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… vu par Arlette

De Vigan Delphine ♦ Les heures souterraines

A Mathilde 40 ans, une chiromancienne des rues a prédit un jour d’exception : ce sera le 20 mai.

Elle a trois enfants, qu’elle élève seule. Qu’espère-t-elle ? « Un homme qui connaîtrait le vertige, la peur et la joie. ». Alors que son activité lui permet de faire face à la solitude, de réapprendre à vivre et à exister, elle devient petit à petit victime de harcèlement moral de la part de son supérieur

Cadre dynamique dans un grand groupe, Mathilde se rend chaque matin à son travail jusqu’au jour où son destin bascule sans préavis. Victime de harcèlement moral (ce terme n’apparaît pas une seule fois mais c’est bien de cela dont il s’agit) parce qu’elle a eu le malheur un jour de contrer les propos de son patron, elle tente de faire bonne figure, s’en remettant à l’espoir qu’un beau jour les choses rentrent dans l’ordre.

Fébrile, ­Mathilde attend. Mais il n’en est rien ; de jour en jour, elle dépérit, allant de brimades en perversions, jusqu’à son isolement dans un bureau sans fenêtre, sans ordinateur et sans plus aucune mission à conduire.

Chaque jour, Mathilde prend la ligne 9, puis la ligne 1, puis le RER D jusqu’au Vert-de-Maisons. Chaque jour, elle effectue les mêmes gestes, emprunte les mêmes couloirs de correspondance, monte dans les mêmes trains. Chaque jour, elle pointe, à la même heure, dans une entreprise où on ne l’attend plus. Car depuis quelques mois, sans que rien n’ai été dit, sans raison objective, Mathilde n’a plus rien à faire. Alors, elle laisse couler les heures. Ces heures dont elle ne parle pas, qu’elle cache à ses amis, à sa famille, ces heures dont elle a honte.

 Elle est seule, délaissée par ses collègues qui n’affichent que lâcheté humaine, si caractéristique du monde de l’entreprise où chacun n’a de cesse que de conserver sa place. Elle se sent coupable de ne pas avoir réagi au premier signe et ne sait plus quelle attitude adopter : faut-il relever la tête ou accepter que la cause est perdue ? Elle ne sait plus.

Parallèlement, on fait la connaissance de Thibault, médecin urgentiste qui sillonne Paris à la rencontre des éclopés de l’existence. Passionné, addict à une Lila qui ne l’aime pas, il voudrait la quitter, il veut la quitter, « il faut le faire », se répète-t-il comme un mantra, afin de ne pas désespérer de lui-même. Mais qu’espère-t-il ? « Une femme qui connaîtrait le vertige, la peur et la joie. » Osmose invisible où des gens qui s’aiment sans se connaître s’attendent et se tatouent le cœur de marqueurs existentiels, mais ne s’étreignent jamais.

Thibault travaille pour les Urgences Médicales de Paris. Chaque jour, il monte dans sa voiture, se rend aux adresses que le standard lui indique. Dans cette ville qui ne lui épargne rien, il est coincé dans un embouteillage, attend derrière un camion, cherche une place. Ici ou là, chaque jour, des gens l’attendent qui parfois ne verront que lui. Thibault connaît mieux que quiconque les petites maladies et les grands désastres, la vitesse de la ville et l’immense solitude qu’elle abrite.

Un roman saisissant sur l’ultra-moderne solitude

Dès le début du roman, on s’imagine déjà que ces deux protagonistes vont se rencontrer, les écrivains cédant souvent à cette envie romantique de faire se retrouver deux solitudes. Ce n’est pas le parti pris de Delphine de Vigan ; elle parle de réalité humaine dans un monde violent où les belles histoires n’existent pas aussi facilement que dans la fiction. Elle prend ancrage dans la vie où chaque jour l’homme doit combattre pour conserver sa dignité et conquérir son bonheur. Sa force c’est de réussir à ne pas nous apitoyer sur le sort de ces personnages, elle leur donne une grandeur grâce à une humanité et une lucidité qui nous vont droit au cœur. Elle décrit par ailleurs avec minutie le processus d’éviction d’un employé, d’une écriture sensible et pudique.

 

Les heures souterraines est un roman sur la violence silencieuse. Au cœur d’une ville sans cesse en mouvement, multipliée, où l’on risque de se perdre sans aucun bruit.

Harcèlement moral d’un coté, solitude de l’autre, les deux personnages principaux du roman de Delphine de Vigan traînent derrière eux des torrents de désespoir et de lassitude dans un roman sombre où la tristesse suinte à chaque page, où ne perle pas une seule lueur de gaîté.  Et c’est dans un Paris dénué d’humanité, Paris ville tentaculaire qui avale ses habitants et les recrache avec indifférence, Paris qui abrite des grandes (et petites) sociétés dans lesquelles les hommes et femmes ne sont que des pions malléables, interchangeables et supprimables sans préavis, que ces deux ébréchés déambulent, marchent sur un fil tendu à l’extrême, toujours au bord du gouffre, du précipice, et finissent, usés,  épuisés, par baisser les bras .

 

Delphine De Vigan

  Delphine de Vigan est une romancière française née le 1er mars 1966 à Boulogne-Billancourt. Elle est l’auteur de cinq romans dont l’avant-dernier en 2007 a été couronné par le Prix des libraires.

 Jusqu’à l’âge de douze ans, Delphine de Vigan vit en banlieue parisienne. Elle n’a pas la télévision, dessine sur les murs, fait des farces au téléphone, des maisons en carton et des crocodiles en perles. Elle lit Lucky Luke, Gaston Lagaffe, a peur du chien jaune du voisin et part l’été dans une 403 peinte en vert pomme.           La vie se complique un peu, comme cela arrive souvent, et Delphine part avec sa sœur vivre à la campagne, change de décor, d’univers, d’éducation. Passée directement de Rantanplan à Madame Bovary, elle aime Maupassant, Dostoïevski, écrit des poèmes, des nouvelles, des lettres.

 A dix-sept ans, Delphine de Vigan revient à Paris pour entrer en classe prépa, étant parallèlement démonstratrice en hypermarchés pour diverses marques de fromages et de steak haché, scripte dans des réunions de groupe, hôtesse d’accueil.

 Quelques mois plus tard, elle cesse de s’alimenter, peut-être pour ne plus grandir. Une fois sortie de l’hôpital, elle se dit qu’un jour elle écrira un livre, pour raconter ça, et peut-être d’autres choses, si elle parvient à oublier qu’elle a tant lu. Guérie, elle se rend compte que la vie n’est pas si compliquée. Elle reprend des études, trouve un travail, rencontre un Grand Amour, a deux enfants magnifiques et drôles.

 Quand tout lui semble paisible et doux autour d’elle, elle écrit un manuscrit sous le pseudonyme de Lou Delvig qu’elle envoie par La Poste. Ce sera « Jours sans faim » (Grasset, 2001). Il s’agit d’un roman autobiographique sur le combat et la guérison d’une anorexique de 19 ans.

Au-delà de ce livre, il y a l’envie d’écrire.

Après « Jours sans faim », elle écrit un recueil de nouvelles sur l’illusion amoureuse « Les Jolis Garçons », bref roman (150 pages) constitué par trois histoires d’amour d’une jeune femme, Emma (JC Lattès, 2005). Parfois, elle doute encore de sa légitimité à écrire, c’est quelque chose qui la hante, lui fait perdre du temps, mais cette nécessité l’habite. Elle se remet au travail.

Puis, creusant le thème des difficultés amoureuses et de la mémoire, elle a publié en 2006 « Un soir de décembre », qui a obtenu le Prix littéraire Saint-Valentin 2006. Les jurés ont récompensé « l’impertinence du discours,  la pertinence du style et la modernité littéraire au service du genre  amoureux ».

Explorant une thématique nouvelle, « No et moi » est paru en 2009 aux éditions Lattès. Ce « roman moral » à succès sur une adolescente surdouée qui vient en aide à une jeune SDF a été récompensé par le prix du Rotary International 2009 et par le Prix des libraires 2009. Il a été traduit en vingt langues et une adaptation au cinéma a été réalisée par Zabou Breitman, film sorti le 17 novembre 2010.

 En 2008, elle a participé à la publication de « Sous le manteau », un recueil de cartes postales érotiques des années folles.

En 2009, elle a été récompensée par le « prix du roman d’entreprise », décerné par deux cabinets de conseil (Place de la Médiation et Technologia) avec le soutien du ministre du travail de l’époque Xavier Darcos, pour ses « Heures souterraines » (Jean-Claude Lattès). Elle n’a pas souhaité se rendre à la remise du prix.

Figurant sur la liste des œuvres sélectionnées par l’Académie Goncourt en 2009, elle est lauréate de la 12e édition du prix décerné en Pologne « Liste Goncourt : le choix polonais » à l’initiative de l’Institut français de Cracovie.

Aujourd’hui, elle vit de sa plume depuis 2007.

Le 16 juin 2010, Delphine de Vigan a obtenu le prix des lecteurs de Corse, pour ses « Heures souterraines ».

Mêlant avec justesse les dimensions sociale et intime, l’écrivain poursuit dans ce registre avec le roman « Les Heures souterraines », paru en 2009. Si ses romans traitent souvent du désenchantement, Delphine de Vigan incarne le succès d’une littérature modeste et sans esbroufe et la possibilité de réussir à force de talent et de persévérance.

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