déroute des armées de Napoléon III et, les paysans ne le croyant pas, il a insisté. Ce qui lui a valu l’hostilité d’un groupe de paysans et il n’arrive à se sauver que grâce à la présence de son domestique.

Quand Alain Monéys demande ce qui s’est passé, on lui répond que son cousin a crié : « Vive la Prusse!!! » et Alain ne le croyant pas, dit : « Mon cousin dire « Vive la Prusse!!!? Et pourquoi pas « A bas la France??? ».

 Cette simple phrase va déclencher une folie collective de la part de cette foule, à part une poignée de personnes plus lucide que les autres qui feront tout ce qui est possible pour le sauver, dont Anna serveuse à l’auberge et amoureuse d’Alain, qui durera deux heures ….

La chaleur de ce mois d’août est accablante pour les corps comme pour les esprits. La sècheresse fait des ravages. La guerre contre la Prusse achève de plomber l’ambiance et de miner le peuple. Et c’est un malheureux malentendu qui va enflammer tout un village. La foule, devenue hystérique, abat toute sa frustration sur le pauvre de Monèys.

Au prétexte d’une phrase mal comprise et d’une accusation d’espionnage totalement infondée, six cents personnes tout à fait ordinaires vont pendant deux heures se livrer aux pires atrocités. Rares sont celles qui tenteront de s’interposer. Le curé et quelques amis du jeune homme s’efforceront d’arracher la malheureuse victime des mains de ces furieux et seule Anna, une jeune fille amoureuse, risquera sa vie pour le sauver.

Deux heures plus tard, la foule devenue folle l’aura lynché, torturé, brûlé vif et même mangé.

Incapable de condamner six cents personnes d’un coup, la justice ne poursuivra qu’une vingtaine de meneurs. Quatre seront condamnés à mort, les autres seront envoyés aux travaux forcés. Au lendemain de ce crime abominable, les participants hébétés n’auront qu’une seule réponse : « Je ne sais pas ce qui m’a pris. »

 

Pas de pitié pour le lecteur qui devient malgré lui le spectateur impuissant de cet acte d’une sauvagerie extrême. Comment pareille barbarie est-elle possible, se demande-t-il ? Pas de réelle réponse mais seulement une longue réflexion à venir.

Comment une population paisible, certes angoissée par la guerre contre l’Allemagne et sous la menace d’une sécheresse exceptionnelle, peut-elle être saisie en quelques minutes par une telle frénésie barbare ?

Avec une précision redoutable, Jean Teulé a reconstitué chaque étape de cet atroce chemin de croix qui constitue l’une des anecdotes les plus honteuses de l’Histoire du XIXe siècle en France.

 

Si ce « roman » était une fiction, il faudrait tout de suite le détruire et surtout ne pas le lire.

Malheureusement il ne s’agit pas d’une histoire imaginée par un esprit plus que tordu mais du récit d’un fait historique. Il s’agit de l’affaire d’Hautefaye survenue le 16 août 1870 dans un village de Dordogne : Alain de Moneys, jeune adjoint au maire d’une commune périgourdine se retrouve dans la commune voisine à l’occasion du marché. A la suite d’une réflexion mal comprise par des paysans, il est frappé violemment par des individus de plus en plus nombreux. C’est le déchaînement bestial: le lynchage, la torture, la crémation et même le cannibalisme. C’est l’enfer. Même ses « amis » d’enfance s’y mettent. Il est accusé d’être un prussien.

Le contexte international avec la guerre Franco-allemande pèse beaucoup certes, mais comment expliquer une telle folie ? Comment expliquer que le Maire de la Commune interpellé par les quelques personnes opposées à cet assassinat plus que bestial puisse crier à la foule : « Mangez-le si vous le voulez » !

 

Nul n’est à l’abri de l’abominable. Nous sommes tous capables du pire !

 

L’auteur :

 Jean Teulé, mé à Saint-Lô, dans la Manche, le 26 février 1953, est un romancier français, qui a également pratiqué la bande dessinée, le cinéma et la télévision.

 Auteur de bande dessinée dans un premier temps, Jean Teulé a débuté à la télévision dans L’assiette anglaise de Bernard Rapp ou Nulle part ailleurs sur Canal+.

 Homme de télévision, scénariste, acteur, cinéaste, il est avant tout écrivain.

 Ayant abandonné toute autre activité, il se consacre désormais à l’écriture. Il a publié, aux Éditions Julliard, Rainbow pour Rimbaud (1991), L’Œil de Pâques (1992), Ballade pour un père oublié (1995), Darling (1998) et Bord cadre (1999), Longues Peines, Les Lois de la gravité, Ô Verlaine ! (2004), Je, François Villon (2006), Le Magasin des suicides (2007), Le Montespan (2008) et Mangez-le si vous voulez (2009). Tous ses livres sont publiés en édition de poche aux éditions Pocket.

 Il a également publié plusieurs bandes dessinées, fondées essentiellement sur des photos retouchées.

 À la ville, Jean Teulé est le compagnon de l’actrice de cinéma Miou-Miou.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *